Une histoire de revanche bien gore : ça n’arrive pas souvent de voir ce genre de film en France. Et quand en plus, le héros est une héroïne filmée par une réalisatrice sans complexe mais avec talent, ça vaut bien le coup de s’attarder sur ce Revenge !

Invraisemblances ou symboles forts ?

Beaucoup de critiques négatives mettent en avant l’invraisemblance de la résurrection de notre héroïne bien mal en point. A mon sens, ce film tient de la métaphore, tant ses symboles sont nombreux et plutôt explicites. Traumatisée par le viol (symbole de toutes les violences physiques et psychologiques), on pense que la demoiselle est morte de l’intérieur et qu’elle ne pourra pas s’en relever. Mais, tel un Phoenix, elle renait de ses cendres. Une façon de dire à toutes les femmes agressées qu’elles peuvent se relever.

Il en est de même pour la scène de la caverne (amis platoniciens, encore un symbole on ne peut plus clair !) : grâce à ce puissant hallucinogène confié par son bourreau, la presque morte arrive à se retirer le pieu (symbole phallique de tous ces maux) en se cautérisant grâce à une bière (symbolisant le beauf de base ?) dont le logo sera même tatoué sur son ventre : une façon de dire qu’il faut se transformer en homme pour mieux se venger ?

Tout le film regorge de ce genre de clins d’œil. Dès l’ouverture, la sucette nous évoque le Lolita de Kubrick-Nabokov (le sous-texte est bien réel). La pomme croquée qui commence à pourrir, comme pour montrer que ce temps où la femme était considérée comme la cause du péché originel est révolu ? Et ce violeur qui n’assume pas qui se gargarise de jouer avec son engin pour tuer gratuitement cette araignée qui ne lui a rien fait : n’y a-t-il rien à interpréter ? Ce même pauvre type (c’est moi ou il ressemble à Hanouna ?) qui se rend compte que le bout de verre qu’il a dans le pied est bien plus difficile à retirer qu’une petite épine…

Les lieux me semblent également lourds de sens. Le désert symbolise l’âpreté de cette existence où survivre est un vrai défi. A l’opposé, la villa montre le culte de l’artificiel (avec ce télé-achat final en summum de ce contraste). Les sources d’eau vont dans la même direction : la piscine (faux point d’eau créé par l’Homme) apparait comme l’élément où on se cache la réalité (c’est là où le « témoin » se réfugie pendant le viol, c’est là où le petit-ami va se plonger la tête) alors que le « lac-oasis » sera le premier endroit où la vengeance opèrera, comme si la Nature était purificatrice.

Une caméra a-t-elle un sexe ?

Toute cette symbolique pourra être considérée comme trop lourde, comme on a pu critiquer Aronofsky pour Mother ! par exemple. Personnellement, c’est ce que j’attends de la mise en scène, sachant que toute cette forme vient servir le fond : un pamphlet féministe sur cette société qui préfère se cacher la réalité (ou se réfugier derrière les avocats « qui trouvent toujours quelque chose » comme le fait remarquer l’un des vilains garnements).

Coralie Fargeat montre que filmer la violence et le gore n’est absolument pas réservé aux hommes. La réalisatrice signe son premier long-métrage, même si j’avais particulièrement aimé son court « Réalité + » (vu au Festival Philip K.Dick et dont l’un des acteurs joue également dans Revenge) avec une richesse de mise en scène impressionnante. Les cadrages sont inventifs et variés allant des plans larges sur le désert marocain aux gros plans sur un avalage d’ours en guimauve. Les couleurs très pop (parfois à la limite du trop saturé) et la photographie du chef opérateur Robrecht Heyvaert (remarqué également dans « Les Ardennes », où on retrouve d’ailleurs l’un des autres acteurs de ce film) donnent une vraie identité visuelle au film.

