Home Auteurs Publication de Pierre Bryant

Pierre Bryant

Pierre Bryant
108 PUBLICATION 0 COMMENTAIRES
Cinéphile depuis mon plus jeune âge, c'est à 8 ans que je suis allé voir mon 1er film en salle : Titanic de James Cameron. Pas étonnant que je sois fan de Léo et Kate Winslet... Je concède ne pas avoir le temps de regarder les séries TV bonne jouer aux jeux vidéos ... Je vois en moyenne 3 films/jour et je dois avouer un penchant pour le cinéma d'auteur et celui que l'on nomme "d'art et essai"... Le Festival de Cannes est mon oxygène. Il m'alimente, me cultive, me passionne, m'émerveille, me fait voyager, pleurer, rire, sourire, frissonner, aimer, détester, adorer, me passionner pour la vie, les gens et les cultures qui y sont représentées que ce soit par le biais de la sélection officielle en compétition, hors compétition, la semaine de la critique, La Quinzaine des réalisateurs, la section Un certain regard, les séances spéciales et de minuit ... environ 200 chef-d'œuvres venant des 4 coins du monde pour combler tous nos sens durant 2 semaines... Pour ma part je suis un fan absolu de Woody Allen, Xavier Dolan ou Nicolas Winding Refn. J'avoue ne vouer aucun culte si ce n'est à Scorsese, Tarantino, Nolan, Kubrick, Spielberg, Fincher, Lynch, les Coen, les Dardennes, Jarmush, Von Trier, Van Sant, Farhadi, Chan-wook, Ritchie, Terrence Malick, Ridley Scott, Loach, Moretti, Sarentino, Villeneuve, Inaritu, Cameron, Coppola... et j'en passe et des meilleurs. Si vous me demandez quels sont les acteurs ou actrices que j'admire je vous répondrais simplement des "mecs" bien comme DiCaprio, Bale, Cooper, Cumberbacth, Fassbender, Hardy, Edgerton, Bridges, Gosling, Damon, Pitt, Clooney, Penn, Hanks, Dujardin, Cluzet, Schoenaerts, Kateb, Arestrup, Douglas, Firth, Day-Lewis, Denzel, Viggo, Goldman, Alan Arkins, Affleck, Withaker, Leto, Redford... .... Quant aux femmes j'admire la nouvelle génération comme Alicia Vikander, Brie Larson, Emma Stone, Jennifer Lawrence, Saoirse Ronan, Rooney Mara, Sara Forestier, Vimala Pons, Adèle Heanel... et la plus ancienne avec des Kate Winslet, Cate Blanchett, Marion' Cotillard, Juliette Binoche, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Meryl Streep, Amy Adams, Viola Davis, Octavia Spencer, Nathalie Portman, Julianne Moore, Naomi Watts... .... Voilà pour mes choix, mes envies, mes désirs, mes choix dans ce qui constitue plus d'un tiers de ma vie : le cinéma ❤️

BATTLE OF THE SEXES DE JONATHAN DAYTON ET VALERIE FARIS

0

BATTLE OF THE SEXES

hero_Battle-of-the-Sexes-TIFF-2017

La reconstitution d’un match de tennis, symbole de la lutte féministe des années 70… mais où il n’est question ni de tennis ni de féminisme. Cherchez l’erreur.

Réalisateurs : Jonathan Dayton – Valerie Faris
Acteurs : Steve Carell, Andrea Riseborough , Emma Stone
Scénario : Simon Beaufoy
Direction artistique : Alexander Wei
Décors : Judy Becker
Costumes : Mary Zophres
Photographie : Linus Sandgren
Montage : Pamela Martin
Musique : Nicholas Britell
Production : Danny Boyle, Christian Colson et Robert Graf
Distributeur : 20th Century Fox
Date de sortie : 22 novembre 2017
Durée : 2h01mn

battle-of-the-sexes-affiche-8b9e9

D’après une histoire vraie. 1972, Billie Jean King, championne de tennis, titulaire de trois titres du Grand Chelem, s’engage pour l’égalité des hommes et des femmes, à commencer par le respect sur les courts de tennis. C’est alors que l’ancien numéro un mondial Bobby Riggs, notoirement misogyne et provocateur, lui lance un défi : l’affronter en match simple…

59cac2445dad0.image

Après le triomphe de Little Miss Sunshine en 2006, le Valerie Faris et Jonathan Dayton avaient déjà subi un revers sévère avec l’échec commercial de leur Elle s’appelle Ruby en 2012, mais retentent ici leur chance en reconstituant un affrontement sportif qui, en 1971, marqua une date importante dans la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes.

369185.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx

Il s’agit du match de tennis entre la numéro 1 mondiale Billie Jean King et l’ancien champion Bobby Riggs. Dans le rôle de ce grand provocateur borderline, le choix de Steve Carell semblait une évidence. Retrouver Emma Stone dans la peau de la tenniswoman est toutefois bien plus surprenant, tant sa récente carrière semblait l’avoir enfermée dans une image glamour qu’elle semble ici s’amuser à casser.

battle3

La présence de ces deux acteurs populaires ne suffit toutefois pas à assurer au film un quelconque succès. En revanche, il aurait pu être intéressant de découvrir par quelle approche les deux réalisateurs ont abordé la thématique, peu exploitée au cinéma, du féminisme sportif.

battle-of-the-sexes-20174685

Tandis que le film commence, et que l’on suit parallèlement les deux futurs rivaux, tout semble indiquer que le scénario va chercher à comprendre quel mécanisme les a menés vers ce match d’exposition. Pourtant, le peu d’informations données sur les deux protagonistes, dans cette exposition, laisse les enjeux du film assez abstraits.

Battle-of-the-Sexes-2017-2-Full

Après quoi, le long-métrage donne de moins en moins de place au rôle de Carell, préférant se concentrer sur les personnages féminins, le renvoyant vers un manichéisme tout ce qu’il y a de plus consensuel. Une seule certitude apparaît cependant de ces premiers instants : il ne s’agit pas du tout d’une comédie. Même si les couleurs outrancièrement bariolées des décors et costumes peuvent prêter à sourire, le ton humoristique n’est pas ce que recherchent les réalisateurs.

battle-of-the-sexes-slider

Les enjeux sportifs ne sont pas non plus leur centre d’intérêt puisqu’il faudra attendre pas moins d’une heure pour assister à la première scène de match de tennis. Alors que Borg/McEnroe, qui sort le même mois, expose bien plus aisément le potentiel cinégénique de ce sport, la façon dont il est filmé ici, toujours à distance, exactement comme à la télévision, rend ces passages, dont le soi-disant climax, terriblement maussades.

emma-stone-battle-sexes

Peu importe, puisque ceux-ci ne représentent au final pas plus d’une quinzaine de minutes sur l’ensemble des deux heures film. Le sujet du féminisme ne semble pas non plus intéresser le scénariste Simon Beaufoy (Full Monty, Slumdog millionnaire). L’image qu’il donne de ces sportives obsédées par leurs tenues est même quelque peu sexiste.

la-bataille-des-sexes-photo-trailer-987833

En l’absence d’enjeux sportifs, l’unique intrigue qui anime cette première heure très verbeuse est liée à l’homosexualité non assumée de son héroïne. Le suspense ne repose que sur la crainte de Billie Jean King que son mari découvre qu’elle le trompe avec sa coiffeuse. Pourtant, la scène où ces deux derniers se croisent ne parvient pas à susciter de réelle tension.

maxresdefault

Ce déficit est symptomatique d’une réalisation qui, dans son ensemble, manque cruellement de rythme et d’intensité. Celles-ci ne naîtront que lors des quelques effets de montage mettant en parallèle l’entraînement de King d’un côté et les provocations graveleuses de Riggs de l’autre. De courts passages qui se comptent sur les doigts d’une main mais dans lesquels on retrouve le cabotinage de Carell qui a pu permettre aux distributeurs de vendre le film comme une fantaisie comique.

battle3

Au bout du compte, et malgré l’artificialité clinquante de la direction artistique, Battle of Sexes est un film austère et surtout un récit complètement hors-sujet. Le pamphlet LGBT – car c’est exactement ce que l’ultime réplique nous rappelle ouvertement qu’il est – aurait tout eu à gagner de se faire en dehors de l’univers du tennis féminin.

hero_Battle-of-the-Sexes-TIFF-2017

Quant à la place faite à la thématique de la libération des femmes, elle ne se justifie qu’à la condition d’adhérer à cette idée foncièrement misogyne que le lesbianisme serait une inévitable dérive du féminisme. A côté de la plaque du début à la fin.

