Le plus touchant dans le portrait que fait Amy Berg de Janis Joplin est la sincérité totale de cette dernière envers son art. Pour Janis, monter sur scène c’était faire l’amour. Lorsque le public dansait en transe sur sa musique, elle et lui ne faisait plus qu’un. Un grand documentaire pour une grande dame.
Réalisateur : Amy Berg
Titre original : Janis: Little Girl Blue
Genre : Documentaire, Biopic
Nationalité : Américain
Date de sortie : 6 janvier 2016
Durée : 1h43mn
Festival : Festival de Deauville 2015, Mostra de Venise 2015, Toronto International Film Festival 2015
Janis Joplin est l’une des artistes les plus impressionnantes et une des plus mythiques chanteuses de rock et de blues de tous les temps. Mais elle était bien plus que cela : au-delà de son personnage de rock-star, de sa voix extraordinaire et de la légende, le documentaire Janis nous dépeint une femme sensible, vulnérable et puissante. C’est l’histoire d’une vie courte, mouvementée et passionnante qui changea la musique pour toujours.
Immense interprète et icône psychédélique du mouvement hippie, Janis Joplin demeure pour beaucoup la première femme à accéder au fameux club des 27 (après Brian Jones, Jimmy Hendrix et avant Jim Morrison, Kurt Cobain ou plus récemment Amy Winehouse). Pasionaria sur scène, connue pour sa dépendance à l’alcool et aux stupéfiants, sa biographie semble taillée sur mesure pour épouser les canons du rock’n’roll. Et pourtant, de sa jeunesse texane à son retour au bercail pour une soirée d’anciens élèves, Janis tente de brosser autrement le portrait de la star borderline à la voix rocailleuse.
Ouf, ce n’est pas un biopic sur Janis Joplin! Plutôt que de tomber dans la romanisation-dramatisation-vénération d’une légende dont la gloire n’est plus à faire, plutôt que d’avoir recours à une écriture fictionnelle souvent trop linéaire (enfance, difficulté, gloire, chute, gloire à nouveau, mort, …) Amy Berg recourt à l’épistolaire pour aborder avec originalité la vie de la star. A la marge du documentaire et d’une réflexion cinématographique, le film s’aventure avec brio dans le récit autobiographique de la chanteuse. C’est en effet Janis Joplin elle-même, à travers la voix suave de Cat Power qui nous conte son histoire par le biais de correspondances privées. Amy Berg, qui s’était davantage faite remarquée pour ses prises de position sur la justice sociale, avec Every Secret Thing, An Open Secret par exemple, colore la biographie de la chanteuse des teintes du documentaire. Le film nous emporte dans un journal intime filmé, mêlant la douceur tranquille des photographies, courriers personnels, interviews de ses proches, aux images vibrantes et subjuguantes de Janis Joplin sur scène.
L’ambition, ce n’est pas seulement vouloir plus d’argent, plus de gloire, c’est aussi vouloir plus d’amour. Et de l’amour, Janis n’en aura jamais assez. Les millions de fans hurlant son nom n’y changèrent rien, jusqu’à la toute fin de sa vie Janis se sentira seule et exclue. C’est ce regard intime qui intéresse la réalisatrice Amy Berg et si la forme de son film peut sembler académique, son savoir faire indéniable dans le maniement des archives et la conduite des entretiens permet à Janis de prendre en ampleur et dépasser son approche chronologique.
