BARRY SEAL : AMERICAN TRAFFIC
Réalisation : Doug Liman
Scénario : Gary Spinelli
Image : César Charlone
Décors : Dan Weil
Costumes : Jenny Gering
Montage : Andrew Mondshein
Musique : Christophe Beck
Interprétation : Barry Seal (Tom Cruise), Sarah Wright (Lucy Seal), Domhnall Gleeson (Monty Schafer), Jesse Plemons (shérif Downing), Caleb Landry Jones (Bubba), Alejandro Edda (Jorge Ochoa)…
Distributeur : Universal Pictures International France
Date de sortie : 13 septembre 2017
Durée : 1h55
Tom Cruise et Doug Liman approchent l’histoire américaine et sa politique anti-communiste en Amérique du Sud avec fantaisie, humour, et un goût évident pour le vintage qui séduit. Le poids écrasant de la star de Top Gun, qui retrouve le cockpit trente ans après Top Gun, lui, interpelle.
Une escapade internationale, basée sur les exploits incroyables mais vrais de Barry Seal, un pilote arnaqueur recruté de manière inattendue par la CIA afin de mener à bien l’une des plus grosses opérations secrètes de l’histoire des Etats-Unis.
Pour la première fois en une décennie, Tom Cruise ne vient pas là pour sauver le monde. Il est même à l’affiche d’un film où il joue un arriviste fasciné par l’argent – certes pour préserver l’avenir de son épouse et de ses enfants -, prêt à tout pour parvenir à dessein : faire entrer la cocaïne de Pablo Escobar aux USA, par exemple. Est-il pour autant un salaud ? L’affiche du film le présenterait presque comme un héros : La CIA. La Maison-Blanche. Pablo Escobar. Un homme les a tous floués.
Dans ce cas, il serait aisé de parler d’anti-héros, pour ce pilote de ligne, roi du double-jeu, devenu informateur pour la CIA, la DEA et passeur de drogue pour le cartel de Medellin. L’ambiguïté est probablement tout le problème de ce film « d’inspiration » historique qui approche (de loin) le scandale Iran/Contra, le rôle opaque de la CIA dans sa lutte contre les cartels d’Amérique latine et la fâcheuse tendance de la Maison-Blanche de Reagan de s’associer en coulisses avec ces mêmes brigands pour contrecarrer la menace communiste en Amérique latine.
L’aspect historique est en fait ici dérisoire. On y croit peu, moins en raison de ce qui est suggéré ou dit, qu’en raison du ton fun et décomplexé qui peut laisser perplexe quant à l’approche de la complexité de la problématique. C’est que Tom Cruise se lâche (le voilà à simuler une scène de sexe, baissant le pantalon et affichant ses fesses pour amuser ses enfants sur la piste d’un aéroport avant de monter à bord de son avion) et se plaît à jouer un roublard sans scrupules qui pactise avec le diable. Toutefois, jamais vous ne le verrez le nez dans la poudre, ni même tromper son épouse lors de ses escales internationales. C’est que Tom Cruise, même quand il joue un salaud, s’efforce à rendre le personnage sympathique, identiquement à 99.9 % de ses rôles au cinéma.
Alors que la star aurait pu s’efforcer de prendre cette personnalité forte de façon radicalement différente que ses derniers rôles, il la prend avec le panache de ces comédies récentes, en fanfaronnant. Le charisme, la séduction, le sourire Ultra brite en permanence, y compris dans les scènes les plus critiques… L’acteur ne se contente pas de faire du Tom Cruise lorsqu’il opère un virage à 90°, loin de ses exploits héroïques récent : il surjoue Tom Cruise, au détriment du divertissement qui honnêtement affiche bien des atouts pour satisfaire le spectateur.
Acteur intemporel dans son obsession pour le jeunisme et les rôles plus vraiment de son âge (ne serait-ce pas en fait le retour au cockpit de la star de Top Gun, qui va bientôt reprendre les commandes de vol, avec Top Gun 2 ?), Cruise retrouve les années 80 de sa gloire initiale. Le travail visuel et la réalisation volontairement vintage de Doug Liman lui vont tellement bien que l’acteur en profite pour faire le pont entre les époques.
Si le cinéaste qui a déjà dirigé l’acteur dans Edge of Tomorrow réalise un boulot convaincant, rythmé et plein d’allant, on préférera, sur un sujet biopic politico-fantasmé similaire l’approche espagnole du thriller de l’ombre L’Homme aux Mille Visages. Plus de vraies gueules, moins de belles gueules (l’épouse du personnage de Tom Cruise, Sarah Wight, est si fade !), et in fine, plus de bon cinéma.
L’ANALYSE :
Il faut attendre la fin de l’épopée de Barry Seal, pilote d’avion qui s’est retrouvé de fil en aiguille au cœur des trafics les plus douteux de l’Amérique du sud (travaillant conjointement avec la CIA, le cartel de Medellín et la dictature du Nicaragua), pour qu’un plan parvienne à frapper un peu. Ce plan, c’est celui d’une disparition : l’image analogique du héros se figeant avant d’être ravalée, seconde après seconde, par la blancheur d’une cassette qui se dérègle.
Belle idée, d’autant plus troublante qu’elle pointe finalement une gravité derrière l’aventure trépidante du héros campé par un Tom Cruise misant sur son charme et sa légèreté pour faire oublier que, mine de rien, son corps commence à accuser le poids des années. Mais le plan glisse malgré tout, ravalé par l’insouciance d’un film qui plonge, avec beaucoup d’ironie, le spectateur dans une Amérique des années 1980 figurée avant tout comme un magma d’images clinquantes citant autant Scarface, Top Gun que le rise and fall scorsesien.