1/10

LA LUNE DE JUPITER DE KORNEL MUNDRUCZO

0

LA LUNE DE JUPITER

lune-jupiter-visuel2

Avec ce film hybride au carrefour du cinéma social et de genre, Kornel Mundruczo en dit malheureusement plus sur sa vanité qu’il ne parvient à prendre la défense des laissés pour compte et opprimés de l’Europe.

Réalisation : Kornél Mundruczó
Scénario : Kornél Mundruczó et Kata Wéber
Photographie : Marcell Rév
Montage : Dávid Jancsó
Musique : Jed Kurzel
Acteurs : Merab Ninidze, György Cserhalmi, Mónika Balsai

Date de sortie : 22 novembre 2017
Durée : 1h40mn
Festival : Festival de Cannes 2017, L’Etrange Festival 2017
– Film présenté en compétition du Festival de Cannes 2017
– Grand Prix Etrange Festival 2017

la_lune_de_jupiter_affiche-2c74c

Un jeune migrant se fait tirer dessus alors qu’il traverse illégalement la frontière. Sous le coup de sa blessure, Aryan découvre qu’il a maintenant le pouvoir de léviter. Jeté dans un camp de réfugiés, il s’en échappe avec l’aide du Dr Stern, qui nourrit le projet d’exploiter son extraordinaire secret. Les deux hommes prennent la fuite en quête d’argent et de sécurité, poursuivis par le directeur du camp. Fasciné par l’incroyable don d’Aryan, Stern décide de tout miser sur un monde où les miracles se monnayent.

cinema_-_hongrie_-_kornel_mundruczo_-_la_lune_de_jupiter_-_2017

Tandis que des réfugiés par dizaines rallient de nuit dans un silence de mort la Hongrie en passant par la Serbie, ils sont pris d’assaut par la police hongroise des frontières, qui n’hésite pas à les exterminer en alléguant une menace imaginaire. Comme beaucoup d’entre eux, Aryan est blessé par balles alors qu’il tente de prendre la fuite.

la-lune-de-jupiter-affiche-987889-large

Plus tard, dans le centre médical de fortune où il reçoit des soins, il croise la route de Stern, médecin corrompu ayant pour habitude de faire entrer des réfugiés sur le territoire en échange d’importantes sommes d’argent. En jetant un œil sur le patient, Stern assiste stupéfait à sa lévitation.

la-lune-de-jupiter-critique-film

Pour ce dernier qui perçoit la religion comme la clé de voûte de tous les maux du monde, c’est le début d’une rédemption épineuse, lent retour vers la croyance et la morale. Conscient de l’attraction mercantile que peut susciter le pouvoir d’Aryan, Stern l’utilise bientôt pour bercer le tout-venant sous des prétendus miracles, avant de douter lui-même de sa défiance à l’égard d’une transcendance.

la-lune-de-jupiter-photo-987548

À l’heure où les idées liberticides et souverainistes du premier ministre de Hongrie Viktor Orbán gangrènent la politique intérieure et extérieure du pays, la thématique adoptée par Kornel Mundruczo trouve une belle résonance. La fiction, dans cette mesure, peut prétendre embrasser le réel.

la-lune-de-jupiter-photo-1004935

Pourtant, l’ambivalence programmatique de La Lune de Jupiter menace à mesure que le récit vire au pensum grandiloquent, l’intégrité du long-métrage. Ce n’est pas tant la nature hybride du film, qui prend prétexte d’un sujet social – la gestion des flux de réfugiés et migrants sous le régime autoritaire hongrois – pour articuler une sorte de film de genre entre action et fantastique, que son caractère emphatique et sentencieux qui lui donne cet aspect si fragile et factice.

la-lune-de-jupiter-photo-1004936-large

Car au-delà de la posture politique tenue par Mundruczo, le film s’avère trop bouffi d’orgueil dans sa forme pour ne serait-ce que formuler un constat alarmiste de la trajectoire du pays. Il ne fait aucun doute que le cinéaste a des désirs de cinéma. La multitude d’effets déployés par ce dernier, du plan séquence entre Les Fils de l’Homme et Victoria (celui de Sebastian Schipper) aux effets numériques tape-à-l’œil en passant par les poursuites en voiture cadrées façon Besson, tout laisse un arrière-goût étrange.

la-lune-de-jupiter-photo-1004937

En un sens, le fait de faire plier le film d’auteur sous un réseau de codes hérités du film d’action ou de l’entertainment incarne même quelque chose d’un peu provocant, comme cette façon plutôt gratuite car ne trouvant aucune justification dans le récit de filmer le corps des femmes. Nul doute, en somme, qu’il y a comme à l’accoutumée du style chez Mundruczo. Pour autant, la digestion risque pour cette fois d’être assez délicate tant la caméra ne démord jamais de cet égo-trip à travers lequel nous emmène le cinéaste.

la-lune-de-jupiter-photo-zsombor-jeger-merab-ninidze-1000372

Avec ses impacts de balles comme autant de traces laissées par les clous, Aryan symbolise un Christ ressuscité – le moment où il annonce que son père est charpentier fait d’ailleurs glisser le film vers la proto-comédie.

lune-jupiter-visuel3

À force d’aller-retours entre rire et tragédie, entre métaphysique et sensitif, il apparaît difficile de stabiliser la démarche de Mundruczo. S’il est plaisant de voir comment celui-ci représente un monde où toutes les croyances ne reposent que sur l’argent – même le sexe -, les discours, images et musiques confinent le plus souvent au Saint-sulpicien.

lune-jupiter-visuel4

Reste cette anecdote posée en amorce du film, qui met en lumière une Lune autour de Jupiter où une vie extra-terrestre pourrait exister dans les mers. Détail qui renvoie certes allégoriquement aux migrants, perçus comme des extra-terrestres et échouant dans les océans, mais qui ferait d’Aryan une créature loin de la figure du Messie.

lune-jupiter-visuel5-8c3a5

Incapable, quoi qu’il en soit, de se placer clairement dans une optique de dénonciation ou de démonstration maniériste, Kornel Mundruczo échoue à convaincre que l’objet de son film n’est autre que lui-même.

6/10

ICE MOTHER DE BOHDAN SLAMA

0

ICE MOTHER

La love story inattendue et décomplexée d’un couple senior doté d’un anti-conformisme réjouissant.

Réalisateur : Bohdan Slama
Acteurs : Zuzana Kronerova , Pavel Novy , Daniel Vizek
Titre original : Baba z ledu
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : Français, Tchèque, Slovaque
Distributeur : Why Not Productions
Date de sortie : 22 novembre 2017
Durée : 1h46mn
Festival : Festival d’Arras

aff._ice-79f4c

Après la mort de son mari, Hana a continué à habiter la villa familiale, seule. Ses deux fils lui rendent régulièrement visite, accompagnés de leur femme et enfants respectifs, mais les repas de famille se terminent bien souvent en disputes…

Lorsque Hana rencontre Broňa en le sauvant de la noyade, elle fait connaissance avec un sympathique groupe de nageurs en eau libre : un tout nouveau monde s’ouvre à elle. Les amis de Broňa l’intègrent à leur joyeuse bande et initient progressivement Hana à la natation en eau glacée. Sa relation avec Broňa évolue peu à peu, en même temps qu’elle se rapproche de son petit-fils et prend de la distance avec les querelles de ses enfants.

ice_mother_affiche3

Hana, cette « mère glacée » de 67 ans subit la froideur et l’égoïsme de ses fils mais irradie de générosité et ne rêve que de partages. Sa vie solitaire n’a pourtant rien de bien gai dans sa maison peu chauffée et inconfortable. Tous les week-ends, elle passe des heures à cuisiner pour ses enfants et ses petits-enfants sans jamais en être remerciée.

