Notre programme était assez chargé pour notre 5ème journée au BIFFF, où nous avons pu voir, une nouvelle fois, trois films fortement dissemblables. Le premier présente un univers psychédélique et cauchemardesque, le deuxième croque avec un profond cynisme l’état actuel de notre société et de ses habitants et le dernier donne à voir d’une manière plus complexe les dérives de notre monde en les exportant dans un vaisseau spatial égaré entre notre chère Terre et la planète Mars. Des États-Unis à la Suède, en passant par l’Espagne, il existe pourtant, et étonnement, un point commun entre ces trois métrages ou leurs personnages : une volonté de fuite.

Braid – Mitzi Peirone

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Réalisatrice : Mitzi Peirone
Casting : Imogen Waterhouse, Madeline Brewer, Sarah Hay, Scott Cohen
Origine : États-Unis
Genre : Épouvante-Horreur
Durée : 1h22

Tilda et Petula, deux jeunes dealeuses, décident, à la suite d’une affaire ratée, de rendre une petite visite surprise à une amie d’enfance particulièrement riche (Daphné) dans le but de la dévaliser. Pour parvenir à leurs fins, elles devront prendre part à un petit jeu que Daphné affectionnait particulièrement durant leur enfance. Trois règles sont à respecter envers et contre tout : Tout le monde doit jouer, Aucun non-joueur n’est accepté, Personne ne part. Rapidement, Tilda et Petula s’apercevront de leur erreur et tenteront de s’échapper.

Présenté en première belge et en compétition pour le 7ème parallèle et le prix de la critique, Braid brasse autant de styles et de genres qu’il crée de chemins pour perdre ses spectateurs. Entre explorations de traumatismes d’enfance et de l’inconscient, trip sous drogue, rapports de domination, folie, mensonges, surréalisme, explosion de couleurs acidulées et univers cauchemardesque, Mitzi Peirone nous offre une œuvre aussi originale que complexe et aboutie, tant sur la forme que sur le fond. Les actrices portent le film à merveille et l’on retrouve notamment Janine de The Handmaid’s Tale, Madeline Brewer, en sadique manipulatrice.

Esthétiquement, rien n’est laissé au hasard et chaque plan est savamment étudié : les pensées et ressentis des personnages sont perceptibles à l’écran grâce à une caméra en vue suggestive, plongée ou contre-plongée, qui montre également qui est, finalement, « la maîtresse » du jeu. Les couleurs passent du noir et blanc aux teintes vives et « pop », créant une ambiance à la fois psychédélique et angoissante, où l’on ne sait plus distinguer la réalité des hallucinations, des cauchemars et des rêves. Passé et présent se mêlent également, délivrant quelques explications, mais en donnant aussi naissance à de nouvelles confusions.

Braid fait partie de ces films extrêmement riches que l’on se plaît à analyser et que l’on souhaiterait revoir dès le début du générique du fin, afin d’en percevoir tous les détails et de parvenir à démêler toutes les mailles de cette « tresse ». Conte cauchemardesque à l’emballage enchanteur, le premier long-métrage de Mitzi Peirone est un autre de nos coups de cœur du festival.

7 reasons to run away (from society) – David Torras, Esteve Soler, Gerard Quinto

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Réalisateurs : David Torras, Esteve Soler, Gerard Quinto
Casting : Alain Hernández, Alex Brendemühl, Emma Suárez, Francesc Orella, Lola Dueñas, Sergi Lopez
Genre : film à sketchs, comédie noire
Origine : Espagne
Durée : 1h15

Pas de cassettes ici, 7 Reasons to run away (from society) est un film à sketchs qui donne à voir sept courts-métrages qui sont autant de démonstrations des causes qui pourraient donner l’envie de s’enfuir bien loin du monde moderne. De l’aveu à son enfant (aussi adulte soit-il) qu’il était non seulement non désiré, mais également une erreur qu’il faut supprimer, de l’ignorance de la misère du monde, en passant par l’institution matrimoniale désuète, les trois réalisateurs formule une critique acerbe de la société qu’ils croquent avec un cynisme sans limites.

