TOM A LA FERME

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Le long-métrage le plus sobre de Xavier Dolan est également le plus étouffé, pris dans un récit dominé par l’esprit de sérieux.

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Réalisation : Xavier Dolan
Scénario : Xavier Dolan
d’après : la pièce Tom à la ferme
de : Michel Marc Bouchard
Son : François Grenon
Montage : Xavier Dolan
Interprétation : Xavier Dolan (Tom), Pierre-Yves Cardinal (Francis), Lise Roy (Agathe), Evelyne Brochu (Sara)…
Distributeur : MK2, Diaphana
Date de sortie : 16 avril 2014

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Un jeune publicitaire voyage jusqu’au fin fond de la campagne pour des funérailles et constate que personne n’y connaît son nom ni la nature de sa relation avec le défunt. Lorsque le frère aîné de celui-ci lui impose un jeu de rôles malsain visant à protéger sa mère et l’honneur de leur famille, une relation toxique s’amorce bientôt pour ne s’arrêter que lorsque la vérité éclatera enfin, quelles qu’en soient les conséquences.

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Le premier plan de Tom à la ferme – des mots d’amour et d’adieu écrits à la hâte sur un mouchoir où l’encre d’un stylo Bic pleure – pose la continuité : comme dans ses précédents films, Xavier Dolan ira chercher à la source d’un lyrisme assumé la matière première de son personnage, ici un jeune graphiste branché de Montréal venu enterrer son petit ami dans une campagne qui ne sait rien de son homosexualité. Tom à la ferme signe pourtant également le sceau d’une certaine sobriété à l’intérieur même de ce lyrisme : le syndrome des « vêtements qui tombent du ciel » et autres idées visuelles souvent gratuites dont le cinéaste québécois semblait vouloir à tout prix truffer ses films, comme s’il n’allait plus avoir la place et les images pour les mettre ailleurs, s’est ici progressivement évaporé.

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Les premiers cadres du film sont austères, distants presque. Formellement et visuellement, cette sobriété paie – l’exubérance des premiers films du Québécois laisse ici place à des plans plus maîtrisés, plus désirés sans doute aussi, dans une atmosphère étouffante de crépuscule rural. Sur le papier, donc, le retour à ce que Dolan sait faire de mieux – mettre en scènes les hystéries des uns et des autres, la confrontation entre mélodrame et comédie d’individus névrosés dans leur genre et leur quête d’amour.

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Et pourtant, de la pièce de Michel Marc Bouchard qu’il adapte pour l’écran, Xavier Dolan peine à tirer la matière d’un long-métrage : faussement dissimulées derrière des mécanismes de révélations et de retournements, les relations entre les personnages s’épuisent rapidement, dénuées d’une chair profonde qui permettrait de dépasser la pure figure de fascination-répulsion mise en place dans les vingt premières minutes du film, et qui évolue avec linéarité jusqu’au dénouement.

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Le lyrisme que cherche Dolan est ici absent de la campagne qu’il filme ; c’est non pas un défaut en soi, mais un manque certain dans l’esthétique que le cinéaste veut mettre en place – comme si la sobriété affirmée du film avait ôté la matière de la poésie. Dans un univers où la crédibilité réaliste est soigneusement contournée (le huis-clos théâtral renaissant dans la campagne québécoise), le film tente de prendre sur le terreau de la fable rurale et morale.

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Contrairement à Laurence Anyways ou aux Amours imaginaires, Xavier Dolan semble se refuser à aimer ses personnages – excepté peut-être Tom, qu’il interprète, et dont le visage martyrisé au milieu des champs de maïs en fait une sorte d’élu condamné au masochisme. Le cinéaste parvient pourtant à diriger ses acteurs d’une façon précise, voire acérée (notamment l’excellente Lise Roy en mère éplorée et paradoxale), ménageant des moments d’humour pince-sans-rire et de surréalistes séquences de repas de famille.

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Nous nous retrouvons tout le long du film coincés dans le regard que Tom, le « petit con » de la ville, porte au début de l’histoire sur ce monde qu’il découvre – une bêtise innommable et terrifiante, qui s’étend d’un unique personnage à la communauté tout entière. Le frère, au centre du récit, est la caricature du paysan rustre, violent, homophobe et lui-même chargé d’un fort pouvoir homoérotique ; la relation qu’il entretient avec Tom est celle d’une première idée avec une autre idée, et rarement le trouble tant désiré par le film réussit à poindre au sein des scènes.