Petr, son fils aîné, est un fonctionnaire mal payé. Il ne vit que pour sa collection de livres rares qui grévent le budget familial. Pour les soustraire à la vue de sa femme, il réquisitionne tout le premier étage de la maison de sa mère. Le fils cadet Ivan et sa femme, fiers d’afficher des carrières professionnelles leur assurant un train de vie luxueux, méprisent ouvertement cette femme âgée toujours prête à rendre service et n’hésitent pas à l’exploiter sans ménagement comme bonne à tout faire.

ice-mother

Ils n’accordent guère plus d’attention à leur fils Ivanek, un gamin sensible d’une dizaine d’années, qu’ils abandonnent à ses jeux vidéo. C’est ce rejet commun qui conduit du même pas assuré grand-mère et petit-fils vers une rencontre libératrice et donne l’occasion au cinéaste tchèque Bohdan Slama de prendre une fois encore, après, entre autres Something like happiness en 2005 et The country teacher en 2008, la défense des bonheurs familiaux en péril.

01-Ice-Mother

Si la première partie se consacre de manière un peu trop appuyée aux drames familiaux et souffre d’un ton conventionnel, l’arrivée de ces nageurs givrés, passionnés de concours en eau glacée nous transporte instantanément dans un univers de chaleureuse tendresse et de gentille loufoquerie qui n’a rien de refroidissant. Brona, l’homme à qui Hana tend la main lorsqu’il manque de se noyer, est un personnage atypique.

ice_mother_affiche1

Il vit dans un bus délabré dans lequel il héberge une colonie de poules, dont la redoutable Adela, sa préférée, qui ne manque pas d’exprimer sa jalousie vis-à-vis d’Hana. La vie de Brona n’a sans doute pas été toujours exemplaire mais grâce à lui, Hana et encore bien plus Ivanek échangent le matérialisme prétentieux qui leur était jusqu’alors imposé contre une tranche de vie constituée de simplicité et d’une délicate humanité.

tff17_ice_mother_1-h_2017

C’est la première fois que Bohdan Slama (également scénariste) met en scène un couple de personnes âgées et la tendresse qu’il éprouve pour ces esprits plus libres que ceux d’une jeunesse formatée au consumérisme est palpable. La caméra, proche des visages et des corps, nous fait partager le bonheur que le réalisateur prend à filmer leurs joies, leurs peines, leurs émotions, leurs attentes, prenant même le risque d’aborder, non sans humour, le sujet tabou de la sexualité du troisième âge.

O7Ln6Jx-720x460

Tournant le dos à toute forme de misérabilisme, il s’applique à gommer le gris du ciel de l’hiver tchèque à l’aide de plans d’intérieurs douillets et de maillots de bain colorés, égayant chaudement l’image de l’eau gelée. Entre subtilité légère et bonheur précaire, Bohdan Slama nous enchante d’une chronique de l’existence ordinaire, portée bien haut par le talent de son actrice fétiche, Zuzana Kronerova, qui, associé à la spontanéité de Pavel Novy, nous réservent de beaux moments de dignité et de chaleur humaine.

8/10

C’EST TOUT POUR MOI DE NAWELL MADANI

0

C’EST TOUT POUR MOI

0567178.jpg-r_640_360-f_jpg-q_x-xxyxx

Il ne fait aucun doute que Nawell Madani a le sens du bon mot et que son envie de raconter son parcours personnel est louable, mais son film se perd en digressions romanesques, anachroniques et souvent hors sujet.

  • Réalisation : Nawell MadaniLudovic Colbeau-Justin
  • Scénario : Nawell Madani, Ali Bougheraba, Matt Alexander, Kamel Guemra
  • Image : Thomas Lerebour
  • Décors : Daniel Ravaz
  • Costumes : Charlotte Betaillole
  • Son : Antoine Deflandre
  • Montage : Jeanne Kef
  • Musique : Masta
  • Interprétation : Nawell Madani (Lila), François Berléand (Fabrice), Mimoun Benabderrahmane (Omar), Leyla Doriane (Malika), Antoinette Gomis (Prudence)
  • Distributeur : UGC Distribution
  • Date de sortie : 29 novembre 2017
  • Durée : 1h43

c_est-tout-pour-moi-affiche

Depuis toute petite, Lila veut devenir danseuse, n’en déplaise à son père. Elle débarque à Paris pour réaliser son rêve… Mais de galères en désillusions, elle découvre la réalité d’un monde qui n’est pas prêt à lui ouvrir ses portes. A force d’y croire, Lila se lance dans une carrière d’humoriste. Elle n’a plus qu’une idée en tête : voir son nom en haut de l’affiche, et surtout retrouver la fierté de son père.

1117847.jpg-r_640_360-f_jpg-q_x-xxyxx

Peu nombreux sont les humoristes à avoir réussi l’épreuve de signer, que ce soit en temps de scénariste et/ou réalisateur (souvent les deux), un long métrage qui tienne la route et rencontre son public.

109664988_o

Et encore parmi ces rares comiques aptes à ne rien perdre de leur capacité à faire rire en passant derrière la caméra, la plupart s’étaient précédemment exercé à la réalisation pour le petit écran. En effet, écrire le texte d’un one-man-show ou de sketchs courts et écrire un scénario de film sont deux exercices radicalement différents. Cette difficulté à construire un récit cohérent et soutenu sur la durée, il semble que Nawell Madani l’ai sous-estimée.

2003164

La comique belge, découverte il y a dix ans grâce au Jamel Comedy Club et vue pour la première fois sur grand écran dans Alibi.com, a pourtant tenu à écrire un scénario en guise de déclaration d’amour à ses parents via une autobiographie très intimiste. Difficile de ne pas être touché devant une telle intention, même si le parti pris d’exclure sa mère du récit rend aussitôt le dispositif assez discutable.

7358775_0615ac4e-bb22-11e7-9cd4-f9b51efd44ae-1

Si le fait que Nawall joue son propre rôle apparaît comme une bonne idée, qu’elle l’ait renommé Lila atténue une fois encore le degré d’authenticité de son récit. Sa volonté apparente de nous raconter, en le faisant vivre à son alter ego, certains de ses souvenirs les plus douloureux de sa prime jeunesse, dont l’accident qui l’a momentanément défigurée et les complexes qui en sont nés, poussent pourtant à rendre cette mise à nu attendrissante.

18533411-22655557

Cependant, l’écriture construite comme une série de petites saynètes, tour à tour comiques et mélodramatiques mais jamais assez longues pour alimenter une dramaturgie, empêche aux émotions de se mettre en place. Le premier constat de cette construction brouillonne est que son auteur n’a aucune idée de ce qu’elle veut raconter.

109664971_o
Qu’elle préfère filmer les chorégraphies des jeunes actrices plutôt que la façon dont elle s’est forgé une répartie cinglante et le rôle que son père y a joué (un lien qui reviendra au cœur de la fin du film mais limité ici à une unique saynète) est certainement le meilleur exemple de la dérive hors sujet vers lequel elle dérape constamment.

7790386431_c-est-tout-pour-moi

L’introduction -via des hashtags anachroniques- des personnages qui étaient vraisemblablement ses amies d’enfance est une preuve de sa volonté de leur rendre hommage. Pourtant, le peu d’influence de ces jeunes filles sur les événements les rendent moins légitimes à être intégrées à ce scénario qu’un développement des sacrifices de son père et ce à quoi ils ont abouti, à savoir une opération chirurgicale salvatrice qui elle aussi n’est qu’évoquée.

