GOOD TIME
Réalisation : Joshua Safdie, Ben Safdie
Scénario : Ronald Bronstein, Joshua Safdie
Image : Sean Price Williams
Décors : Sam Lisenco
Costumes : Miyako Bellizzi, Mordechai Rubinstein
Son : Ryan M. Price, Evan Mangiamele
Montage : Ronald Bronstein, Joshua Safdie
Musique : Oneohtrix Point Never
Producteur(s) : Paris Kasidokostas Latsis, Terry Dougas, Sebastian Bear-McClard, Oscar Boyson
Production : Elara Pictures, Rhea Films
Interprétation : Robert Pattinson (Connie Nikas), Ben Safdie (Nick Nikas), Jennifer Jason Leigh (Corey), Buddy Duress (Ray), Taliah Lennice Webster (Crystal), Barkhad Abdi (Dash le gardien de parc)…
Distributeur : Ad Vitam
Date de sortie : 13 septembre 2017
Durée : 1h40
Les Safdie bros. reviennent avec un faux film de braquage écartelé entre le buddy movie et le mélodrame 35 mm. Expérimentations lo-fi sensibles et impétueuses sur un lien fraternel incoercible.
Un braquage qui tourne mal… Connie réussit à s’enfuir mais son frère Nick est arrêté. Alors que Connie tente de réunir la caution pour libérer son frère, une autre option s’offre à lui : le faire évader. Commence alors dans les bas-fonds de New York, une longue nuit sous adrénaline.
La réussite de Good Time tient à son concept minimaliste et à son usage surprenant des codes inféodés aux divertissements populaires. Aussi délicate et affectée soit la façon dont Benny et Joshua Safdie y observent leurs personnages, c’est aux films d’action badass eighties et nineties que s’en remet le long-métrage. Sinon ici que la sensibilité inhérente au genre du mélodrame influence toute la structure. Sous cet angle, Good Time apparaît comme une sorte de buddy movie dont les antihéros ne trouvent jamais l’alter ego, ou du moins ne le côtoient que sur un laps de temps tristement éphémère – c’est le cas avec la jeune fille, ou encore avec le détenu au visage tuméfié.
Dès l’ouverture, la caméra des deux cinéastes place le film sous le signe de Nick, le frère retardé mental de Connie interprété à merveille par Ben Safdie. Le gros plan sur son visage abattu, sur son regard démuni, traduit aussitôt la tonalité mélancolique de l’intrigue. Pris au piège d’un questionnaire insensé énoncé maladroitement par un psychiatre peu compréhensif, Nick manifeste une détresse latente. Personnification allégorique d’une libération désirée mais inatteignable, Connie le soustrait au rendez-vous et l’embarque dans un braquage cathartique.
Acte rédempteur par lequel peut-être s’amorce le début d’une existence plus apaisée. Le destin en décide sans surprise autrement, mais qu’importe : en seulement deux scènes, tout de la relation fusionnelle et inconditionnelle des deux hommes transparaît déjà avec élégance – nul doute que c’est l’expérience en la matière du duo qui parle ici. Sans parents et élevés par une grand-mère à la fois impuissante et indifférente, les deux ne tiennent que sur cet amour réciproque. Pour libérer son frère arrêté par la police peu après le hold-up manqué, Connie va défier la nuit et le temps dans une course effrénée et viscérale. Sorte de néo After Hours où les rencontres priment sur l’enjeu de départ.
Plutôt qu’un film organisé autour d’un horizon – ici la libération de Nick – Good Time mise avant tout sur l’expérience dans ce qu’elle procure de plus sensitif. Le nivellement entre une image dirty/lo-fi fluo et des partitions musicales électro-rock signées Oneohtrix Point Never renforce cette idée et développe une atmosphère singulière. Il serait facile de reprocher à cette combinaison son côté formule arty et sa musique trop présente, mais la démarche des cinéastes se veut plus profonde en même temps qu’elle s’autorise à plaire. Le travail sur l’étalonnage et le piqué des plans 35 mm, d’abord, amène une vraie complexité et donne le sentiment de quelque chose d’organique – en cela, le travail accompli sur Mad Love in New York ressort de manière admirable. D’autre part, tout le jeu sur l’assortiment de couleurs et de clairs-obscurs exprime au niveau pictural un réseau infini d’émotions, suggérant également souvent à Connie l’empreinte hors-champ du frère absent.
Dans le rôle de cet homme prêt à tout pour un instant d’affranchissement, Robert Pattinson, en baratineur magnifique – souvent drôle, jamais désabusé -, redouble sans arrêt de roublardise. Caméléon sympathique et attentionné, il traverse les espaces – voir ces cadrages stupéfiants d’un New York tortueux ou ces couloirs interminables pour signifier l’enfer – et déjoue presque toutes les embûches.
