Brillante dissertation sur les joies et les difficultés d’être prof au sein d’une Education Nationale parfois en manque d’imagination.
Réalisateur : Olivier Ayache-Vidal
Acteurs : Denis Podalydès, Léa Drucker, Abdoulaye Diallo
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : Français
Distributeur : Bac Films
Date de sortie : 13 septembre 2017
Durée : 1h46mn
François Foucault, la quarantaine, est professeur agrégé de lettres au lycée Henri IV, à Paris. Une suite d’événements le force à accepter une mutation d’un an dans un collège de banlieue classé REP+. Il redoute le pire. A juste titre.
A l’heure où la rentrée des classes vient juste de sonner, Olivier Ayache-Vidal, dont c’est la première réalisation, nous offre une vision enthousiasmante du milieu éducatif qui devrait donner des ailes aux professeurs, aux élèves, aux parents et à tous ceux qui, à tort ou à raison, estiment que l’école ne remplit plus son rôle d’ascenseur social cher à Jules Ferry.
Pourtant, François Foucault, homme rigide et sûr de son savoir, maniant avec brio mépris et sadisme auprès d’élèves soumis, ne semble guère enclin à se pencher sur la misère sociale et intellectuelle. Ne se contentant pas de nous dévoiler l’une des facettes du personnage, la scène d’introduction du rendu des copies si elle offre l’occasion à Denis Podalydès de nous régaler d’un numéro d’improvisation totalement jubilatoire nous jette directement au cœur d’un monde où l’ignorance est bannie et la culture noble déifiée. Car François Foucault appartient à une famille d’intellectuels. Son père, homme de lettres reconnu et honoré mais néanmoins pétri de principes peu tolérants, l’a façonné à son image et il n’a sans doute jamais songé à se rebeller à l’inverse de sa sœur (Léa Drucker toute en fantaisie).
Fort de son expérience et de ses idées préconçues, il est convaincu de parvenir à canaliser ces jeunes à qui il suffit, selon lui, d’inculquer une rigueur délaissée au profit d’une trop grande liberté. Déployer des trésors d’ingéniosité pour adapter des principes éducatifs à des jeunes de banlieue bien différents des élèves sages d’Henri IV, voilà précisément tout l’enjeu de cette fiction si documentée qu’elle frôle le documentaire.
Le réalisateur s’est immergé durant deux années au sein d’un collège flambant neuf de Seine-Saint-Denis et a observé cette communauté turbulente mais attachante, bien éloignée de l’enfer complaisamment décrit par certains médias. Le thème de l’école a été maintes fois abordé par le cinéma, avec plus ou moins de bonheur. Cette incursion au cœur d’un collège de banlieue nous permet de renouer agréablement avec l’optimisme communicatif qui a fait le succès du film de Marie Castille Mention-Schaar Les héritiers en 2014 et avec la ténacité admirable qui animait le film Entre les murs de Laurent Cantet en 2008.
L’authenticité fait mouche à tous les coups. Olivier Ayache-Vidal l’a bien compris, en choisissant les jeunes du collège pour incarner leurs propres rôles et en privilégiant une lumière naturelle propre à recréer les conditions exactes du déroulement des cours. C’est dans ce même souci de véracité qu’il choisit des têtes nouvelles et donc peu connues pour incarner l’ensemble du corps enseignant. Collant au plus près de la réalité, il ne nous cache rien non plus des injustices, des coups bas et des rivalités qui agitent ce cercle fermé.
Ce professeur exigeant mais bien plus humain qu’il n’y paraît trouvera, grâce à sa finesse d’esprit et à sa curiosité un point d’ancrage capable de donner l’envie d’avoir envie à des élèves découragés par un système qui ne leur convient pas. Ce qui ne manquera pas de lui attirer la jalousie de ces collègues, sans doute moins inventifs. Pourtant, sa capacité à tisser petit à petit une vraie complicité avec Seydou (l’excellent Abdoulaye Diallo), l’un des éléments les plus rebelles de la classe nous comble de bonheur et nous procure de belles émotions
Qui mieux que Denis Podalydès et son regard pétillant pouvaient donner une telle envergure à ce professeur qui se nourrit et même s’enrichit autant que ses élèves au contact d’une pédagogie à laquelle il n’aurait arbitrairement accordé aucun crédit quelques temps plus tôt.
La pirouette humoristique finale nous le confirme : le chemin est encore long avant que l’enseignement « aristocratique » et l’enseignement démocratique ne se rejoignent mais tous les espoirs sont permis car les bonnes volontés sont bien là.
L’ANALYSE :
Pour son premier long-métrage, le réalisateur Olivier Ayache-Vidal s’entoure d’un grand ponte du cinéma contemporain, Denis Podalydès, mais laisse surtout sa place à des jeunes acteurs. Que ce soit parmi les élèves ou pour interpréter le corps enseignant, le film est plein de nouvelles têtes qui apporte un certain renouveau au cinéma français. Du coup, on est loin d’un jeu conventionnel pour ces acteurs qui apprennent sur le tard avec Les Grands Esprits. Le film se veut donc déjà ancré dans une réalité, volonté du réalisateur d’en faire une sorte de docu-fiction.
En effet, pour préparer ses plans, le cinéaste s’est immergé durant 4 ans au contact des jeunes du collège “Barbara”, lieu choisi pour le tournage. Il en sort une analyse fine et réfléchie sur le système éducatif d’aujourd’hui. En effet, Olivier Ayache-Vidal tente de mettre en avant des problèmes pédagogiques qui sont, selon lui, en partie responsable des échecs scolaires en milieux défavorisés. En fer de lance, il y a le phénomène de la résignation de l’élève en difficulté, maintenu dans une situation d’échec par manque d’encouragement.
Derrière cette idée originale de déporter un professeur de Paris dans une banlieue, il y a aussi la remise en cause de la formation professorale. Le réalisateur la met bien en exergue en démontrant qu’un agrégé n’a pas toujours les outils pédagogiques pour transmettre le savoir. C’est le cas de son personnage principal, François Foucault. Ce dernier va apprendre à devenir enseignant en même temps qu’il va éduquer ces jeunes de banlieue.
Ce qu’on aime dans Les Grands Esprits, c’est également l’absence d’idéalisme. Pas de baguette magique américaine à la Esprits Rebelles (1996) où les étudiants deviennent brillants du jour au lendemain. Ici, tout ne se règle pas. Les avancées de chacun des protagonistes ne sont pas forcément spectaculaires. Elles sont plutôt des petites gouttes d’eau, prémices d’une rivière qui mettra du temps à se former. On est à l’orée du film Les Héritiers (2014) de Marie-Castille Mention-Schaar où une professeure décide d’inscrire sa classe la plus faible au concours national d’histoire.
Bien sûr, quelques intrigues secondaires viendront pimenter le thème central, histoire de rajouter de la fiction à un récit qui n’en avait pas forcément besoin. On se serait en effet bien passé des péripéties amoureuses du protagoniste. Elles ponctuent pourtant la caractérisation d’un personnage qui ne peut pas être totalement épanoui sans vie sentimentale.
Toujours en marge des murs du collège, Olivier Ayache-Vidal a quand même le luxe de tourner au château de Versailles lors d’une scène de course poursuite de deux jeunes en plein milieu la galerie des glaces. On sent derrière cette scène un rêve de réalisateur qui se concrétise.
C’est donc cela Les Grands Esprits, un film réfléchi et documenté, témoin de la passion de tourner.
8,5/10