18533411-22655557
Étrangement, alors que le moteur de la reconstitution de la carrière de l’humoriste semble être son authenticité, elle y intègre à mi-parcours un passage en prison qu’elle reconnaît ne pas lui être arrivé personnellement mais inspiré par l’expérience d’une de ses amies qui elle a également rendre hommage.

c_est_tout_pour_moi_s

L’écriture commence alors à s’apaiser, comme pour illustrer la maturité acquise par son personnage, mais n’en reste pas moins une succession de scènes trop courtes pour profiter des performances des acteurs amateurs même si quelques-unes sortent suffisamment du lot pour faire exister leur personnage. Que cette incarcération fictive soit présentée comme l’élément déclencheur qui l’a menée sur la voie du stand-up laisse toutefois un flou incommodant sur la réalité du parcours de la réalisatrice.

c_est-tout-pour-moi-1
Cette mystification est d’autant plus inopportune que les scènes qui suivent directement, et qui nous font découvrir les coulisses d’un spectacle de stand up, sont très certainement les meilleurs moments du film. On ne peut en fin de compte que regretter un scénario non entièrement consacré à cet univers car une petite vingtaine de minutes via des effets de montage empêche une réelle immersion. Bizarrement, ce n’est pas non plus le moment où le film est le plus drôle.

c_est-tout-pour-moi-2

Dès l’instant où l’on intègre la mécanique interne qui fait des rires du public une valeur ajoutée, les punchlines n’apparaissent plus comme un effet comique, ce qui rend leur réception d’autant plus enrichissante. Mais, encore une fois, le laps de temps est trop court pour en profiter pleinement.

109664971_o

On ne retrouvera la pure sincérité de l’écriture que dans les dernières minutes du film, dans un happy end qui réussit à ne pas sombrer dans l’explosion de mièvrerie larmoyante. De quoi nous rappeler que cette spontanéité aurait gagné à être le fil conducteur de Nawell Madani. Une démarche entièrement honnête lui aurait même permis de rendre, à défaut d’un film bien réalisé, un hommage touchant à ses parents et à l’influence qu’ils ont implicitement eu sur sa carrière.

c_est-tout-pour-moi-3

Au lieu de cela, elle a fait le choix du récit romanesque douteux et de la private joke en guise de clins d’œil à ses proches. Si encore elle s’était autorisée à donner son nom à son personnage d’humoriste talentueuse, on serait probablement sorti de la séance avec l’envie de la voir sur scène, mais le caractère fictionnel du film est également un frein à cet effet auto-promotionnel.

c_est-tout-pour-moi-bandeau

N’être ainsi pas allé jusqu’au bout de son envie de se confier est décidément contre-productif dans le cadre d’un long-métrage… Dommage, ça aurait sans doute fait un bon spectacle.

L’ANALYSE

Autobiographie plus ou moins fictionnalisée de Nawell Madani, C’est tout pour moi raconte l’ascension professionnelle de Lila (jouée par Madani elle-même), épousant ainsi la traditionnelle structure de la success story. Lila-Nawell s’étant tournée vers le stand-up, le film n’a d’autre projet que la célébration banale du performing verbal.

109664988_o

Le résultat ressemble finalement à un étalage de performances, à mi-chemin entre le conte de fée (le succès d’un rêve d’enfance) et la carte de visite – l’éloge des talents humoristiques de Nawell Madani. La narration elle-même, optant pour l’efficacité, précipite les péripéties pour aboutir au plus vite aux séquences de spectacle : en un raccord, Lila quitte Bruxelles et arrive à Paris ; en une arnaque (qu’elle subit), elle se retrouve en prison ; et en une scène d’échanges de vannes, elle décide d’abandonner la danse pour le stand-up.

c_est-tout-pour-moi-slider

La gloire de mon père

Avec une certaine lucidité, la réalisatrice cerne assez bien l’origine de son désir de petite fille : le contrôle intrusif de son père, Omar, opposé à une carrière d’artiste pour Lila. Son ambition et sa motivation apparaissent donc comme un catalyseur œdipien, soit une volonté un peu terre-à-terre d’émancipation familiale et non un pur appel au libre-arbitre.

c-est-tout-pour-moi

La dernière partie du film résume assez bien ces intentions : Lila, écœurée du monde du spectacle (alors qu’elle a réussi à obtenir un contrat solide), retourne vivre une existence paisible auprès de son père – étonnante boucle narrative, puisque la protagoniste revient d’elle-même à son point de départ. Convaincue par son mentor (incarné par François Berléand) de reprendre sa carrière, elle monte alors un ultime spectacle qui scellerait définitivement son avenir.

0567178.jpg-r_640_360-f_jpg-q_x-xxyxx

Lors de la dernière séquence, juste avant la représentation, la caméra s’attarde sur le père, s’engouffrant dans la salle du théâtre, alors qu’il avait toujours refusé de venir voir sa fille. Lila entre en scène, et Omar, filmé en contre-plongée, observe, abasourdi, l’acclamation du public, que l’on voit à l’arrière-plan, comme si c’était lui qui était applaudi.

2003164

Si l’éloge des joutes verbales sonne creux, le film, malgré sa structure narrative hasardeuse, a toutefois l’honnêteté de rendre hommage aux sources d’inspiration de son auteure, entreprise bien plus conservatrice que son sujet d’émancipation laissait entendre.

18533411-22655557

5/10

Coco de Lee Unkrich et Adrian Molina

0
L’ANALYSE

Le premier plan de Coco prend quelque peu de court, de la part d’une production Pixar. Une paire de mains âgées surgit dans le cadre en gros plan, affairée à des rites aux allures funèbres. Le titre du film surgit à son tour, et la voix off du héros commence sa narration sur fond de guirlandes de papier animées.

coco-teaser-trailer-005-470x310@2x

C’est la voix d’un petit garçon, donc les mains ne lui appartenaient pas – on trouvera plus loin qu’elles pourraient être celles de sa grand-mère. Il est rare qu’un film Pixar semble nous faire entrer aussi directement et frontalement dans l’action, voire au contact avec son sujet.

coco-pixar

C’est une frontalité apparente qui interpelle, et rend d’autant plus attentif à la suite ; même si, paradoxalement, celle-ci s’avère un peu moins surprenante et moins intimiste, cette ouverture laisse entendre un rapport plus fragile du film à sa matière, empreint d’une certaine urgence de se rapprocher du cœur de celle-ci.

disney-pixar-coco

Investissant cette fois pour décor le folklore musical et funéraire mexicain, la maison Pixar revisite de nouveau le thème dont elle a fait son principal terreau et fonds de commerce : le rapport au souvenir, son culte, son regret voire sa réinvention.

disney-pixar-coco-movie-still

Derrière sa prémisse classique de conflit entre aspiration individuelle et héritage (le petit Miguel, rejeton d’une dynastie de cordonniers, fait le désespoir de sa famille en s’obstinant à vouloir devenir musicien), l’enjeu du récit de Coco revient à la reconstitution d’une mémoire collective meurtrie (collective, sachant qu’à un niveau individuel elle n’existe que dans l’imagination de l’enfant).

Film-Coco-2017-Wallpaper

Cela consiste à ramener une branche déchue de l’arbre généalogique, celui-ci figuré par les photos en arborescence dans l’oratoire familial – la branche manquante étant au sommet, la photo déchirée d’un ancêtre voué aux gémonies – et musicien, justement – dont l’identité et le visage restent mystérieux.

