L’édition 2018 des Oscars a souhaitée porter une attention particulière au climat actuel d’Hollywood, et notamment à la place des femmes dans l’industrie du cinéma. Le spectacle a rendu plusieurs hommages évidents et clairs à ce moment décisif, du monologue d’ouverture de Jimmy Kimmel à Salma Hayek, Ashley Judd et Annabella Sciorra présentant ensemble un court métrage très politique. La cérémonie a su trouver l’équilibre parfait entre l’état des lieux de l’industrie cinématographique américaine et son goût pour l’auto-célébration.
Traditionnellement, le gagnant du meilleur acteur de l’année précédente présente le prix de la meilleure actrice. Mais Casey Affleck n’a pas participé à la cérémonie de cette année. Aussi intéressant qu’aurait pu être la vision d’Affleck partageant la scène avec la star Frances McDormand alors qu’elle acceptait sa statue pour Three Billboards: Les panneaux de la vengeance, la cérémonie a sagement suivi un cours différent lorsque les producteurs Jennifer Todd et Michael De Luca ont demandé à Jennifer Lawrence et à Jodie Foster, des femmes de différentes époques de l’histoire d’Hollywood, de remettre à McDormand la deuxième statuette de sa carrière.
Foster et Lawrence ont ouvert avec une plaisanterie mignonne sur Meryl Streep, nominée dans la catégorie de meilleure actrice pour son rôle dans le dernier Steven Spielberg Pentagon Papers. Lorsqu’il a été demandé à Jodie Foster pourquoi elle portait des béquilles, celle-ci a plaisanté : « Streep, she I, Tonya’d me » (référence au film du même nom). Et Jennifer Lawrence de continuer : « She tripped me once » (jeu de mot Meryl Streep / et To trip : trébucher). Lawrence a ensuite expliqué: « C’est un nouveau jour à Hollywood avec de nouveaux défis pour nous tous », et elle a ensuite fait un clin d’œil au film Le Complexe du castor de 2011, en soulignant que Jodie Foster lui a donné l’un de ses premiers emplois. « Elle m’a inspirée tous les jours depuis ».
McDormand a ensuite doublé le sentiment dans son discours d’acceptation – mais en faisant mieux que la plupart des gagnants des Oscars qui appellent parfois par leur nom les autres personnes nommées dans leurs catégories. Dans un discours émouvant, McDormand a mis son Oscar sur le sol comme pour dire qu’elle avait des questions plus importantes à porter bout de bras, puis elle a demandé à chaque femme ayant été nommée dans un catégorie de se lever avec elle. « Meryl, si tu le fait, tout le monde le fera. Allez ! ». Riant étourdiment lorsque la salle a éclaté sous les applaudissements, McDormand a exhorté: « Regardez les femmes atour de vous, parce que nous avons toutes des histoires à raconter et des projets qui ont besoin d’être financés. Ne nous en parlez pas à la fête ce soir. Invitez-nous dans vos bureaux dans quelques jours, ou vous pouvez venir au nôtre quand cela vous convient le mieux et vous entendrez tout sur eux ». Puis en relevant d’un cran l’émotion de toute la soirée, McDormand quitta la scène avec deux mots: « Inclusion rider ».
Voilà un terme auquel nous, Français, sommes peu habitués. L’inclusion rider est en fait une clause dans le contrat d’un acteur stipulant que l’ensemble des acteurs et des membres de l’équipe doit être diversifié pour pouvoir garder l’acteur dans le projet. C’est donc une chose très courageuse à dire sur une telle scène devant un public mondial. Elle a été conçue par Stacy Smith, professeur de l’Université de Californie du Sud. La clause fixe des objectifs à inclure à l’écran et derrière la caméra, en spécifiant des cibles pour les groupes sous-représentés. L’espoir est que les acteurs les plus castés (et donc les plus puissants en terme de politique économique) puissent intégrer la clause dans les contrats, ce qui aiderait à éliminer les préjugés dans le processus d’embauche et de casting et produirait des films reflétant plus fidèlement la diversité du monde réel. Les promesses publiques des acteurs et des réalisateurs de renom d’adopter cette une clause contractuelle stipulant la diversité dans les castes et les équipages va augmenter la pression sur d’autres célébrités et studios pour suivre le mouvement, et cela va aussi pouvoir toucher des entreprises en dehors du monde du divertissement qui commencent déjà à explorer le concept.