On l’a qualifié de nouvelle Aretha Franklin. Janis Joplin était surtout elle-même : une artiste écorchée vive. Vilain petit canard au lycée, elle aurait voulu être jolie et plaire aux garçons. Elle intègre une chorale dont elle se fait renvoyer : trop rebelle. A l’image de son parcours dans la musique. Elle quitte le Texas où elle étouffe pour aller à San Francisco, ville où les talents et les idées peuvent s’exprimer. Elle y rencontre son premier groupe avec lequel elle connaît ses premiers succès. Le festival pop de Monterey est un tournant et lui permet d’accéder à la célébrité. Une gloire qu’elle recherchait mais qui fragilise une femme ambitieuse mais vulnérable…
Grâce aux témoignages, le film porte un regard plus proche sur la femme que sur une célébrité blessée, coriace, pas très jolie, mais qui s’en fout et qui en joue. Une femme qui n’a d’autre but que d’être fondamentalement heureuse, mais que le blues ne quittera paradoxalement jamais. Pas besoin d’insister sur la fin, on la connait tous. Ni sur la drogue, on aura bien compris comment elle en est arrivée là. Seules quelques lettres, seuls quelques interviews rappellent avec subtilité les substances d’un temps. Par contre, on ne boude pas le plaisir d’une longue séquence sur l’envers de la scène, sur la création musicale, sur ses cordes envoûtantes. Comme un tableau de Claude Monet, on filme toutes les nuances, on joue des niveaux de décibels, mais aussi des huis-clos d’enregistrement. On met en perspective tous les raccords et détails qui donnent finalement vie à un titre. Le désir d’entendre la version finale, après maintes reprises, l’envie presque physique de ce son grandit. Libération aux quatre premières notes, puis deuxième mesures, jusqu’au chant de Summertime.
Quand Janis Joplin est sur scène, c’est un courant indicible qui la transcende, qui traverse la scène, et se déverse jusque dans la foule. Le travail des archives est d’une qualité impressionnante tant chaque scène pioche un gros plan de son visage illuminé au rythme de la musique. Mais ici surgit la faille de la critique. Il n’y a pas de mots pour décrire le flux inextricable qui se crée entre sa présence et ses deux publics, celui d’alors, masse en communion de la foule face à son génie, et nous, spectateur de l’ombre bien envieux d’appartenir à ce monde.
Deux ans après sa mort précoce en 1970, Janis Joplin inspirait déjà un scénario, qui devint The Rose (1979) — mais l’actrice Bette Midler obtint que soit supprimée toute référence au sujet d’origine. Alors que les projets de biopic ont, depuis, l’air de patiner, ce documentaire tombe à pic. Sérieux, complet, documenté, il remonte à la jeunesse de la chanteuse à Port Arthur, petite ville du Texas. Dès l’adolescence, Janis fut mise en marge, à la fois par sa personnalité singulière et par les humiliations qu’elle eut à subir de ses congénères. C’est alors que la musique devient son exutoire — le folk, puis le blues de Big Mama Thornton —, et l’alcool, son refuge. Débordante de talent et de volonté, la provinciale ingrate devient princesse hippie à San Francisco. Mais la mue ne se fit pas du jour au lendemain, comme l’attestent les échanges de lettres avec sa famille.
Les témoignages sans fard de nombreux musiciens, notamment ceux de son premier groupe, permettent de mieux cerner la complexité du personnage : fragile et despotique, pleine d’énergie et manquant de confiance. La conduite de sa carrière semble une suite d’impulsions, et son rapport aux drogues est l’indice parmi d’autres d’une nature double et tourmentée. Depuis sa révélation époustouflante au festival de Monterey jusqu’au chaos des dernières tournées, les images de concerts sont le reflet criant d’un itinéraire tout sauf tranquille. La réalisatrice suggère un arrière-plan féministe à l’histoire de Janis Joplin. Mais elle ne perd jamais de vue que son film est avant tout le récit d’une vie sans pareille.
La lecture par Chan Marshall (la chanteuse connu sous le nom de Cat Power) des lettres très intimes de Janis à ses proches (jusqu’ici inédites) permet par exemple d’approcher de façon touchante le personnage et de ponctuellement agrémenter les événements de sa vie par ses impressions de ceux-ci. La reconnaissance, le succès n’y changent donc rien, Janis restera toute sa vie en marge. Et puis vient la drogue. Les soirées, la musique, Woodstock bien sûr, mais pour Janis, les shoots d’héroïne finissent par ne plus faire partie du fun. Comme l’exprimera avec justesse John Lennon, la récurrence des overdoses parmi les rock star ne vient pas questionner un mode de vie mais la pression que ces célébrités subissent. Alors qu’elle décide d’abandonner le groupe avec lequel elle eu tant de succès, Janis s’écroule sous la pression de l’enjeu et termine sa course à pleine vitesse avant même d’avoir sorti Pearl, son chef d’œuvre.