Film-coco-pixar-2017

La célébration du Día de los Muertos, ce jour de l’année où vivants et défunts se rapprochent, offre à l’enfant l’occasion d’aller chercher de quoi combler ce manque au seul endroit où cela semble encore possible : l’au-delà, refuge de ceux qui ne peuvent plus exister que dans les souvenirs – à moins qu’on ne les oublie définitivement.

how-a-harsh-criticism-turned-coco-into-pixars-most-uniquely-made-movie-yet

Or, et ce pourrait être une spécificité de Coco parmi les films Pixar, cette quête de la mémoire est compliquée – et plus seulement motivée – par l’intervention de l’autre donnée qui alimente cette filmographie : la mythologie (celle qui sert de décor à chaque nouveau film).

maxresdefault

Ou plus exactement les mythologies, les imaginaires : celui qu’a adopté le personnage (il présume que son idole musicale, un mariachi super-star, est aussi son mystérieux aïeul), mais aussi l’imaginaire mexicain sur le monde des morts, incarné à grands frais par le savoir-faire numérique (population de squelettes, cité gigantesque, créatures fantastiques…).

os-new-trailer-for-pixar-s-coco-brings-out-the-dead-20170612

Vivent les morts !

Ainsi tout le film est-il articulé autour de la rencontre conflictuelle entre ces deux vues de l’esprit, entre leurs représentations, leur visibilité. Dans le monde vivant, l’imaginaire de Miguel tient dans son petit refuge sous les combles d’une maison, aménagé en oratoire rempli de disques de son idole autour de la petite télé diffusant ses prestations ; il n’existe que dans ces traces du passé.

photo_1-35

L’autre monde, lui, est une incarnation concrète et imposante d’un imaginaire collectif passé par l’industrie Pixar : les couleurs y sont plus vives, les espaces plus grands, même les écrans – ceux où le chanteur idolâtré par Miguel, et narcissique jusque dans la mort, reproduit lui-même son image passée et présente – plus larges. Tout y est si démonstratif (comme l’envers de ce qui est implicite du point de vue des vivants) que même l’oubli d’un défunt y est représenté visuellement, par sa dissolution dans l’espace.

photo_2-41

Ce que le film synthétise et orchestre ainsi tient alors du paradoxe, celui de son happy-end : de cette rencontre des illusions doit découler le surgissement d’un souvenir, un vrai – mais aussi la réunion des vivants et des morts dans le visible, soit un « Jour des morts » représenté en prenant pleinement parti pour ce que l’imagerie populaire en imagine.

photo_3-23

Le processus pour y parvenir peut paraître imposant, avançant parfois au pas de charge avec une linéarité un peu décevante, mais cela rend encore plus prégnant l’apaisement que constitue le dénouement de réconciliation. On pourra toujours repenser, non sans une certaine nostalgie, à l’époque des premiers films où Pixar – pas encore « Disney•Pixar » – faisait montre d’un peu plus de grâce dans son savoir-faire, et où le fond de son imaginaire n’était pas encore un fonds de commerce.

slider-42

Mais, à l’aune du premier plan de Coco et de ce que le film atteint au bout d’un parcours semé d’embûches, on pourra constater que la firme, derrière son métier de belle machine bien rodée, reste capable de toucher authentiquement au cœur.

xk3ywg9xq5uqv5nbqkjl

10/10

Le musée des merveilles de Todd Haynes

0

LE MUSÉE DES MERVEILLES

À l’image de Scorsese avec Hugo Cabret, Todd Haynes explore en fétichiste quelques trésors anciens du septième art. Un hymne à l’enfance et à la différence qui manque parfois, derrière le savoir-faire, de rythme et d’étoffe.

18337428_120332000609910654_1254544363_n[1]

  • Réalisation : Todd Haynes
  • Scénario : Brian Resnick
  • d’après : le roman Wonderstruck
  • de : Brian Resnick
  • Image : Edward Lachman
  • Décors : Mark Friedberg
  • Costumes : Sandy Powell
  • Montage : Affonso Gonçalves
  • Interprétation : Oakes Fegley (Ben), Julianne Moore (Lillian Mayhew / Rose âgée), Millicent Simmonds (Rose), Michelle Williams (Elaine Wilson), Jaden Michael (Jamie), Raul Torres (le père de Jamie), Tom Noonan (Walter âgé), James Urbaniak (Dr Kincaid), Amy Hargreaves (tante Jenny), Cory Michael Smith (Walter)…
  • Date de sortie : 15 novembre 2017
  • Durée : 1h57

arton35305

« Ta chambre est un vrai musée ! » Cette réplique prononcée par la mère de Benjamin à son jeune fils annonce d’emblée la couleur si jamais quiconque avait un doute. Avec cette adaptation d’un roman pour jeunesse de Brian Selznick (déjà auteur de Hugo Cabret), Todd Haynes n’entend en rien se départir de sa fascination, confinant souvent à un fétichisme délirant, pour les maisons de poupées, maquettes et autres modèles réduits qui ont jalonné sa filmographie (de The Karen Carpenter Story – raconté uniquement avec des poupées Barbie – au magasin de jouets dans lequel travaillait Rooney Mara dans Carol).

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le cinéaste américain plonge cette obsession de manière inédite dans le monde de l’enfance avec ce Wonderstruck présenté en compétition officielle. Pour la première fois ? Pas vraiment. On peut se souvenir du prologue SF de Velvet Goldmine où le jeune Oscar Wilde croisait la route d’une soucoupe volante. Mais ce que Haynes entreprend ici a ceci de singulier que son nouveau film ne se déroule que du point de vue de deux enfants : le jeune Benjamin donc, et Rose.

Tous deux habitent dans deux états différents du pays (respectivement le Minnesota et le New Jersey) mais vivent surtout à 50 ans d’écart : Benjamin en 1977 et Rose en 1927. Et le film de faire constamment des allers-retours entre les deux univers qu’Haynes a circonscrits de manière radicale : puisque Rose est sourde (apparemment de naissance), son monde prendra la forme d’un film en noir et blanc muet tandis que Benjamin grandit dans un univers coloré typique des années 70 où tournent dans le salon des vinyls de David Bowie.

Cette segmentation n’étonnera pas les aficionados du réalisateur de Poison ou I’m Not There, qui modèle toujours ses films au gré de reconstitutions historiques alliées à des expérimentations formelles audacieuses qui sont moins des hommages appuyés qu’une manière de retrouver une certaine innocence du cinéma.

Par un coup du sort – ou un coup de foudre, Benjamin devient, tout comme Rose, sourd – Haynes décrivant particulièrement ici ce nouvel handicap pour le jeune homme comme une forme de marginalité qui conduit à un comportement de résistance face aux carcans de la société et entraînant de par-même une certaine vision poétique du monde, à l’instar de l’homosexualité dans Carol, l’amour interracial dans Loin du paradis ou encore le mouvement punk dans Velvet Goldmine.

Suite à ce traumatisme, Benjamin se met en route pour New York, guidé par un livre décrivant un cabinet de curiosités, afin de retrouver ce père qu’il n’a jamais connu. Faute d’amour, Rose entreprend le même périple afin de rencontrer ce qui semble être aux premiers abords une actrice qui la fascine au point de pleurer à chaudes larmes devant un de ses films muets dans une vieille salle accueillant bientôt le cinéma parlant.

Il faut à ce titre saluer – une fois de plus – la partition magistrale de Carter Burwell qui porte entièrement le film et semble agir comme un facteur essentiel de la mise en scène d’une inventivité constante de Todd Haynes.

Chaque étape du parcours des deux enfants, montée en parallèle, trouve son écho troublant et son alchimie mystérieuse, dans le score du musicien américain agissant comme des points de raccords invisibles permettant à Wonderstruck de tenir la barre de son histoire insensée. Ne citons que la découverte expressionniste de la ville de New-York par Rose, où les lignes de fuite des gratte-ciels plongent autant le spectateur que la jeune fille dans un état de joie et de sidération totales.

