LE PRIX DU SUCCÈS
Réalisation : Teddy Lussi-Modeste
Scénario : Rebecca Zlotowski, Teddy Lussi-Modeste
Image : Julien Poupard
Décors : Chloé Cambournac
Costumes : Marité Coutard
Son : Vincent Vatoux, Sébastien Noiré, Julien Ngo Trong, Emmanuel Croset
Montage : Julien Lacheray
Musique : Rob
Producteur(s) : Jean-Christophe Reymond, Amaury Ovise
Production : Kazak Productions
Interprétation : Tahar Rahim (Brahim), Roschdy Zem (Mourad), Maïwenn (Linda), Grégoire Colin (Hervé), Sultan (Drill), Ali Marhyar (Lenny), Camille Lellouche (Camille), Saïda Bekkouche (Wassila)…
Distributeur : Ad Vitam
Date de sortie : 30 août 2017
Durée : 1h32
Avouons-le, le pitch de Le Prix du succès fait un peu penser à un reportage diffusé sur TF1 le samedi après-midi. « Stars du foot, du cinéma, de la scène : qui sont les gens qui les entourent ? Qui se cache dans l’envers du décor ? » L’idée fait un peu frémir, et le film parvient avec une élégance certaine à ne pas être tout ce que son sujet potentiellement racoleur laisse supposer. Il faut pour cela créditer le scénario, co-signé par Teddy Lussi-Modeste et Rebecca Zlotowski, et la réalisation soignée de Lussi-Modeste, dont c’est le deuxième long-métrage après Jimmy Rivière, en 2011. Il y a là une réelle volonté de ne pas faire téléfilm, d’aborder cet univers prompt au clinquant et à la caricature avec humilité et respect. Ce qui tend à faire de Le Prix du succès, sinon un grand film, tout au moins une œuvre tout à fait honorable.
Brahim (Tahar Rahim) est une vedette montante de la scène humoristique. Le jeune comédien est à un tournant de sa carrière et de sa vie personnelle : il doit préparer un nouveau spectacle qui devrait définitivement faire de lui une star et il est très amoureux de sa compagne Linda (Maïwenn), qui met également en scène ses shows. Le problème de Brahim, c’est son frère Mourad (Roschdy Zem), qui se présente comme son manager mais duquel Brahim aimerait se démarquer professionnellement. Là où Brahim est doux, charmeur, posé et mûr, Mourad est grande gueule, agressif, intrusif et incontrôlable. Petit à petit, Mourad va de moins en moins supporter d’être mis à l’écart et les relations entre les deux frères vont se tendre… jusqu’à la rupture.
Lussi-Modeste est clairement peu intéressé par la représentation des fastes de la vie des people et beaucoup plus par ce que la fortune et la gloire imposent à des gens issus des quartiers populaires. Brahim sait apprécier sa célébrité et le confort matériel qu’elle lui apporte, pourtant il se sent redevable auprès de sa famille, et en particulier son frère. La caméra s’attache à donner un mouvement aux scènes avec Brahim mais avec douceur, sans hystérie, comme pour montrer que la vie du jeune homme est constamment portée par un double désir : celui d’aller de l’avant et celui de fuir, d’échapper à tout ce qui peut l’entraver, en particulier ce frère tant aimé mais encombrant. La seule qui parvient à le canaliser, c’est Linda, l’amante bienveillante et complice pro, celle qui incarne l’avenir, professionnel et personnel. Dans un rôle a priori plutôt impitoyable (la petite amie) mais écrit avec soin, Maïwenn apporte une grâce et une détermination bienvenues.
Les à-côtés pompeux de la célébrité, tels que le film les montre, sont plus des sources d’embarras, voire de quiproquos, que de réel plaisir. Teddy Lussi-Modeste les met en scène comme les premiers signes de la fracture qui va définitivement séparer les deux frères. C’est aussi là que Le Prix du succès est le moins convaincant. En caïd des cités trop heureux de s’accrocher aux basques de son cadet, Roschdy Zem fait ce qu’il peut pour faire exister un personnage sans relief, écrasé par des ressorts scénaristiques de plus en plus grossiers qui font basculer le film, dans son dernier quart, dans le thriller grotesque.
Le Prix du succès est plus habile lorsqu’il plonge Brahim dans une fête de famille où l’on se rend compte que toute fratrie comporte son lot de personnalités complexes, tour à tour accueillantes et perfides, généreuses et possessives. On aurait aimé que le film développe un peu plus cette veine étonnante, presque bergmanienne, et ne cède pas aux facilités du drame psychologique qui plombe un peu trop souvent le cinéma français.