Le plus touchant dans le portrait que fait Amy Berg de Janis Joplin est la sincérité totale de cette dernière envers son art. Janis est une boule d’énergie pure mais à bien y regarder, cette énergie semble parfaitement contrôlée, ce chant parfois hurlé, ces variations vocales hasardeuses, semblent en fait totalement maîtrisées. Même défoncée au dernier degré à Woodstock, Janis déblatère quelques mots hésitants et laisse présager le pire mais dès les premières notes, sa voix prend le dessus sur la faiblesse de son corps et vient fendre l’air pour un set de légende. Pour Janis, monter sur scène c’est faire l’amour.
Lorsque le public danse sur sa musique, elle et lui ne font plus qu’un. Mais cette honnêteté émotionnelle que Janis Joplin apportait sur scène semble avoir un prix. De pouvoir être aussi sincère devant tant de personnes, de pouvoir exprimer un tel amour sans frontières, Janis le paiera par une solitude sinistre. Car comme après chaque shoot d’héroïne, il y a la descente, il en va de même après chaque concert où la communion laisse place aux pensées noires de l’isolement soudain. La scène était et restera le seul espace ou Janis Joplin se sentait bien, protégée, heureuse et c’est sur scène qu’on se souviendra d’elle.
La vie de Janis et sa gloire spectaculaire inspira une œuvre majeure du cinéma américain, The Rose, incarnée par Bette Midler. Un complément de fiction essentiel, à ce grand documentaire.
ANALYSE DU PHENOMENE JANIS JAPLIN. ON VOUS DIS TOUT ICI
Depuis le 5 septembre 1970, Janis Joplin est à Los Angeles pour y enregistrer ce qui sera son dernier disque. L’alcool la ravage, et aussi l’héroïne, à laquelle elle a de nouveau succombé. A vingt-sept ans, après quatre années d’une carrière incandescente, c’est une enterrée vivante. « Enterrée vivante dans le blues » ( Buried Alive in The blues) est du reste le titre du morceau qu’elle doit enregistrer le 5 octobre aux Sunset Sound Studios, où l’attendent ses musiciens. Mais Janis Joplin ne chantera plus. La veille, elle a succombé à une overdose, seule dans la chambre 115 du Landmark Hotel, à un bloc de Hollywood Boulevard, où son corps ne sera retrouvé que le lendemain.
Aucune femme n’aura autant marqué l’histoire tumultueuse du rock. Film sur sa vie ( The Rose, avec Bette Midler, en 1979), sites Internet, nouvelles biographies, réédition du moindre de ses enregistrements, trente ans après sa mort, la flamme n’est pas éteinte, car un communicatif désir de liberté l’habitait que les années n’ont pas altéré. Au panthéon des rock stars consumées vivantes, Janis Joplin occupe ainsi une place de choix, aux côtés de Jimi Hendrix et de Jim Morrison (The Doors), icônes emblématiques des mythiques années 60.
Elle était née le 19 janvier 1943 à Port Arthur, au Texas, au cœur de l’Amérique blanche et conservatrice. Père ingénieur dans le pétrole – toute la région en vit -, mère enseignante – un temps Janis songera à être institutrice. L’un et l’autre plutôt éclairés pour leur milieu et leur époque, l’ upper middle class des années 40. L’enfance de Janis est au diapason. C’est une charmante fillette qui fréquente assidûment l’école et l’église, porte des robes à smocks, joue au bridge et dévore les livres. On est loin de la Gorgone qui, sur scène, invectivait le public, la bouche vissée à une bouteille de Southern Comfort.