Wonderstruck trouvera sa cristallisation au Museum d’Histoire naturelle de New York, lieu où le monde est littéralement déposé et parcouru comme un terrain de jeu par Ben et Rose, toujours séparés de 50 ans. Haynes y achève sans doute sa réflexion persistante sur l’émerveillement et la fascination en s’aventurant, parfois avec tendresse et cruauté, dans la psyché de ses deux protagonistes qui finiront par se rejoindre dans un épilogue où la ville même de New York est exposée comme une maquette géante tapissant le sol du musée.

Des immeubles et autres bâtiments jalonnant cette reconstruction, Haynes ne fait qu’y cacher, lorsqu’on les soulève, les sentiments les plus enfouis et les secrets les mieux gardés. Ceux de l’enfance qui jamais ne se termine.

8/10

Happy Birth Dead de Christopher Landon

0

HAPPY BIRTH DEAD

Le producteur Jason Blum ressasse les clichés du slasher dans un thriller fun, mais poussif, à mi-chemin entre Destination finale et Un jour sans fin. Il n’égale pas ses valeureux modèles.

18360639_120332000649417132_900260586_n[1]

  • Réalisation : Christopher Landon
  • Scénario : Scott Lobdell
  • Image : Toby Oliver
  • Décors : Cece Destefano
  • Costumes : Meagan McLaughlin
  • Montage : Gregory Plotkin
  • Musique : Bear McCreary
  • Producteur(s) : Jason Blum, Ryan Turek, Phillip Dawe, Beatriz Sequeira
  • Production : Blumhouse Productions, Digital Riot Media, Vesuvius Productions
  • Interprétation : Jessica Rothe (Tree Gelbman), Israel Broussard (Carter Davis), Ruby Modine (Lori Spengler), Charles Aitken (Gregory Butler), Laura Clifton (Stephanie Butler)…
  • Distributeur : Universal Pictures International France
  • Date de sortie : 15 novembre 2017
  • Durée : 1h37

arton36640

Combien de fois le fan compulsif de film d’horreur peut-il regarder au cinéma une jolie actrice se faire trucider par un tueur masqué ? Le succès inépuisable du slasher (ce sous-genre du cinéma d’épouvante né avec la scène de la douche dans Psychose), jamais démenti depuis que John Carpenter en a signé le classique absolu avec Halloween, a vu passer nombre d’itérations plus ou moins réussies au gré des décennies.

Wes Craven l’a réactivé en fable méta avec le premier Scream en 1996, et même si de nombreuses variations ont permis de mettre un peu de créativité dans une machinerie de plus en plus rouillée (le plus bel exemple récent, It Follows, incarnant son versant low-fi, presque contemplatif), le genre semblait à bout de souffle.

Jason Blum, le nouveau wonder-boy du cinéma d’horreur (on lui doit le retour de Shyamalan et l’énorme succès de Get Out), vient apporter sa pierre à l’édifice avec Happy Birthdead, hélas moins enthousiasmant que ce que sa folle bande-annonce ne laissait espérer.

Prenons donc Tree, une blonde insupportable (Jessica Rothe, très drôle), étudiante superficielle et méprisante (rassurons-nous, elle souffre d’un trauma familial qui explique sa méchanceté chronique). La jeune femme se réveille dans le lit d’un garçon qui en pince pour elle, après une soirée très arrosée. Bien qu’il ne se soit rien passé entre eux, c’est suffisant pour la mettre en rogne pour le reste de la journée.

Laquelle s’annonce chargée : entre son amant (qui est accessoirement aussi son prof), ses « copines » mauvaises à souhait et sa coloc un peu nunuche, elle en oublierait presque que c’est le jour de son anniversaire. Une fête est prévue le soir-même, mais en s’y rendant, Tree tombe nez à nez avec un tueur masqué qui lui règle son compte.

C’est déjà fini ? Et non : à peine la lame du couteau de son agresseur a-t-elle transpercé le corps de notre héroïne que celle-ci se réveille… dans le même lit que le matin. C’est donc reparti pour un tour, et tel Bill Murray dans Un jour sans fin, Tree est condamnée à revivre la même journée et à mourir sous les coups du mystérieux serial-killer à l’infini. À moins qu’elle ne trouve qui la traque, et pourquoi.

Dead again

Reprendre le concept de l’une des meilleures comédies de ces trente dernières années n’est pas une nouveauté : Doug Liman l’a merveilleusement soumis au traitement SF dans Edge of Tomorrow, où Tom Cruise affrontait des extra-terrestres en étant enfermé dans une boucle temporelle lui permettant de revenir ad nauseam.

Mais l’approche de Liman rapprochait plus le film du jeu vidéo (mourir et ressusciter pour mieux maîtriser une technique guerrière et gagner la partie), là où le film de Harold Ramis soumettait Bill Murray à une crise existentielle doublée d’un fantasme universel : et s’il était possible de tout recommencer, que ferions-nous différemment ?

Happy Birthdead reprend les enjeux ludiques de Edge of Tomorrow en les transformant en Cluedo géant : Tree doit trouver l’identité du psychopathe qui veut sa peau et le tuer avant qu’il ne le fasse, et son enquête la mènera forcément à réévaluer sa vie, son attitude et ses erreurs.

C’était déjà le sujet d’Un jour sans fin, qui passait l’esprit de Capra à la moulinette de l’humour du Saturday Night Live. Dans Happy Birthdead, Capra a disparu pour laisser place à une succession de blagues potaches et d’une morale gentiment convenue qui colle aux attentes d’un public adolescent biberonné à des séries comme Pretty Little Liars ou Riverdale.

Les péripéties répétées de Tree se laissent regarder sans déplaisir mais sont totalement dénuées de toute ambition esthétique ou même narrative. Il s’agit moins ici de livrer un commentaire sur le genre (à la façon des Scream) que d’affirmer la coolitude du film de façon entendue et détachée, comme si pour le réalisateur (un tâcheron de l’écurie Blum, aux manettes de trois Paranormal Activity) la répétition absurde des scènes s’apparentait à remonter dans un train-fantôme duquel on vient juste de descendre.

L’effet est le même : plus Tree revit sa journée et avance dans son enquête, moins les multiples variantes de sa mort ne provoquent de frissons – le film assurant, dès sa première scène, un minimum syndical qui se transforme progressivement en ennui pur et simple.

Ne reste plus à Happy Birthdead qu’à être une simple comédie (comme si rires et frissons étaient incompatibles – Wes Craven doit se retourner dans sa tombe) et à jouer la surenchère sans la moindre conviction.

Il faut bien tout l’abattage de Jessica Roth, dont le joli minois archi-expressif offre au film ses moments les plus délicieusement burlesques, pour ne pas totalement oublier ce ratage après visionnage.

4/10

Maryline de Guillaume Gallienne

0

MARYLINE

Le métacinéma comme dispositif vertigineux pour une belle histoire de femme qui dépasse les clichés des couches sociales habituelles, avec une galerie de personnages généreux, traversée par la luminosité de Vanessa Paradis.

18360639_120332000649417132_900260586_n[1]

  • Réalisation : Guillaume Gallienne
  • Scénario : Guillaume Gallienne
  • Image : Christophe Beaucarne
  • Décors : Sylvie Olivé
  • Costumes : Caroline de Vivaise
  • Son : Rémy Daru
  • Montage : Valérie Deseine
  • Interprétation : Adeline d’Hermy (Maryline), Vanessa Paradis (Jeanne Desmarais), Alice Pol (Alexane), Éric Ruf (François Louis), Xavier Beauvois (Michel Roche), Lars Eidinger (Ilan Kafman), Pascale Arbillot (Betty Brant), Clotilde Mollet (la mère de Maryline), Florence Viala (la buraliste)
  • Distributeur : Gaumont Distribution
  • Date de sortie : 15 novembre 2017
  • Durée : 1h47

arton36763

« Il vaut mieux partir d’un cliché que d’y arriver. » On imagine que Guillaume Gallienne avait cette phrase de Hitchcock en tête lorsqu’il écrivit Maryline, le premier projet qu’il souhaitait tourner avant Guillaume et les garçons, à table !.