Peut-on dire que la caméra a un sexe ? La façon dont est filmée Matilda Lutz permet d’apporter des éléments de réponse. Dès le début, la belle entre dans les codes des fantasmes masculins. On voit davantage ses fesses que son visage, il ne lui faut pas longtemps pour se mettre à genoux devant son amant, sa danse lascive fait perdre la tête à l’ensemble de la gente masculine. Est-ce une façon de montrer le regard qu’ont ces porcs sur elle ? Ou une façon de dire qu’une femme a le droit d’être sexy sans se faire importuner ? Gros point positif selon moi : tout ça évolue. Et c’est là toute la qualité de la performance de l’actrice italienne : l’étendue de son jeu. Bimbo superficielle au départ, elle devient peu à peu une machine de guerre.

A l’opposé, les hommes sont décrits de manière caricaturale. Ils sont stupides, égocentrés, faibles et violents. Mais ils finiront par être mis à nu (au sens figuré comme au sens propre) avec une scène finale en jeu du chat et de la souris (qui est la proie, qui est en chasse ?) toute en subtilité. J’ai d’ailleurs trouvé Kevin Janssens bien plus doué pour montrer son corps que lorsqu’il débite ses dialogues (pauvres le plus souvent, un point faible selon moi dans ce film). Dans le même ordre d’idée, la scène du viol est filmée avec finesse : très explicitement suggéré en hors champ. On voit l’avant, on entend pendant, on fait semblant de ne pas voir à travers la vitre. Cette recherche permet d’ailleurs au film de garder sa dynamique : on comprend vite ce qu’il va se passer, mais il y a suffisamment de recherche pour être surpris.

Le film de genre peut-il exister en France ?

Ce revenge movie (torture porn ?) m’a fait penser à un mix entre le Desierto du fils Cuarron (sans le chien !) et le Boulevard de la Mort-Kill Bill sauce Tarantino. Clairement, on ne se croit pas dans un film français qui reste très et trop souvent cantonné aux comédies (pour bobo ou franchouillardes) et aux drames d’auteurs qui font peur à la plupart des cinéphiles raffolant de rythme et d’action.

Clairement, le paysage cinématographique français reste peu varié et s’essaie rarement aux films de genre. Dernièrement, on peut souligner « Seuls » (l’adaptation de la BD du même nom) en film post apocalyptique ou Arès en prototype national de la science-fiction. On peut louer les intentions, et se désoler du manque de moyens qui limite forcément la réalisation finale.

Mais quand on parle de références en parlant de Revenge, comment ne pas penser à Grave, l’ovni français de 2017 ? Dans un contexte toujours ébranlé par l’affaire Weinstein (même si ces deux films ont été réalisés avant), on peut dire que Julie Ducournau et Coralie Fargeat ont l’art pour mettre en scène des personnages féminins forts et sans complexes. Ici, le gore est étiré jusqu’à l’outrance, et nul doute que certains sortiront de la salle, spectatrices comme spectateurs !

Finalement, ne tient-on pas là l’une des voies pour redynamiser, moderniser et diversifier le cinéma français (et pas que) ? Donner davantage les clefs du camion à des réalisatrices aussi douées pour leur permettre de donner leur vision nouvelle de genres maintes et maintes fois ressassés sans originalité ? Des réalisatrices capables de partir de l’héritage existant pour mieux s’en affranchir et pour inspirer à leur tour la future génération, hommes et femmes mélangés ?


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Nicolas, 37 ans, du Nord de la France. Professeur des écoles. Je suis un cinéphile éclectique qui peut alterner entre blockbusters, films d’auteur, films français, américains, petits films étrangers, classiques du cinéma. J’aime quand les films ont de la matière : matière à discussion, à interprétation, à observation, à réflexion… Quelques films que j’adore pour cerner un peu mes goûts : Matrix, Mommy, Timbuktu, la Cité de la Peur, Mission Cléopâtre, Ennemy, Seven, Fight Club, Usual Suspect, Truman Show, Demain, Big fish, La Haine, La Vie est belle, Django, Rubber, Shutter Island...

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