Le film aux 4 Césars, dont le César du meilleur film 2020 a aussi été nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger !

Au Panthéon des déviances au cœur du 93 de Clichy-Montfermeil, c’est dans un désordre où mafia, sectarisme, règlements de comptes, passé carcéral se côtoient que chacun essaie en vain de trouver sa place.

L’analyse Historico-philosophique

Les Misérables a fait couler beaucoup d’encre, dont la plume virtuose et avisée du célèbre poète, écrivain et dessinateur romantique Victor Hugo et de nombre de réalisateurs et scénaristes. Une référence littéraire et culturelle française ! Les Misérables de Ladj Ly, qui a grandit dans la cité des Bosquets à Montfermeil et a été condamné pour violences, relance en filigrane le bon vieux débat de la nature contre la culture. Faut-il que la nature soit réprésentée par l’inné et le biologique et la culture représentée par l’acquis (tout ce qui est relatif à l’apprentissage et l’environnement) et plus largement conditionnée par la société dans laquelle on évolue ?
Les Misérables fait référence, donc, à l’œuvre magistrale de Victor Hugo, dans laquelle il faut souligner le chant de Gavroche : « …Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau… » Gavroche, archétype du gamin de Paris, rejeté par sa famille Les Thénardier, vit dans la rue et est livré à lui-même. Il meurt à douze ans touché à plusieurs reprises par les balles qui finissent à le mettent à terre et le faire définitivement taire lors de l’insurrection républicaine à Paris en 1832.
Fort est de constater l’analogie entre Gavroche et Issa, petit délinquant, révolté car rejeté par sa propre famille ! Le garçon en colère se rebelle et tente d’exister en opérant quelques larcins.
Revenons alors à l’opposition ancestrale de la nature contre la culture débattue notamment par les philosophes du siècle des lumières (soit XVIIIème siècle), on en revient à Rousseau et Voltaire.
Pour Rousseau c’est incontestable « L’Homme est bon par nature, c’est la société qui le corrompt » et voit dans la naissance du droit de propriété la source de tous les maux et notamment l’exclusion sociale. Il préconise alors la démocratie et l’égalité devant la loi grâce à la mise en place d’un Contrat Social.
Nous pouvons nous interroger aujourd’hui, sur la valeur de la démocratie et ses possibilités d’effacer les différences sociales, qui au XXIème siècle engendre toujours des Misérables, mis aussi en lumières dans le film de Ladj Ly. Voltaire caustique et aristocrate défendait d’autres thèses. Anticlérical, il combat le catholicisme aveugle et le fanatisme en général qui sont des obstacles à la raison. Tous deux ennemis du despotisme et amis des libertés semblent mener le même combat. Mais contrairement à Rousseau, Voltaire qui travaille avec acharnement veut briller en société et fait l’éloge de la propriété. Pour Voltaire, la nature de l ‘Homme n’est pas si pure et l’éducation doit contribuer à le rendre meilleur.
Ces philosophes ont permis une réflexion sur la monarchie absolue de droit divin et l’éveil des esprits a notamment conduit à la Révolution Française.
Au XIXème siècle, Victor Hugo, à travers son œuvre Les Misérables, met en évidence les oubliés de la Révolution Française. Finalement, les idéaux des Lumières de gommer les différences sociales n’ont pas réellement aboutis. Le peuple et les petites gens n’ont pas bénéficié des changements politico-économiques. Victor Hugo ne cessera de dénoncer la misère, le travail des enfants et les conditions sociales désastreuses.
C’est l’intention de Ladj Ly qui en reprenant ce titre oh combien symbolique, dénonce à son tour une société qui crée de la misère en rejetant une partie de ses concitoyens ! Le message est puissant Les misérables sont autres mais toujours présents dans nos sociétés démocratiques. Au XXIème siècle, les problématiques soulevées par les philosophes des Lumières et par Victor Hugo sont toujours d’actualité, avec les particularités de chaque siècle et ses évolutions techniques, les misérables ont changé mais ils sont là.

Alors Nature ou Culture ?

Auquel cas nous ne l’aurions pas compris, Ladj Ly ne se contente pas de reprendre le titre célébrissime Les Misérables, mais site Hugo à la fin du film « Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs ! ». Nous retrouvons la dichotomie de la Nature contre la Culture et donnerait raison à Rousseau « l’Homme est bon par nature, c’est la société qui le corrompt » ou bien il nuance et évoque l’Homme ni bon, ni mauvais, mais sans environnement favorable et sans éducation bienveillante, il sombre dans les travers existants de l’âme humaine. Alors tout viendrait de la situation dans laquelle on se développe et l’éducation a ici un impact déterminant et essentiel ! Ces idées sont mises en lumière par les personnages qui se démènent et tentent désespérément de se trouver une place dans une société qui les lâche et les renvoie à leurs propres faiblesses. Les hommes luttent pour s’en sortir et pour s’en sortir, développent des stratagèmes qui exacerbent leurs côtés sombres.

