JALOUSE
Un portrait tout en délicatesse sublimé par une Karin Viard au sommet de son art.
Réalisation : David Foenkinos, Stéphane Foenkinos
Scénario : David Foenkinos, Stéphane Foenkinos
Interprétation : Karine Viard (Nathalie), Anne Dorval (Sophie), Thibault de Montalembert (Jean-Pierre), Anaïs Demoustier (Mélanie), Dara Tombroff (Mathilde), Bruno Todeschini (Sébastien), Marie-Julie Baup (Isabelle), Corentin Fila (Félix)
Distributeur : StudioCanal
Date de sortie : 8 novembre 2017
Durée : 1h42
Six ans après La délicatesse, les frères Foenkinos dressent avec la finesse qui les caractérise un nouveau portrait de femme. Ils s’attaquent cette fois à la jalousie, ce sentiment d’exclusivité qui ne supporte pas le partage selon la définition du dictionnaire.
Au-delà d’être dévorée par la jalousie, Nathalie est en proie à un mal-être général, renforcé par la crise de la cinquantaine. On pourrait tout simplement la ranger dans la catégorie des « méchantes » et en rester là. Mais tout le talent des réalisateurs consiste à nous décrire un personnage complexe aux mille facettes pour lequel on finit par se prendre d’affection.
Nathalie ressent comme une agression le bonheur et la réussite des autres. L’éclosion de la beauté et de la jeunesse de sa fille lui devient insupportable à un moment où elle a le sentiment que sa vie à elle décline. De plus, alors qu’elles ont toujours été très proches, Mathilde préfère désormais sortir avec ses copains, creusant chez sa mère, femme forte et dominatrice, un sentiment d’abandon. Sans aucune gêne, elle étendra son aigreur à son entourage le plus proche.
C’est ainsi qu’elle fait remarquer à l’une de ses amies, tel un constat dont elle ne mesure pas la cruauté, combien elle a de la chance d’avoir une fille au physique ingrat. Son milieu professionnel n’échappera pas non plus à ses remarques acerbes et les scènes avec Anaïs Demoustier pétillante en jeune professeure bien déterminée à apporter des idées nouvelles au sein de l’établissement où elles exercent et se confrontent, constituent quelques uns des moments les plus vifs et les plus drôles du film. Installant un vent de suspense propre à soutenir allègrement le rythme, le récit dépeint d’abord des crises légères, puis un comportement de plus en plus imprévisible qui atteint un degré croissant de violence.
Doter ce personnage sans demi-mesure d’une redoutable inventivité face à des choix et des situations qui lui échappent la rend totalement humaine et drôle. Lui permettre de s’en prendre avec une mauvaise foi évidente à des personnes sympathiques crée une belle complicité avec le spectateur et renforce l’authenticité du personnage.
Bien sûr, le trait semble parfois poussé à la limite de l’indécence mais en privilégiant toujours un ton naturel sans emphase ni jugement, naviguant élégamment entre drame et comédie, la narration conserve un juste équilibre grâce à des situations risibles alternant avec d’autres plus graves.
Si le scénario bien écrit nous entraîne sans difficulté dans le sillage de cette despote déstabilisante et auto-destructrice néanmoins attachante, le casting sur mesure n’est pas étranger à la vivacité de ce tableau finement ciselé, à commencer par Karin Viard grâce à qui on aime l’héroïne, malgré tout. La palette de son jeu est si variée qu’elle passe avec une aisance désarmante d’une émotion à une autre à l’intérieur d’une même scène.
Soucieuse de ne jamais entraîner son personnage dans des outrances ridicules ou néfastes, elle le nourrit de mille nuances de manière à l’adoucir. Le spectateur adhère à son interprétation au point de supporter sans sourciller toutes les turpitudes dont elle peut se rendre coupable. Le duo qu’elle forme avec Anne Dorval, qui nourrit d’une merveilleuse intensité son personnage d’amie patiente et sincère, est la pièce maîtresse de ce film raconté à hauteur humaine.