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Si trouble il y a, il existe davantage entre Tom et la ferme elle-même, sorte de lieu de mémoire qui ramène le personnage à la matérialité disparue de son amant défunt. Tom à la ferme crie son désir d’accéder au rang de film puissant et terrien ; le lyrisme et le mythe resteront pourtant étouffés par la péquenauderie dans un geste cinématographique qui, à trop vouloir être primal, se contente d’un simple conte de campagne.

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L’ANALYSE :

Tom, un jeune publicitaire qui vient de perdre son amant, part à la rencontre de la famille du défunt qui vit dans une ferme isolée. Si la mère ne semble pas au fait de la nature de la relation qui unissait Tom et son fils, Francis, le frère, semble beaucoup plus suspicieux. Petit à petit, Francis devient le bourreau de Tom. Il le maltraite et le séquestre dans un jeu ambigu d’attraction et de répulsion. Tom se laisse faire, il semble même y trouver du plaisir comme dans une relecture moderne du syndrome de Stockholm.
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Il peut paraître étonnant de parler de tournant dans la carrière d’un cinéaste quand celui-ci n’a que vingt cinq ans. Et pourtant, avec Tom à la ferme, Xavier Dolan cherche bien à marquer une rupture avec ses premiers films. Délaissant les questionnements d’amoureux imaginaires ainsi que l’approche plutôt naturaliste d’un Laurence Anyways, Tom à la ferme se veut un vrai film de genre, dans la veine, dixit Dolan, du Silence des agneaux.

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C’est aussi, pour le cinéaste, le premier film réalisé à partir d’un scénario non original. Tom à la ferme est, en effet, adapté d’une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard (auteur reconnu au Québec), pièce que Xavier Dolan avait découverte sur scène quelques années auparavant et qui s’est également montée au festival d’Avignon l’été dernier. On voit très bien ce qui a pu le séduire dans ce texte où il est question d’homophobie, de différences sociales, de mensonges et de perversité…

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Pour hasard, le film sort aussi sur nos écrans alors qu’un succès littéraire fait beaucoup parler de lui, En finir avec Eddie Bellegueule du jeune Édouard Louis, où l’homosexualité est mise en perspective à la lueur des luttes de classes. Tom à la ferme le fait aussi à sa manière en confrontant l’homo des villes et l’hétéro des champs sous fond, comme chez Édouard Louis, de sadomasochisme.
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Le texte de Bouchard était fort, complexe et plutôt explicite. Dolan, au contraire, prend le parti de laisser beaucoup d’éléments en hors-champ, de ne pas trop en dire sur la nature des relations entre Tom et Francis et de tirer complètement son film vers le thriller psychologique. C’est ce qui fait les limites de cette lecture de Tom à la ferme. Car ce qui semble préoccuper Dolan, c’est avant tout d’installer une ambiance et de montrer qu’il est capable d’amener son cinéma vers de nouveaux terrains, au risque de désincarner ses personnages.

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Le ton est donné dès la première scène : une voiture qui roule à vive allure au milieu des champs, avec en fond sonore la chanson « Les Moulins de mon cœur » chantée a cappella. C’est là que Tom nous apparaît, en pleine crise de nerfs, lui qui semble venu d’une autre époque avec son look vintage, à mi-chemin entre la rock-star des années 1980 et le personnage du Joker revisité par Heath Ledger. Dolan laisse planer le mystère sur le personnage qu’il interprète.

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Il distillera petit à petit ses informations. Il en fera de même avec les autres protagonistes: la mère (admirablement interprétée par Lise Roy qui avait créé le rôle sur scène) et surtout le frère (Pierre-Yves Cardinal) qui n’est d’abord qu’une présence physique tout en muscles avant d’exercer son pouvoir diabolique sur Tom. Les références cinéphiles (à peine déguisées) sont également nombreuses et, en bon élève, Dolan se place dans la filiation des maîtres du genre. On pense à Hitchcock (Psychose, La Mort aux trousses), à Misery, aux films de Brian De Palma ou encore à Shining de Kubrick.
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À trop vouloir marquer son nouveau territoire cinématographique, Dolan loupe le coche de la sincérité. L’intensité qu’il s’applique à véhiculer finit par faire toc. C’est d’autant plus dommage que le réalisateur n’a plus rien à prouver stylistiquement parlant et est encore capable de nous surprendre par sa maîtrise de la mise en scène. Il faut lui reconnaître, notamment, un vrai talent pour appréhender les espaces et générer un climat claustrophobe.