Peinture sociale avec quelques bémols

Ce film est une photographie actuelle des rapports de force qui se jouent dans les quartiers. On peut souligner et c’est regrettable, les rôles féminins très secondaires. Tout se joue entre hommes. Ils font la loi, à coups de chantage, d’intimidation et de violence. Pour autant, nul est exemplaire, dans cette lutte de pouvoir, chacun se bat pour survire et chaque personnage est à la fois sombre et lumineux. Pour cela, ce film s’inscrit dans une tradition profondément française (en opposition à la culture américaine où le bien et la mal sont souvent incarnés et personnifiés) la « nature » (on y revient) de l’homme est ambiguë et les personnages nuancés nous émeuvent et semblent assez légitimes dans leur rôle réciproque. Malgré cette qualité, chaque rôle est bien définit, on distingue bien les trois rôles des policiers : le meneur borderline, l’effacé qui subit et finit par exploser et le justicier qui se veut moraliste. Ils semblent coincés dedans, mais le jeu des acteurs est exceptionnel et rondement mené. On croit en leur personnage ! Bravo !

Le scénario, brut de coffrage, mériterait cependant quelques améliorations. Cette fiction se veut peut être réaliste alors elle finit comme elle a commencé sans réelle couleur. Si elle pose des questions, elle n’apporte pas de solution et laisse entrevoir une similarité dans la continuité. Tel un documentaire, il y a une volonté de montrer à l’instant T, le quartier comme il est où chacun se débat avec le peu de moyens qu’il a pour se réaliser. Chaque personnage est campé dans son rôle et l’étiquette imposée par une société qui n’a d’autres propositions que de maintenir ce qui existe déjà sans que cela ne déborde trop. L’idée directrice, les références sont fortes mais un travail plus en profondeur, des subtilités et des personnages féminins forts manquent tout de même.

 

Le film et son intrigue

Après la coupe du monde de 2018, trois brigadiers de la BAC (dont un nouvel arrivé, effaré, est mis dans le bain sans ménagement) tentent de faire régner l’ordre dans cette banlieue quasi abandonnée du 93, en employant des méthodes d’intimidation, scabreuses et pas vraiment bienveillantes. Une scène en particulier donne le ton : la scène devant l’arrêt de bus. Chris, le chef d’équipe « la loi, c’est moi ! », aborde trois adolescentes avec brutalité, véhémence, vulgarité et une dose de harcèlement. Il finit par conclure qu’elles ne doivent pas toucher à la drogue. Il se justifie et se déculpabilise d’utiliser ces méthodes barbares en invoquant le bien des jeunes-filles.
Le personnage de Pento (nom attribué volontairement par Chris du fait de sa coiffure) qui est le nouvel arrivé dans cette équipe aux mœurs douteuses, met en exergue les méthodes très contestables de cette équipe de choc de la BAC. Son regard effaré en dit long sur son étonnement et tente à plusieurs reprises de dénoncer les manquements au respect et à la dignité de cette population déjà bien ébrouée par leur condition sociale. Tandis que Gwada, blasé, ne cesse de sourire et conduire ses coéquipiers.
Malgré le comportement déviant de Chris, le film a pour mérite de mettre en avant les difficultés de la police pour exercer son métier dans un contexte défavorable. Ils sont trois à patrouiller, doivent comprendre les codes, connaître les personnes influentes et respectées dans le quartier afin de s’infiltrer et recueillir informations et considérations. Ils créent un équilibre fragile, d’où leur attitude bien souvent ambivalente. Mais cet équilibre instable bascule lorsqu’un jeune de la cité vole un lionceau du cirque. Le risque est grand d’aller vers une confrontation guerrière voire meurtrière entre les habitants du quartier et les gitans. Afin d’éviter les pires affrontements, les trois policiers ont pour objectif de résoudre l’énigme et rendre le lionceau à son propriétaire. Ils remontent les pistes, traquent les réseaux sociaux et retrouvent rapidement le responsable qui n’est autre qu’Issa. Dans la rébellion, c’est le drame ! La bavure ! Le spectateur est tenu en haleine et reste figé ! La police, menée par Chris, pense davantage à sa réputation qu’à la vie du gamin. Pento, comme les spectateurs, est sous le choc !

Les jeunes du quartier sont quasi pris au piège dans ce microcosme qu’ils n’ont pas choisi et où ils se sentent condamnés sans réel espoir de sortie.
Issa, qui incarne le Gavroche des temps modernes, fait les quatre cents coups et se rebelle pour montrer qu’il existe et peut-être appeler à l’aide. Or ce n’est pas de l’aide qu’il va trouver mais de la violence et une extrême correction pour le remettre dans le droit chemin ? Sa lutte pour son identité serait-elle veine ? C’est ce que suggère Pento à Sassa, le tenant du Kebab, en soulignant que les émeutes de 2005 n‘ont ni donné lieu à de véritables remises en questions ni à des réformes. Tous les enfants du quartier se joignent à la rébellion d’Issa, à sa vengeance contre la police et les adultes influents de la cité, mais pour quelle issue ?

Une fin en queue de poisson ?

Dans une embuscade préméditée par les jeunes, le film atteint son paroxysme de violence et de haine pour finalement se terminer sur une éventuelle prise de conscience. En quoi cette escalade informe le spectateur d’une possibilité, d’un changement, d’une amélioration ? Cette fin laisse perplexe et suggère qu’aucune mesure ne sera prise, le seul remède est de continuer de vivre ainsi dans un équilibre fragile où chaque protagoniste doit agir avec assez de sagesse pour ne pas dépasser les limites et apaiser les tensions. La question sous-jacente qui reste alors se tourne vers l’éducation et ce qu’elle a offrir et à proposer. Car nulle situation n’a de solution. Et l’on voit à quel point en 2020 beaucoup reste à faire !


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