SANS PITIE
Ce polar enlevé comporte plusieurs séquences de bravoure et confirme la vitalité du cinéma d’action sud-coréen, même s’il n’égale pas les grandes réussites du genre.
Réalisateur : Byun Sung-hyun
Acteurs : Sul Kyung-gu , Yim Si-wan, Jeon Hye-jin, Kim Won-ie
Titre original : Bulhandang
Genre : Thriller, Drame carcéral
Nationalité : Sud-coréen
Distributeur : ARP Sélection
Date de sortie : 28 juin 2017
Durée : 2h00mn
Festival : Festival de Cannes 2017 : Film présenté en sélection officielle hors compétition.
En prison, Jae-ho, est le leader suprême, il fixe les règles et les détenus les suivent. En dehors, il est le second d’un des plus gros gangs de la péninsule. Sa dictature pénitentiaire se retrouve chamboulée après l’arrivée Hyun-soo, électron libre qui ne se laissera pas mener à la baguette. Han Jae-ho et Jo Hyun-soo se rencontrent alors qu’ils purgent tous les deux une peine de prison.Chacun étant à la tête d’un gang, les deux hommes se retrouvent très vite en concurrence. A peine sortis de prison, les deux criminels reprennent leurs activités dans le trafic de drogue, mais la méfiance est de mise entre les deux hommes…
Après Internal Affairs d’Andrew Law et Alan Mak, les polars de Na Hong-jin (The Chaser, The Murderer), ou de Bong Joon-ho (Memories of Murder), cet autre thriller coréen au pitch alléchant était attendu avec curiosité. Il s’agit du troisième long métrage de Byun Sung-hyun, dont les précédents films (le drame musical The Beat Goes et la comédie romantique Whatcha Wearin’ ?) restent inédits en France. Pour sa première incursion dans le policier, le réalisateur est resté strictement fidèle au genre, refusant notamment de le mêler à des éléments de fantastique ou de films de vampires, comme cela fut respectivement le cas avec The Strangers de Na Hong-jin ou Dernier train to Busan de Yeon Sang-ho, qui éblouirent la Croisette l’an passé.
Difficile de résumer Sans Pitié, qui avance masqué, absolument pas de façon rectiligne. C’est un polar à l’image du cinéma coréen, souvent trop généreux : les deux heures qu’il dure sont un peu exagérées en raison d’un scénario qui multiplie les allers-retours entre présent et différents passés, à la manière d’un film de Tarantino –sans les chapitres, mais avec les indications de temps. On pardonnera aisément à Sung-hyun Byun qui fait par ailleurs preuve d’un sens aigu du cadrage et des raccords vertigineux avec toujours le souci d’en donner pour son argent au spectateur. Un précis d’esthétique, tarantinien donc, qui fait aussi des emprunts au cinéma hongkongais des années 90-00, bourré de testostérone, de violence graphique et de séquences déconstruites.
Le récit de ce jeune loup qui vient remettre en cause l’autorité d’un caïd dans un centre pénitencier est même traditionnel sur le papier, et emprunte ses conventions à de nombreux films de prison qui ont servi de modèle, dont Un prophète de Jacques Audiard et The Raid 2 : Berandal de Gareth Evans. Les dialogues co-écrits avec Kim Min-soo sont d’une ironie mordante, et l’on assiste, avec plus de jubilation que les personnages, à un festival de manipulations, coups bas et traîtrises en tous genres. Visuellement, le film honore son contrat, bien servi par une photo contrastée (de Cho Hyoung-rae) et des décors réalistes (de Han Ah-rum) qui ne rendent que plus saisissantes les chorégraphies de combat et les scènes de règlements de compte, inventives et baroques.
Si plusieurs séquences révèlent une vraie virtuosité, on retiendra surtout l’ouverture où des seconds couteaux savourent des poissons crus sur un charmant port de plaisance, avant de se faire exploser la cervelle. Il faut aussi souligner le duo d’acteurs principaux, qui fonctionne à merveille : Sul Kyung-gu, interprète fétiche de Lee Chang-dong (Peppermint Candy, Oasis) compose ici un fabuleux bad boy, regard menaçant et rire sardonique, quand Yim Si-wan, membre du groupe pop ZE : A, incarne avec conviction l’ange manipulateur. Il manque toutefois à cet agréable divertissement policier une réelle dimension d’auteur ainsi que la puissance des films précités. Et il ne suffit pas d’invoquer l’ami Quentin (« Tarantinesque », déclare l’affiche) pour égaler son cinéma insolent et décapant.
Il était une fois un caïd de presque 50 ans, sexy et ricanant, qui fait la loi en prison. Alors que son règne est remis en cause, il est soutenu par un éphèbe, aussi violent que lui, mais d’une loyauté totale. Une fois le duo dehors, le caïd fonde tous ses espoirs de conquête de pouvoir dans son gang sur ce jeune homme. Pourtant, il sait que l’ange est un policier infiltré. Quant à la femme flic qui les surveille, elle se montre elle aussi sans pitié, du moment qu’elle peut faire tomber des barons de la drogue.
Pour apprécier cet impressionnant polar, il est déconseillé d’avoir une demi-minute d’inattention. Entre deux fusillades aux chorégraphies somptueuses et trois mouvements de caméra incroyables, les intentions des personnages semblent impénétrables, puis tout s’éclaire dans un flash-back brillant. Même le paternalisme qui naît entre le cynique et le jeune premier est plus complexe qu’il n’y paraît. Car, dans un monde de brutes, les amours, même refoulées, finissent toujours mal…
Outre ses qualités plastiques, et indépendamment de références un peu écrasantes (Pulp Fiction, Infernal affairs), Sans pitié se révèle étonnamment bouleversant. C’est finalement le portrait de deux damnés, poursuivis par la fatalité, qui trouvent dans leurs rapports amicaux, puis filiaux, des raisons de continuer. Cette dimension de tragédie grecque (étendu à deux autres personnages, le parrain et son neveu) prend progressivement le pas sur le côté film de gangster fun et décomplexé auquel Sans Pitié ne se réduit donc pas. Et c’est tant mieux.