Arrive l’adolescence. Janis grossit et son visage se couvre d’acné. Plutôt renfermée jusque-là, elle réagit avec virulence aux brimades de ses condisciples qui raillent son physique ingrat. Sa personnalité s’affirme. Ce sera celle d’un vilain petit canard que les étudiants de l’Université du Texas, à Austin, éliront « l’homme le plus laid du campus ». Définitivement à part mais animée d’un formidable appétit de vivre, telle est Janis à la fin des années 50 lorsqu’elle commence à chanter en amateur.
Elle se produit alors dans les bars de la région, contre quelques pintes de bière. Sa vocation, croit-elle, est d’être peintre, mais elle s’est découvert une voix, qu’elle accompagne à la guitare ou à l’autoharpe, un instrument typique de la folk music, le genre musical où elle fait ses premières gammes. Peu à peu, son registre s’étend. Même au pays des red necks (« les cous rouges », les petits Blancs), l’influence de la musique noire se fait sentir. Janis Joplin découvre Odetta puis Bessie Smith, qu’elle idolâtrera. Elle écoute du jazz, s’imprègne de gospels et de blues. Elle travaille sa voix qui devient moins aiguë, moins nasillarde, plus bluesy, cette voix rauque et vibrante, étirée à l’infini – près de trois octaves… – qui fera bientôt d’elle une vedette.
POUR l’instant, Janis se cherche encore. Elle exerce des petits métiers et voyage, en Californie et à New York, tout en poursuivant des études par intermittence. Mais le Sud profond lui pèse, le grand large l’appelle, et c’est presque naturellement qu’au printemps 1966 elle s’installe à San Francisco, alors en pleine effervescence culturelle et musicale. L’influence de la beat generation (Ginsberg, Burroughs, Kerouac…)se fait encore sentir sur la côte Ouest des Etats-Unis malgré l’émergence du mouvement hippie. De ces deux courants, Janis Joplin fait son miel, même si elle se réclame plutôt du premier que du second : « Je ne suis pas une hippie. Les hippies croient que le monde pourrait être meilleur. Les beatniks, eux, croient qu’il ne va pas s’arranger et l’envoient au diable en se contentant d’être défoncés et de prendre du bon temps. » Défoncée, elle l’est. Depuis plusieurs années déjà, elle est « accro » à l’alcool, aux amphétamines et à l’héroïne, avec des périodes d’abstinence pour les drogues dures, auxquelles elle revient toujours. Elle a vingt-trois ans, la mort rôde et sa carrière démarre à peine.
Un jour du printemps 1966, paralysée par le trac, elle est auditionnée par un groupe de la mouvance psychédélique, Big Brother and the Holding Company, qui cherche une chanteuse. Big Brother n’a pas la notoriété de Grateful Dead ni de Jefferson Airplane, les formations phares de la baie de San Francisco, mais il a déjà un nom. Le premier concert que Janis donne en sa compagnie a lieu le 10 juin 1966 au Ballroom Avalon, une scène alternative. Elle, qui n’a jamais interprété de rock ni chanté accompagnée de guitares électriques, trouve rapidement sa place au sein de Big Brother.
Les concerts s’enchaînent, le succès grandit. Janis devient la vedette du groupe, qui enregistre un premier disque, plus un brouillon qu’une oeuvre achevée, pour un petit label de Chicago, fin 1966. L’album a simplement pour titre Big Brother and the Holding Company.