ANALYSE
Brahim est un humoriste en pleine ascension. Sa réussite, il la doit à lui-même et à l’amour qu’il porte à Linda. Bon fils, il soutient les siens depuis toujours. Mais pour durer, Brahim doit sacrifier son grand frère, manager incontrôlable. Si l’échec peut coûter cher, Brahim va payer un tribut encore plus lourd au succès.
La célébrité et la gloire qui l’accompagne, bon nombre en rêvent et seraient prêts à bien des concessions pour l’atteindre. Mme de Staël nous a mis en garde La gloire est le deuil éclatant du bonheur affirme-t-elle. Car la reconnaissance perpétuelle et l’adulation publique n’ont rien d’une sinécure !
Voilà ce que tend à nous démontrer ce deuxième film de Teddy Lussi-Modeste, d’autant plus quand cette célébrité s’installe au cœur d’une famille tentaculaire où, par tradition, tout se doit d’être obligatoirement partagé et où chacun ne peut exister autrement qu’en membre indissociable du groupe, toute réussite individuelle étant jugée contre-nature.
Le thème abordé n’est pas sans rappeler le parcours de Jamel Debbouze évoqué dans le documentaire Jamel en vrai en 2002. Mais le réalisateur s’appuie sur sa propre expérience. Issu de la communauté des gens du voyage, il n’a pas oublié la violence qui s’est abattue sur lui dès lors que ses aspirations l’ont incité à entamer une carrière cinématographique. Il y a six ans il avait déjà consacré son premier long-métrage, Jimmy Rivière, aux difficultés rencontrées par un jeune homme appartenant à cette même communauté dont il souhaitait s’affranchir.
Quand le film démarre, Brahim est déjà au sommet de son succès. Tout semble lui sourire : il a de l’argent, il aide les siens, il vit une belle histoire d’amour. Dans la rue, on le reconnaît, on le sollicite et parfois on le harcèle. C’est alors qu’intervient son grand frère qui, à coup de méthodes peu recommandables, remet les opportuns à leur place quitte à écorner quelque peu l’image de la vedette en pleine ascension.
Brahim prépare son deuxième spectacle et a bien conscience qu’il n’a droit à aucune erreur. Il sait qu’il va devoir choisir entre sa famille et sa carrière. D’ailleurs si Mourad considère que c’est à lui que Brahim doit son succès, c’est bien à Linda que Brahim adresse ses remerciements sur scène. La tendresse fraternelle du début va se muer petit à petit en drame filial nourri de fiel, de rancœur et de menaces jusqu’à nous mener aux portes du polar.
La narration nous promène habilement entre la fausse magnificence de la réussite et la mélancolie qu’elle entraîne face à la difficulté de conserver une quelconque authenticité, tout en se préservant de privilégier un choix de vie plutôt qu’un autre. Dans ce film léger et sombre à la fois, le réalisateur le clame haut et fort : les requins les plus dangereux ne nagent pas dans les eaux du show-business mais bien au cœur de la famille.
C’est en effet là que les attentes sont les plus grandes, les rouages les plus pervers. La dégradation de la relation entre les deux frères n’est qu’un prétexte à nous démontrer avec finesse l’incompatibilité universelle entre le strass et les paillettes due à la célébrité et les habitudes quotidiennes pour ne pas dire ancestrales d’une famille modeste. L’avoir installée au sein d’une famille maghrébine où la vie du groupe prévaut sur celle de l’individu et où l’entraide et la solidarité sont obligatoires sous peine de passer pour un traître donne une dimension supplémentaire à ce conflit intérieur.
Le personnage de Linda (brillamment interprétée par Maïwenn auréolée d’une douceur qu’on lui avait encore peu vue au cinéma) se fait l’arbitre de la relation entre Brahim et sa famille. Lucide et forte, elle comprend très vite que Mourad tire son frère vers le bas et qu’il faut l’écarter. En lui présentant Hervé (Grégoire Colin au jeu tout en subtilité) pour booster sa carrière, elle sait qu’elle va créer une scission au sein de la famille dont elle sera la première victime. Si le rôle de Linda est essentiel pour la bonne compréhension du récit, c’est bien sur la totale osmose du duo Brahim (Tahar Rahim)/Mourad (Roschdy Zem) que repose toute l’aura du film.
Si le charisme discret de Tahar Rahim habille d’une intense sensibilité ce personnage d’artiste en proie à des tourments insolubles, Roschdy Zem, casquette vissée sur la tête et chaîne en or autour du cou, se glisse avec une réelle sincérité dans la peau de ce Mourad, plus attachant qu’il n’y paraît, empêtré dans ses failles et ses blessures et dont la violence ne trahit que la frustration de ne pas posséder les bons codes pour parvenir là où il rêve d’aller. On ne regrette pas d’avoir assisté à cet affrontement subtil et habilement mené qui a, en plus, l’élégance de ne laisser sur le terrain ni vaincu, ni vainqueur.