À ce titre, son personnage, qui dispose d’un don sans pareil pour convaincre ou venir en aide à autrui, intègre d’ailleurs une dimension quasi-christique – la chose est appuyée avec les vitraux en surimpression dans l’hôpital. Dimension qui semble d’autant plus tangible lorsqu’il procure malgré lui aux personnes croisées quelques secondes d’éternité – la vieille femme mourante dans son lit d’hôpital, de même que de nombreux autres.
L’ouverture contrainte au monde de Nick, dans le final, doit-elle être perçue comme une délivrance rendue possible par le sacrifice de Connie ? La question reste en suspens, et tant mieux. Ce voyage au bout de la nuit, tout en s’en tenant à un habile mélange d’influences entre mélodrame d’auteur et réalisations plus mainstream, s’avère l’un des meilleurs films du duo du Queens. Expérience fougueuse autant que poignante, de la fraternité, de l’intime et de l’impassibilité ordinaire.
L’ANALYSE :
Aux nostalgiques du cinéma indé américain des années 1990, celui des polars granuleux qui suivent avec affection et empathie les destins cabossés qui errent dans les bas-fonds des métropoles, les frères Safdie réactivent avec Good Time (présenté à Cannes en compétition officielle cette année) les heures glorieuses de Sundance et de Miramax.
Tout y est : l’image grossière, la caméra portée, les bras cassés au grand cœur et les seconds couteaux aux gueules inoubliables, New York débarrassée de ses oripeaux pour touristes et même, Jennifer Jason Leigh dans un second rôle. Est-ce à dire que Josh et Benny Safdie se contentent bêtement de reproduire un style que l’on croyait définitivement relégué à une période révolue, qui a produit quelques bons films et une avalanche d’avatars peu recommandables ? Good Time vaut un peu mieux que sa carrosserie peu rutilante, mais peine à décoller de son dispositif un peu trop schématique pour être réellement passionnant.
Le plus beau de Good Time, ce sont ses cinq premières minutes et ses cinq dernières, dépouillées de toute hystérie visuelle et de ressorts scénaristiques usés jusqu’à la corde, au plus près d’une vérité émotionnelle après laquelle tout le reste du film court désespérément.
Elles montrent Nick, un jeune homme handicapé mental (Benny Safdie, en empathie totale avec son personnage, impressionne par la justesse de son jeu, défiant toute caricature), coincé dans un établissement spécialisé dans lequel il ne veut résolument pas s’éterniser. Tout ce que veut Nick, c’est retrouver Connie (Robert Pattinson, dans un rôle dont aurait probablement hérité Steve Buscemi il y a trente ans). Les deux se font la malle et s’en vont braquer une banque. Évidemment, l’affaire tourne mal et Nick, blessé, est envoyé en prison, puis aux urgences après une baston. Connie va tout mettre en œuvre pour retrouver son frère, au cours d’une nuit aussi rocambolesque que tragique dans les bas-fonds new-yorkais.
L’interprétation de Benny Safdie place la barre si haut que lorsque son personnage disparaît, après une quinzaine de minutes, le film peine à s’en remettre. Les péripéties vécues par le personnage interprété par Pattinson offrent aux Safdie l’occasion de témoigner leur goût pour les aspects les moins glamour d’une ville que le cinéma américain contemporain préfère montrer comme un gigantesque parc d’attractions, plutôt qu’en elle-même. Mais Good Time ne réussit jamais à se débarrasser des atours les plus criards du cinéma duquel il s’inspire (volontairement ou pas) : une forme de frénésie formelle, qui se complaît dans la démonstration du sordide au détriment de personnages solides.
Des anti-héros que l’on a le sentiment d’avoir déjà vus mille fois sans que jamais ils ne parviennent à être autre chose que de simples silhouettes, des ectoplasmes que paradoxalement la pellicule ne parvient pas à imprimer, faute de consistance. Qui trop embrasse, mal étreint, et Good Time aurait probablement gagné à resserrer son intrigue sur une poignée de personnages, plutôt que de tenter la fusion improbable entre le Scorsese de After Hours et les oiseaux de nuit de Cassavetes.
Le film s’offre malgré tout quelques fulgurances : l’abnégation totale de Pattinson ; une amusante confusion sur un accidenté recouvert de bandages, telle une momie, qui tire le film vers l’absurde ; une longue scène dans un parc d’attractions, décor à la fois cheap et riche en fantasmes cinématographiques, que les Safdie exploitent plutôt bien. Mais c’est un peu court pour débarrasser Good Time de ses encombrants habits de polar poisseux, et pour lui insuffler l’humanité dont il se revendique.
Le dernier plan du film, très beau, laisse entrevoir ce que le film aurait pu être si ses deux réalisateurs avaient fait un peu plus confiance à leurs personnages et ne les avaient pas forcé à gesticuler désespérément dans le vide. Peut-être était-ce là leur propos, mais ce film-là a déjà été réalisé mille fois. Pourquoi vouloir le refaire ?