D’autres hommes de premier plan et des visages connus des Oscars comme Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, George Clooney, Matt Damon, Mark Wahlberg ont également sauté la plus grande nuit d’Hollywood. Cette absence de figures masculines a conduit à une cérémonie des Oscars sans précédent : alors que l’année dernière, les femmes d’Hollywood n’étaient pas aussi encouragées à parler de leurs expériences et de leurs frustrations par rapport à la politique d’Hollywood, cette 90ème édition de la nuit des Oscars devait, selon ce que l’Académie avait annoncé avant le spectacle, avoir 29 présentateurs dont près de 60% étaient des femmes et 51% étaient des personnes de couleur.
Contrairement aux Golden Globes, où les chuchotements sur les hommes problématiques ont dominé les médias sociaux, l’absence de certains de ces hommes a gardé l’accent de la soirée sur une célébration des femmes, du cinéma et de l’avenir d’Hollywood. C’est précisément ce que les producteurs de l’émission Todd et De Luca espéraient accomplir. Dans Vanity Fair, ils expliquaient : « Nous sommes très favorables au mouvement et tout ce qu’il faut pour créer l’égalité et la sécurité sur le lieu de travail », a déclaré Todd. « Mais nous savons que le spectacle parle de divertissement, et que les gens viennent s’amuser, s’amuser et célébrer les films. Nous pensons avoir trouvé une façon de tout faire en même temps ». Grâce à certaines absences clés, ils peuvent déclarer la mission accomplie en toute sécurité.
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que certains montrent leur enthousiasme suite au discours marquant de McDormand. Très rapidement, Matt Damon, Ben Affleck et Paul Feig se sont engagés à adopter un « inclusion rider » pour les films de leurs compagnies. « Ce n’est pas si difficile à faire, et c’est juste du bon sens », déclare Feig à The Guardian. Ce réalisateur de Bridemaids et du remake féminin de Ghostbusters précise : « J’ai le sentiment que les gens qui ne le font pas maintenant et les studios et les entreprises qui ne l’appliquent pas encore reculent plutôt que d’avancer ».
Les acteurs Brie Larson et Michael B. Jordan ont été les premiers à déclarer leur soutien après les Oscars, et Pearl Street Films, la société de production fondée par Affleck et Damon, a promis son engagement deux jours après. Affleck et Damon n’ont par contre pas précisé s’ils prévoyaient d’utiliser des « inclusion riders » lorsqu’ils apparaissaient dans des films en dehors de leur compagnie, et leurs représentants n’ont pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires. Trois jours après les Oscars, c’est Feig qui annonce que Feigco Entertainment adopterait des « inclusion rider » pour de futurs projets de cinéma et de télévision : « C’est vraiment dans les coulisses que cela fera une différence et que nous en aurons besoin pour notre entreprise ». Feig, qui est aussi le créateur de l’émission de télévision culte pour les adolescents Freaks and Geeks, dit qu’il a longtemps mis l’accent sur la représentation et la parité entre les sexes et que l’accord contractuel rendrait cet engagement plus formel. « C’est la bonne chose à faire, c’est aux artistes et aux cinéastes de donner l’exemple, ensuite les studios doivent suivre ». C’était donc une chose très courageuse à dire de la part de Frances McDormand sur une telle scène devant un public mondial, et son message a été entendu.
On note donc que cette fin d’année 2017 et ce début 2018 nous ont apporté des rôles féminins forts, tels que Frances McDormand dans Three Billboards en mère en quête de la vérité, Jessica Chastain dans Le Grand Jeu, rendant hommage aux femmes jouant à un niveau professionnel au poker, Meryl Streep en patronne d’un des plus grands journaux du monde dans Pentagon Papers, ou encore Margot Robbie faisant son possible pour devenir une sportive d’élite dans Moi, Tonya. Espérons que cette tendance se confirme dans les années à venir.
Auteur de l’article: Marie