En juin 1967, le destin frappe à la porte de Big Brother. Il est invité à participer au Monterey Pop Festival, en Californie, parmi une pléiade de vedettes dont le renom surpasse de beaucoup le sien : The Mamas and the Papas, The Animals, The Who, Simon and Garfunkel… La notoriété de Janis Joplin date réellement de ce festival où elle est bouleversante. Jamais elle n’aura aussi bien chanté Ball and chain, l’un de ses grands succès, qu’elle a emprunté à Big Mama Thorton, huit minutes de blues brûlant strié de vocalises déchirantes. Don Alan Pennebaker, qui a filmé la scène ( Monterey Pop, 1969), est bluffé, comme le sont les soixante-dix mille spectateurs qui découvrent cette fille inconnue, au talent éruptif. Pennebaker raconte : « J’étais en train de la filmer. Elle portait un vêtement transparent et je pouvais voir ses seins (…), durs, tendus, les pointes dressées. J’ai compris que, pendant qu’elle chantait, elle avait atteint une véritable extase physique. Je ne sais plus si cette image est dans le film, mais elle donne parfaitement l’idée de ce qu’elle était, quelqu’un qui, concrètement, faisait l’amour avec son public. »
Janis Joplin est lancée et avec elle deux autres outsiders du festival, Jimi Hendrix et Otis Redding, qui interprète sous ses yeux une inoubliable version de Try a Little Tenderness. C’est au tour de Janis d’être bluffée par la voix soul, nimbée de cuivres d’Otis Redding, qui l’épate tellement qu’elle se met à l’étudier note à note. Mémorable s’il en fut, le festival de Monterey préfigure les grands rassemblements de Woodstock et de l’île de Wight, la fatalité en plus : trois ans plus tard, et Janis Joplin et Jimi Hendrix et Otis Redding auront disparu.
Janis et Big Brother s’emploient aussitôt à capitaliser ce succès. Ils sont désormais sous contrat avec la maison de disques Columbia Records et ont confié leurs intérêts à Albert Grossman, le manager de Bob Dylan, de Joan Baez et de Peter, Paul and Mary. En février 1968, départ pour New York, où Janis Joplin et Big Brother doivent enregistrer leur deuxième disque et donner leurs premiers concerts sur la Côte est.
Janis subjugue ce nouvel auditoire, à commencer par le critique de l’influent Times de New York qui publie sa photo à la « une » sous le titre : « Une étoile est née ». Sorti en septembre 1968, l’album Cheap Thrills est un triomphe qui occupe aussitôt le sommet des charts. Illustrée par Robert Crumb, le créateur de Fritz le chat, la pochette renferme deux petits chefs-d’œuvre : Ball and Chain d’abord et une version de Summertime, entre blues et jazz, introduite par une mélodie tirée du Clavier bien tempéré. Gershwin plus Bach plus Janis Joplin… En un mois, Cheap Thrills se vend à un million d’exemplaires.
Janis ne tire plus le diable par la queue. Elle achète une Porsche décapotable qu’elle décore de motifs psychédéliques agressifs. La Texane mal dégrossie de ses débuts vit maintenant au cœur de Haight-Ashbury, l’épicentre du mouvement hippie à San Francisco. Elle affectionne les tenues excentriques : de grandes lunettes rondes aux verres bleutés, des satins, des velours, des boas, des plumes d’autruche, une profusion de bijoux de pacotille… Elle a beau ne pas s’intéresser à la politique – la mobilisation contre la guerre du Vietnam bat son plein -, elle passe pour une redoutable contestataire, au point d’être interdite de concert un jour à Houston (Texas) pour son « comportement général ».