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À la manière d’un Fassbinder, il ouvre ses profondeurs de champ pour mieux les refermer par des effets de sur-cadrages, jusqu’à jouer d’effets de resserrement d’image chaque fois que Tom manque de se faire maltraiter par Francis. Une autre scène remarquable : ce tango mené entre la victime et son bourreau dans une étable à la géométrie parfaitement étudiée où le trouble se mêle aux aveux dans des allers-retours entre rapprochements et révélation de l’arrière-plan.

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Avec Tom à la ferme, Xavier Dolan était à deux doigts de faire un grand film sur l’homophobie en campagne, de réaliser aussi l’œuvre charnière qui aurait emmené son cinéma vers des terrains plus adultes. Il n’était pas loin d’un Almodóvar qui s’est aussi exercé au film noir (En chair et en os, La Mauvaise Éducation) avec une totale conscience de ses effets stylistiques (c’est surtout vrai dans La Piel que Habito) mais sans pour autant renier son univers ni ses obsessions. Dolan est brillant mais il a sûrement agi par péché d’orgueil. Après la trêve Laurence Anyways, il se redonne le premier rôle et montre une certaine complaisance à se filmer (la séquence en flashback du karaoké en est le meilleur exemple).

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À défaut de tout recul et comme s’il voulait mettre en sourdine le fond véritable de l’histoire pour mieux séduire le public, les rebondissements sonnent faux (les révélations du barman) et les personnages, délibérément vidés de psychologie, semblent complètement instrumentalisés. Seul instant réellement incarné, le pétage de plombs de la mère (qui rappelle une scène similaire de Laurence Anyways) où tout ce que le film semble avoir refoulé jusque-là nous surgit soudainement à la figure.

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En somme, si Tom à la ferme laisse un goût d’amertume, c’est qu’il joue avec notre frustration de voir une œuvre qui sert avant tout de faire-valoir à son réalisateur.

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Pierre Bryant
Cinéphile depuis mon plus jeune âge, c'est à 8 ans que je suis allé voir mon 1er film en salle : Titanic de James Cameron. Pas étonnant que je sois fan de Léo et Kate Winslet... Je concède ne pas avoir le temps de regarder les séries TV bonne jouer aux jeux vidéos ... Je vois en moyenne 3 films/jour et je dois avouer un penchant pour le cinéma d'auteur et celui que l'on nomme "d'art et essai"... Le Festival de Cannes est mon oxygène. Il m'alimente, me cultive, me passionne, m'émerveille, me fait voyager, pleurer, rire, sourire, frissonner, aimer, détester, adorer, me passionner pour la vie, les gens et les cultures qui y sont représentées que ce soit par le biais de la sélection officielle en compétition, hors compétition, la semaine de la critique, La Quinzaine des réalisateurs, la section Un certain regard, les séances spéciales et de minuit ... environ 200 chef-d'œuvres venant des 4 coins du monde pour combler tous nos sens durant 2 semaines... Pour ma part je suis un fan absolu de Woody Allen, Xavier Dolan ou Nicolas Winding Refn. J'avoue ne vouer aucun culte si ce n'est à Scorsese, Tarantino, Nolan, Kubrick, Spielberg, Fincher, Lynch, les Coen, les Dardennes, Jarmush, Von Trier, Van Sant, Farhadi, Chan-wook, Ritchie, Terrence Malick, Ridley Scott, Loach, Moretti, Sarentino, Villeneuve, Inaritu, Cameron, Coppola... et j'en passe et des meilleurs. Si vous me demandez quels sont les acteurs ou actrices que j'admire je vous répondrais simplement des "mecs" bien comme DiCaprio, Bale, Cooper, Cumberbacth, Fassbender, Hardy, Edgerton, Bridges, Gosling, Damon, Pitt, Clooney, Penn, Hanks, Dujardin, Cluzet, Schoenaerts, Kateb, Arestrup, Douglas, Firth, Day-Lewis, Denzel, Viggo, Goldman, Alan Arkins, Affleck, Withaker, Leto, Redford... .... Quant aux femmes j'admire la nouvelle génération comme Alicia Vikander, Brie Larson, Emma Stone, Jennifer Lawrence, Saoirse Ronan, Rooney Mara, Sara Forestier, Vimala Pons, Adèle Heanel... et la plus ancienne avec des Kate Winslet, Cate Blanchett, Marion' Cotillard, Juliette Binoche, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Meryl Streep, Amy Adams, Viola Davis, Octavia Spencer, Nathalie Portman, Julianne Moore, Naomi Watts... .... Voilà pour mes choix, mes envies, mes désirs, mes choix dans ce qui constitue plus d'un tiers de ma vie : le cinéma ❤️

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