Forcément, on pense à Les Nouveaux Sauvages (Relatos Salvajes, Wild Tales) réalisé par Damiàn Szifron et sorti sur nos écrans en 2014. Ce dernier portait un regard tout aussi positif sur la société, soi-disant « civilisée », et ses habitants. Chaque « morceau » de 7 reasons to run away (from society) se penche ainsi sur un trait caractéristique de l’actualité, sociale, sociétale ou politique. Si tous les courts ne détiennent pas la même qualité, le tout parvient à être à la fois drôle et percutant. Le film nous renvoie un portrait au vitriol de notre monde, où règne en maître l’individualisme. En dire plus, ou donner davantage de précisions, serait gâcher le potentiel comique et les surprises que l’œuvre détient.

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Une partie de l’équipe de 7 reasons to run away from society avant la projection

 

Notre troisième film de cette journée était Aniara, mais, juste avant la projection de celui-ci, Luciano Onetti, un des deux réalisateurs d’Abrakadabra, est venu présenter leur film. Ce dernier sera diffusé mercredi prochain en séance de minuit 30’ et est décrit comme un « Giallodes années 2010, mais tourné comme dans les années 1970’ ».

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Luciano Onetti, réalisateur d’Abrakadabra, avant la séance d’Aniara

 

Aniara – Pella Kagerman et Hugo Lilja

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Réalisatrice et réalisateur : Pella Kagerman, Hugo Lilja
Casting : Anneli Martini, Arvin Kananian, Bianca Cruzeiro, Emelie Jonsson
Durée : 1h46
Genre : Drame, Science-fiction
Origine : Suède

 Dans un futur qui ne semble pas si lointain, les affreux humains que nous sommes ont épuisé toutes les ressources terrestres. C’est ainsi qu’à bord d’un vaisseau tout confort baptisé « Aniara », commence un exode massif vers Mars. Le voyage était censé durer trois semaines, mais suite à un imprévu de taille, tous les passagers sont désormais à la dérive dans leur « sarcophage » ultra technologique, perdu dans l’immensité de l’espace. Sans espoir ni d’arrivée, ni de retour, l’équipage devra s’organiser pour survivre. À bord, une intelligence artificielle, MIMA (qui n’est donc pas, ici, le Millenium Iconoclast Museum of Art), permet aux passagers de (re)vivre de beaux moments en analysant leurs pensées et souvenirs, et donc de tenir le coup… jusqu’à ce qu’elle soit inutilisable.

En se basant sur un poème écrit en 1956 par l’auteur Harry Martinson, prix Nobel de littérature de 1974, la réalisatrice et le réalisateur montrent un futur non-déterminé, mais plausible.

Bien loin d’une science-fiction « catastrophe » qui donnerait à voir des individus s’entredéchirant avec violence ou d’un film de conquête spatiale, Aniara explore la psychologie humaine et développe des questionnements philosophiques. Qu’adviendrait-il de l’humanité s’il n’y avait plus aucun espoir ?

Malgré un budget limité par rapport aux super productions que l’on voit habituellement, Aniara détient une très belle esthétique, à la fois froide et vaporeuse, symbolisant autant la perte et la solitude que le défaitisme. Coupé en différents segments qui sont autant d’années passées à bord du vaisseau, le film montre comment pourrait se créer une « nouvelle » société, avec ses nouveaux chefs, ses nouvelles règles et ses nouveaux cultes. Ce développement n’est pas forcément inattendu ni inédit dans le genre, mais a le mérite de conserver une cohérence (aussi fataliste soit-elle) tout le long. En outre, le fait de laisser quelques questionnements en suspens et de faire l’impasse sur quelques explications permet aux spectateurs de formuler de nouvelles interrogations. La déclinaison du thème de l’intelligence artificielle est ici particulièrement originale, car portée en « intelligence supérieure » indispensable. Les personnages ne sont qu’un prétexte pour de plus larges constatations, ce qui explique une apparente absence d’intrigue plus personnelle. Ils ne sont, finalement, que les pions d’une machinerie bien plus vaste.

Quelque part entre Interstellar et le cinéma d’Andrei Tarkovsky, Aniara se sert de l’espace et des étoiles pour tisser de plus larges interrogations sur l’humanité et son futur. Le film ne révolutionnera pas le genre, mais présente d’intéressantes nouvelles pistes de réflexion.


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