C’est que Barry Seal est l’histoire d’un homme grisé par l’attrait de l’aventure ; un citoyen potentiellement modèle (pilote doué, mari et père de famille aimant) qui, fatigué d’un quotidien trop monotone, cherche le grand frisson. L’argent n’est au fond qu’une motivation secondaire de ses exactions (il finit d’ailleurs par en avoir trop, les billets débordent des placards, des valises, des cartons à chaussures, du coffre des banques, du sol de la maison où le héros accumule ses gains frauduleux), c’est l’aventure qui le guide – même l’exécution, à la fin du film, de ses heures de travaux d’intérêt général est dépeinte comme le quotidien d’un espion.
Si le scénario repose sur une vitesse qui télescope les années et les espaces avec une vélocité indéniable, le film souffre toutefois de faire de ce débordement (du désir, de l’argent, de la drogue et de l’excitation) le moteur de l’avancée d’un récit que Doug Liman, pourtant habile artisan (se souvenir d’Edge of Tomorrow et Mr & Mrs Smith), filme comme un clip où rien, à l’exception de ce plan fugace de Cruise disparaissant dans l’abîme, ne vient creuser une aspérité.
Un deuxième avis pour aller plus loin :
On n’attendait pas grand chose de ce Tom Cruise-Movie qui s’annonçait être un énième film d’action sans goût ni saveur. On avait tort. Sans être pour autant un chef-d’œuvre, Barry Seal: American Traffic se révèle un film éminemment distrayant tout en étant en filigrane un portrait à charge des Etats-Unis et de son gouvernement. Le mérite en revient à Doug Liman, parfois faiseur peu inspiré (Fair Game, Mr et Mme Smith), souvent artisan efficace (La Mémoire dans la peau, Edge of tomorrow).
Cette fois-ci, c’est au bon Doug Liman que nous avons affaire, qui se livre à la déconstruction de la politique de son pays en même temps qu’à celle, avec son consentement, de l’icône Tom Cruise.
Pour tous ceux qui aiment Tom Cruise, il représente, selon leurs âges respectifs, leur enfance, leur adolescence, leur jeunesse. En ne vieillissant pas à l’écran, c’est comme si Cruise donnait l’illusion à ceux qui l’aiment de ne jamais vieillir.
Dans les années 80, Barry Seal, ex-pilote d’une grande compagnie aérienne, fut recruté par les cartels de Medellin pour effectuer des livraisons de drogue, ainsi que par la CIA pour espionner les sandinistes du Nicaragua. Arnaqueur de première classe, protégé en haut lieu, pourchassé par tous, il parvient à se sortir des situations les plus invraisemblables.
Avec Barry Seal : American Traffic, Doug Liman se livre à une critique en règle des années Reagan et de leur compromission sans nom. Par des images vintage et la musique pop-rock de l’époque, il nous plonge dans ces années-là où des personnages joyeusement amoraux comme Barry Seal pouvaient se constituer leur place au soleil.
Dans un amusant jeu de masques et de changements de bord, Barry Seal ressemble presque à un Little Big Man politique où Seal, selon les circonstances, sera soit du côté du gouvernement américain soit du côté de Pablo Escobar. Ce faisant, Doug Liman n’hésite pas à adresser ses remontrances au gouvernement américain actuel, toujours taxé du plus flagrant opportunisme. Il en profite aussi pour dresser le portrait accablant d’une Amérique jouisseuse et amorale, dévouée au culte du Dieu Argent.
Dans cette plongée dans les années reaganiennes, Doug Liman joue également du décalage avec la légende de Tom Cruise, en particulier par le film qui l’a fait devenir superstar, Top Gun. Après le très réussi Edge of Tomorrow, il poursuit ainsi sa savante entreprise de déconstruction de l’icône. Lâche et un peu dévirilisé dans Edge of Tomorrow, Cruise apparaît ici menteur et opportuniste, avec néanmoins tout le charme qui le caractérise. Il n’est pas allé jusqu’à entrer dans le personnage physique de Barry Seal, ventripotent et guetté par une calvitie naissante.
Cruise continue à 55 ans à en paraître 35, tout en restant crédible en père d’un enfant en bas âge. Il n’hésite pourtant pas à se moquer de son image de Peter Pan, en apparaissant lors d’une scène les cheveux blanchis par la poussière et en appelant un ami, censé être du même âge, « Fiston ». Pour tous ceux qui aiment Tom Cruise, il représente, selon leurs âges respectifs, leur enfance, leur adolescence, leur jeunesse. En ne vieillissant pas à l’écran, c’est comme si Cruise donnait l’illusion à ceux qui l’aiment de ne jamais vieillir.
Très humoristique et particulièrement drôle, Barry Seal : American Traffic représente un joli pas de côté pour Tom Cruise entre deux franchises de film d’action (Jack Reacher, Mission : Impossible), un rôle décalé qui lui permet de montrer qu’il a conservé toute sa fraîcheur d’acteur, ainsi que toute l’étendue de sa palette de jeu, en particulier comique. Une contre-allée passionnante, faite de clins d’œil et de savoureuse auto-dérision, qui s’apparenterait davantage dans son parcours à Tonnerre sur les Tropiques qu’à Magnolia.
8,5/10