L’histoire commence en effet comme un mauvais roman de Zola. Une jeune fille quitte sa campagne natale pour devenir actrice sur Paris, se heurte à un réalisateur cruel, sombre dans l’alcoolisme comme son père, avant d’espérer une renaissance miraculeuse.

Guillaume Gallienne passe ainsi tout son temps à désamorcer les risques d’un récit convenu vaguement inspiré d’Opening Night de Cassavetes et Une étoile est née de Cukor, plutôt que de vraiment aborder de front son joli sujet : celui de la naissance d’une actrice.

Erreurs de montage

Maryline oscille en permanence entre les stéréotypes autour de la vie d’artiste et des moments de réalisme plus émouvants. Après les adieux pathétiques de la jeune femme à sa famille, le film retrouve un peu de justesse en montrant la terrible importance du hasard et des circonstances matérielles dans la réussite d’un acteur.

Pendant son premier tournage, la débutante se laisse ainsi déstabiliser par ses règles survenues à l’improviste, puis par son manque de maîtrise de la langue anglaise. Le film rebondit efficacement sur ces éléments triviaux pour faire surgir l’angoisse ou le comique, parfois les deux en même temps.

Mais ce genre de scène, parfaitement joué par Adeline d’Hermy (sociétaire de la Comédie-Française), est bien vite noyé dans un magma d’instants « doloristes » et prévisibles autour des « galères » du personnage, où Maryline s’enfonce dans l’alcool, balbutiant vaguement son texte au fond de sa chambre de bonne.

Ce qui gêne le plus dans cette vision du parcours chaotique d’une jeune comédienne, c’est finalement son montage. On regrette que le film expédie des moments forts d’apprentissage, notamment les premiers pas de Maryline dans une troupe de théâtre. Quant aux premiers émois amoureux qui faisaient partie de l’initiation de l’actrice, par exemple dans Esther Kahn de Desplechin, ils sont tout simplement passés sous silence le temps d’une ellipse pudique.

Le syndrome Marilyn Monroe

Si le réalisateur accorde une telle importance à ces moments douloureux qui frôlent la complaisance, c’est probablement en raison de sa vision du métier d’acteur. La force d’une actrice, ce seraient ses failles, sa fragilité. D’où la référence à Marilyn Monroe, la blonde radieuse aux démons intérieurs. Maryline serait une allégorie de l’actrice en général, une lointaine parente de Myrtie dans Opening Night de Cassavetes, elle qui parvenait à sublimer son rôle sur scène grâce à son propre mal de vivre.

L’ouverture du film sert ainsi de manifeste sur l’acteur. Nous y découvrons Maryline lors d’un casting, une jeune fille au visage pâle et cheveux fins comme une poupée de porcelaine, intimidée et maladroite, un peu engoncée dans des vêtements mal ajustés. Mais, une fois l’essai commencé, la jeune femme se métamorphose, se jette à corps perdu dans une improvisation avec une table, luttant avec celle-ci comme si sa vie en dépendait.

Paradoxalement, l’actrice semble bien puiser sa force dans sa sensibilité à fleur de peau. Dans la suite du film, la caméra semble hypnotisée par le visage de clown blanc de son actrice, ses grands yeux et son visage tremblants, tandis que les dialogues répètent inutilement la même idée : Maryline a déjà tout car elle a déjà cette « présence » unique.

Théâtre et dépendances

Le réalisateur se départ alors difficilement d’une vision très inquiétante de la comédienne (ou du comédien) : un être sans aucune solidité intérieure, complètement dépendant de l’initiative des autres.

Maryline est une sorte de Cosette rongée par l’alcoolisme qu’une galerie de personnages sauve ou « enfonce » successivement : le metteur en scène sadique, une actrice, modèle de femme forte et indépendante, qui joue le rôle de la bonne fée (Vanessa Paradis, plutôt meilleure que d’habitude), un assistant metteur en scène alcoolique…

Analogie plutôt dérangeante (et probablement assumée), Maryline ressemble un peu trop au petit chien abandonné qu’elle recueille miraculeusement un soir de beuverie. D’ailleurs, au moment où le personnage à deux doigts de la réussite, doit enfin affronter seule sa vie et risque de replonger dans l’alcoolisme, Guillaume Gallienne choisit encore l’ellipse.

À la place, on aura droit à un sorte de tour de passe-passe narratif très inspiré du début de To Be or Not to Be d’Ernst Lubitsch. Comment le théâtre a-t-il apporté au personnage l’indépendance qui lui manquait ? On ne le saura jamais. Tout ce que le film nous rappellera lors de sa dernière scène, c’est finalement ce lieu commun qu’on nous aura lourdement suggéré pendant deux heures : ce qui fait exister l’acteur, c’est le regard de son public.

5/10

M de Sara Forestier

0

M

Pour son premier film en tant que réalisatrice, l’actrice Sara Forestier semble avoir voulu s’inscrire dans le sillage d’Abdellatif Kechiche, son mentor qui l’avait révélée auprès du grand public avec L’Esquive en 2003. 18360639_120332000649417132_900260586_n[1]

  • Réalisation : Sara Forestier
  • Scénario : Sara Forestier
  • Image : Guillaume Schiffman
  • Décors : Thierry François
  • Costumes : Catherine Baba
  • Son : Nicolas Provost, Jérôme Chenevoy
  • Musique : Christophe
  • Producteur(s) : Hugo Sélignac, Vincent Mazel, Denis Freyd
  • Production : Chi-Fou-Mi Productions, Archipel 35, France 3 Cinéma
  • Interprétation : Sara Forestier (Lila), Redouanne Harjane (Mo)
  • Distributeur : Ad Vitam
  • Date de sortie : 15 novembre 2017
  • Durée : 1h38

arton36710

M revendique cet héritage du cinéma-vérité où le parti-pris naturaliste est amplifié par une volonté (pour ne pas dire complaisance) de montrer les aspects les moins reluisants de notre monde : toute en lumières blafardes et décors décrépis, la mise en scène confronte deux personnages à un environnement vaguement hostile qui ne leur donne jamais la possibilité de trouver cette estime d’eux-mêmes dont ils ont pourtant tant besoin pour avancer. Ces deux personnages, ce sont Lila et Mo.

La première est une lycéenne qui se prépare à passer le bac français (passons sur le fait qu’elle est interprétée par la réalisatrice elle-même, déjà trentenaire) et doit surmonter pour cela un handicap qui fait d’elle la risée de ses camarades et le bouc-émissaire de son père : elle est bègue, panique dès qu’elle doit prendre la parole en public ou devant un inconnu, alors qu’elle obtient par ailleurs des notes brillantes. Le second est un baroudeur trentenaire qui traîne avec la racaille du coin et se risque à des concours de dérapages en voiture pour mieux taire sa mélancolie.

Mais derrière son air assuré, le jeune homme a lui aussi un complexe qui l’empêche aussi d’avoir une relation apaisée au monde : il ne sait ni lire, ni écrire. Lorsque ces deux-là se rencontrent par hasard à un arrêt d’autobus, le défi qui se pose à eux du fait de leurs limites respectives (elle ne peut s’exprimer que par écrit, ce qui le renvoie lui à son illettrisme) vient paradoxalement cimenter leur relation. Ensemble, ils vont devoir surmonter une somme de tabous et leur propre honte pour espérer construire quelque chose de durable ensemble.

Jeux d’acteurs

On devine facilement ce qui a pu attirer Sara Forestier dans ce double portrait de deux individus à la marge qui ne visent qu’à passer de chenille à papillon pour peu que quelqu’un leur offre cette chance.

Le complexe – le bégaiement pour elle, l’illettrisme pour lui – n’est pas pour autant abordé par un biais psychologique (tout au plus émettra-t-on l’hypothèse qu’elle en souffre depuis la mort de sa mère) ou bien social (on ne sait pas pas comment Mo a pu arriver jusque là sans être même capable de lire la moindre lettre – d’où le titre) : il donne surtout l’impression d’être exploité pour son seul potentiel dramatique et sa capacité à provoquer l’empathie chez le spectateur.