L’Amérique profonde réagit violemment aux « motherfucker » dont cette mégère psychédélique agrémente ses apparitions publiques. Et les braves gens s’exaspèrent des débordements du Flower Power qui se veut pourtant pacifiste ( « Si vous venez à San Francisco, n’oubliez pas les fleurs dans vos cheveux », chante alors Scott McKenzie, l’interprète du mièvre San Francisco). Ronald Reagan, qui est à l’époque gouverneur de Californie, ironise : « Un hippie, c’est quelqu’un qui s’habille comme Tarzan, qui a les cheveux de Jane et sent comme Cheetah. »
Janis s’enivre de ce tourbillon mais, sous ses apparences de bad girl comblée, elle est seule. Elle multiplie les liaisons sans lendemains, masculines et féminines, qui la laissent sur sa faim d’affection, un jour dans les bras d’un inconnu, un autre dans ceux de Jim Morrison, de Kris Kristofferson ou de Country Joe McDonald. L’une de ses liaisons d’un soir, Leonard Cohen, a mis en musique dans Chelsea Hotel, l’une de ses compositions, les instants doux-amers partagés à New York avec une femme de passage qui n’est autre que Janis : « I remember you well in the Chelsea Hotel… » « Je me souviens très bien de toi au Chelsea Hotel. Tu me parlais avec tant de courage et de douceur. Tu me suçais sur le lit défait pendant que les limousines attendaient dans la rue (…). Tu étais célèbre (…)et tu as dit : »On est moche mais on a la musique ».
Le triomphe de Cheap Thrills accélère l’éclatement de Big Brother and the Holding Company. Janis aspire depuis quelque temps déjà à former un groupe auquel elle ne devrait rien. Elle est tentée par d’autres expériences musicales où les cuivres tiendraient la vedette plutôt que les guitares. Sa nouvelle formation s’appelle le Kozmic Blues Band. De cette expérience sans grand relief, il reste un disque, I got dem ol’Kozmic Blues Again Mama ! (1969), et quelques enregistrements live, des concerts accueillis fraîchement par la critique. Janis en fut mortifiée. C’est avec le Kozmic Blues Band qu’elle monte sur scène à Woodstock au mois d’août 1969, dans le comté de Bethel (Etat de New York) où ont convergé des dizaines de milliers de jeunes Américains pour trois jours de musique, d’amour et de paradis artificiels. Janis est soûle, défoncée. Bouffie, les cheveux collés au visage, elle tient à peine debout. Le miracle, c’est qu’elle parvient quand même à chanter – si mal qu’elle en est pathétique.
La page du Kozmic Blues Band est vite tournée. Voici Janis entourée de nouveaux musiciens, le Full Tilt Boogie Band, pour un ultime témoignage de son talent débordant. C’est avec eux qu’elle entre en studio à Los Angeles, à la fin de l’année 1970, pour y enregistrer Pearl, son album posthume, son dernier cri. Le 25 septembre, après quelques jours de répétitions, plusieurs morceaux sont terminés dont le fameux Me and Bobby McGee, écrit par Kris Kristofferson et promis à un immense succès. De ce morceau, où Janis Joplin est au sommet de son art, il existe une autre version où elle s’accompagne seule à la guitare (cette version figure avec d’autres raretés sur le triple album Janis, Columbia/Legacy 491394 2). Même diminuée par la drogue et l’alcool, la voix de Janis n’a jamais été aussi envoûtante.
Le samedi 3 octobre 1970, le Full Tilt Boogie Band a terminé l’enregistrement de la partie instrumentale de Buried Alive in The Blues à laquelle Janis doit ajouter sa voix le lundi suivant. Elle est au sommet de son art, mais elle est plus vulnérable que jamais. Seth Morgan, un type peu recommandable avec lequel elle a conçu de vagues projets de mariage, est retourné à San Francisco, la laissant seule à L. A. Depuis quelques jours, malgré la satisfaction que lui procurent les enregistrements aux Sunset Sound Studios, les pulsions autodestructrices de Janis ont repris le dessus. Aucune mise en garde ne la retient au bord du précipice. Lorsqu’elle a appris la mort de Jimi Hendrix, par overdose, peu de temps auparavant, elle a dit simplement : « Je me demande si pour moi il y aura autant de publicité. »
Par testament, elle laisse un chèque de 2 500 dollars pour une fête qui, souhaite-t-elle, réunira tous ses amis. Le carton d’invitation porte la mention : « Drinks are on Pearl » (les boissons sont offertes par Pearl, son surnom). Quelques jours plus tard, ses cendres seront dispersées en mer au large de San Francisco.