Il convient aussi de saluer la prestation à l’élégance tant physique que morale de Dara Tombroff (Mathilde, la fille de Nathalie), ancienne danseuse de l’Opéra de Bordeaux dont c’est le premier rôle au cinéma, sans oublier les rôles dits secondaires qui forment un kaléidoscope coloré et complémentaire autour de cet être mi-ange, mi-démon mais finalement terriblement humain.
L’ANALYSE :
Pimpante quadragénaire, Nathalie Pêcheux a tout pour être heureuse : brillante professeure de lettres en khâgne, mère d’une adolescente de dix-huit ans au caractère facile, elle est bien entourée et a su même rester en bons termes avec son ex-mari qui l’a quittée pour une femme plus jeune et plus écervelée qu’elle.
Mais Nathalie va vite comprendre qu’elle est à une période critique de son existence : à l’approche de la ménopause (parce qu’il faut toujours une explication hormonale à l’hystérie), frustrée sexuellement (parce que c’est forcément là que l’aigreur vient trouver son terreau), elle perd peu à peu le contrôle de son existence.
Tout semble commencer le soir de la fête-surprise d’anniversaire de sa famille : sa jalousie à l’égard des autres (sa fille qui bénéficie de l’amour indéfectible de son petit ami, sa meilleure amie toujours heureuse après vingt ans de mariage, etc.) se manifeste sans le moindre filtre.
De plus en plus irritable, manipulatrice, culpabilisante mais toujours sûre de son bon droit, Nathalie commence à faire vivre un enfer à sa famille, ses amis et ses collègues qui finissent progressivement par lui tourner le dos.
Il est difficile de ne pas être interpelé par l’argument comique un peu douteux sur lequel repose la nouvelle comédie de David et Stéphane Foenkinos : garce en puissance que l’on adore détester, le personnage de Nathalie confirme à peu près tous les stéréotypes misogynes qui font légion.
Incapable de contrôler ses émotions et totalement dépassée par la puissance de son inconscient, elle fait en revanche face à des hommes (son ex-mari, un homme qu’on vient de lui présenter, le mari de sa meilleure amie, le proviseur) qui, eux, restent imperturbables face à ses excès et finissent toujours par la ramener à la raison.
Dans une drôle de scène où la professeure fait face à une nouvelle recrue qui lui fait concurrence (Anaïs Demoustier), le dialogue vachard qui se met rapidement en place (à coups de vannes bien balancées sur l’état de frustration de notre héroïne) laisse presque entendre que chaque femme de pouvoir se prédestinera à un moment à cet état borderline, incapable de trouver un équilibre entre son appétit dévorant et ce que la vie est en mesure de lui donner.
On pourra en tous cas aisément comprendre que certains grincent des dents face à ce portrait de femme qui ne fait pas dans la dentelle.
En dépit de toutes ses limites, Jalouse n’est pas totalement dépourvu de qualités. Si la mise en scène ne brille d’aucun génie particulier et semble être entièrement mise au service de l’actrice principale, c’est plutôt du côté de l’écriture qu’on pourra trouver quelque chose à se mettre sous la dent.
Le scénario, plutôt bien ficelé malgré une première partie poussive, et les dialogues, toujours alertes, se gardent bien de sombrer dans le sentimentalisme facile ou de résoudre d’un coup de baguette magique les enjeux amorcés par les dérives de Nathalie.
Plutôt bien dessinés et évitant de peu la caricature (notamment la seconde épouse un peu idiote), les personnages secondaires permettent au film de bénéficier de quelques appels d’air et d’offrir quelques contrechamps à ce qui constitue la trop omniprésente colonne vertébrale du film.
Une jolie parenthèse se dessine même dans le dernier quart du film : alors qu’elle semble avoir atteint un point de non-retour, la protagoniste fait la connaissance d’une vieille femme bienveillante auprès de laquelle elle s’épanche sur son mal-être. Dans ce court instant, le récit emprunte un chemin de traverse bienvenu, ne faisant plus de l’abattage – d’une efficacité redoutable, il faut le reconnaître – de Karin Viard le seul argument du film.
L’actrice parvient toutefois à s’affranchir d’un dispositif filmique trop recroquevillé sur lui-même en jouant habilement de son corps, capable de passer en un quart de seconde de la séduction assurée à l’embarras. C’est dire si Jalouse lui doit beaucoup.
9/10