Compte tenu du nombre de monteurs qui ont travaillé pour aboutir au résultat final, on peut se demander si le sujet ne s’est pas imposé par défaut au dérushage pour permettre à la réalisatrice de tenir une ligne claire vers un objectif identifié : celui de la réconciliation (de l’image de soi puis dans la relation à l’autre) et donc de l’apaisement.

C’est un beau terreau que la réalisatrice offre à elle-même et à son acolyte en termes de performances : elle est dans le rôle de composition qui lui va un peu trop à ravir (dans la lignée de ce qu’elle réalisait dans Suzanne et La Tête haute), ce qui lui permet de rappeler qu’elle a toujours une excellente technique de jeu à la limite du cabotinage (le regard fuyant lorsque la scène l’exige, la bouche qui se déforme sous l’angoisse au moment opportun), quitte à donner l’impression d’avoir mis le film au service d’elle-même ; Redouanne Harjane, quant à lui connu pour ses performances de stand-up, est dans le contre-emploi rêvé, jouant avec une certaine subtilité des obstacles qui se mettent en travers de son chemin pour mieux matérialiser son mal-être.

Dans cette continuité, on aurait bien aimé que Sara Forestier fasse preuve de la même générosité à l’égard de Jean-Pierre Léaud qui hérite ici d’un rôle de père fouettard caricatural.

De la matière

Là où le film devient plus intéressant, c’est quand il tente d’envisager un rapport plus frontal au corps et à la matière : l’angoisse qui se traduit par une culotte souillée, une dent brutalement arrachée pour obliger la petite sœur trop intrusive à taire le secret qu’elle vient de découvrir. C’est même autour de ce personnage que la réalisatrice parvient à faire exister la perversité qui peut parcourir le film par endroits (elle adopte un comportement étrangement lascif pour son âge à l’égard de Mo, se rend complice de son illettrisme en improvisant des cours d’alphabétisation).

Malheureusement, ces pistes sont assez rapidement neutralisées par un récit qui en revient toujours à sa trame principale et n’emprunte finalement jamais les possibles chemins de traverse qui s’offrent à lui. On en vient alors à se demander ce que le régime d’images voulu par Sara Forestier cherche à produire, si ce n’est de traquer la frontalité pour indisposer et choquer tout en s’inscrivant dans un environnement qui veut faire ostensiblement « peuple », encore une fois à la manière d’un Abdellatif Kechiche qui ne recule jamais devant le manichéisme social.

Trop cousu de fil blanc dans sa progression narrative, peu aventureux en termes de mise en scène, le film finit même par se convertir aux conventions les plus attendues (en l’occurrence un happy end complètement à côté de la plaque) qu’il prétendait pourtant conspuer dans sa première partie en adoptant une posture volontairement disgracieuse : c’est peu dire si M s’effondre rapidement comme un soufflé, se délestant de l’ambiguïté et de l’esprit de fatalité qui pouvaient potentiellement l’irriguer. En somme, beaucoup de bruit pour rien.

5/10

Diane à les épaules de Fabien Gorgeart

0

DIANE A LES ÉPAULES

18360639_120332000649417132_900260586_n[1]

  • Réalisation : Fabien Gorgeart
  • Scénario : Fabien Gorgeart
  • Image : Thomas Bataille
  • Décors : Cyril Gomez-Mathieu
  • Costumes : Céline Brelaud
  • Son : Mathieu Descamps
  • Montage : Damien Maestraggi
  • Producteur(s) : Jean des Forêts
  • Production : Petit Film
  • Interprétation : Clotilde Hesme (Diane), Fabrizio Rongione (Fabrizio), Thomas Suire (Thomas), Grégory Montel (Jacques)…
  • Distributeur : Haut et Court
  • Date de sortie : 15 novembre 2017
  • Durée : 1h27

diane-a-les-epaules-affiche

Diane a les épaules : en voilà, un joli titre… Diane est une femme indépendante, bordélique, grande gueule et têtue, mais que ce soit pour retaper une maison ou assumer une grossesse pour son meilleur ami et son compagnon, elle semble en effet être suffisamment solide pour savoir ce qu’elle fait.

En revanche, Diane n’avait pas prévu de rencontrer un mec qui serait autre chose qu’un plan cul. Et encore moins de se poser les questions que lui se pose à sa place : qu’attend-elle de l’amour et de l’avenir ? et cet enfant qu’elle porte, est-elle bien sûre qu’elle pourra en faire don aussi facilement qu’elle le prétend ? Diane a en effet de belles épaules, à la fois solides et délicates, mais qui peuvent se bloquer et parler à sa place quand les certitudes vacillent.

Il ne s’agit pas pour Fabien Gorgeart, dont c’est le premier long métrage, de dresser un énième portrait de femme des années 2010 en proie à des questionnements existentiels. Au contraire, l’intérêt de Diane a les épaules réside précisément dans le déni de l’héroïne face aux nombreux bouleversements qui viennent chambouler sa vie, et dont l’apparente nonchalance cache, on le devine, une grande fragilité. D’où vient, alors, ce sentiment que le film bégaye et ne sait pas dans quelle direction aller ?

Sur le papier, les sautes d’humeur et l’intransigeance de Diane avaient peut-être du sens mais, à l’écran, les intentions du réalisateur se retournent contre son film. Diane apparaît moins comme un personnage en bute contre toute forme d’ordre qui pourrait lui apporter, paradoxalement, bonheur et apaisement, que comme une agaçante ado attardée dont les bouderies et les colères perpétuelles finissent par la rendre franchement irritante.

À tel point que l’on en vient à questionner les motivations des personnages qui l’entourent, de son petit ami qui s’accroche à elle quand bien même elle le traite comme un chien, au couple d’amis gays qui l’ont choisie pour porter leur enfant alors qu’elle est d’emblée présentée comme l’antithèse du confort bourgeois qu’ils incarnent. Le film semble ainsi osciller en permanence entre plusieurs aspirations : la comédie dramatique, la satire, la rom-com, la chronique sociale… sans que ces pièces semblant provenir de plusieurs puzzles différents ne réussissent à s’assembler de façon convaincante.

Une autre femme

On sent bien une double volonté chez le jeune réalisateur. D’abord, croquer un personnage féminin très fort, reposant entièrement sur son épatante comédienne (Clotilde Hesme), qui parvient parfois à emmener le film vers une zone d’inconfort que ni le scénario, ni la mise en scène n’arrivent vraiment à exploiter. Mais aussi évoquer, par petites touches, un nouvel ordre du monde en questionnant les rôles traditionnellement dévolus aux futurs parents. L’ambition est louable, mais Fabien Gorgeart semble ne jamais vraiment savoir quoi faire de ses intuitions.

Le déni de Diane sur ce que son geste peut potentiellement impliquer pour elle après l’accouchement est un sujet passionnant, que le réalisateur ne traite véritablement qu’à la toute fin, lors de deux très jolies scènes qui laissent entrevoir ce que le film aurait pu être s’il s’était un peu moins attardé sur les atermoiements amoureux de son personnage principal.

Autour de Diane/Clotilde Hesme, les seconds rôles peinent à exister : le film cultive une forme de hors-champ (plus la grossesse de Diane avance, moins le monde autour d’elle existe) qui est intéressant mais n’est pas suffisamment travaillé. Diane a les épaules semble être entièrement dicté par les errances de son personnage principal, et le réalisateur semble ne pas plus savoir qu’elle où il va.

C’est d’autant plus dommage que l’excellent Fabrizio Rongione, dans le rôle du soupirant aussi sage et patient que Diane est capricieuse et agaçante, forme avec Clotilde Hesme un couple à la fois dépareillé et harmonieux, auquel le film, ambitieux mais brouillon, ne parvient jamais à rendre justice.

4/10