NUMERO UNE
Porté par des interprètes plus que convaincants, ce film traitant des relations entre pouvoir et machisme dégage une réelle grâce malgré un rythme inégal.
Réalisation : Tonie Marshall
Scénario : Tonie Marshall, Marion Doussot, avec la collaboration de Raphaëlle Bacqué
Interprétation : Emmanuelle Devos (Emmanuelle Blachey), Suzanne Clément (Véra Jacob), Richard Berry (Jean Beaumel), Sami Frey (Henri Blachey), Benjamin Biolay (Marc Ronsin), Francine Bergé (Adrienne Postel-Devaux), Anne Azoulay (Claire Dormoy), John Lynch (Gary Adams)…
Distributeur : Pyramide
Date de sortie : 11 octobre 2017
Durée : 1h50
Emmanuelle Blachey est une ingénieure brillante et volontaire, qui a gravi les échelons de son entreprise, le géant français de l’énergie, jusqu’au comité exécutif. Un jour, un réseau de femmes d’influence lui propose de l’aider à prendre la tête d’une entreprise du CAC 40. Elle serait la première femme à occuper une telle fonction. Mais dans des sphères encore largement dominées par les hommes, les obstacles d’ordre professionnel et intime se multiplient. La conquête s’annonçait exaltante, mais c’est d’une guerre qu’il s’agit.
Après le très improbable Tu veux ou tu veux pas réunissant Sophie Marceau et Patrick Bruel, Tonie Marshall revient avec un sujet plus sérieux sans être pesant et renoue avec ce dont elle parle le mieux : les femmes. Ce n’est que justice puisqu’une brochette d’actrices agréablement mises en scène dans Vénus Beauté (institut) lui vaut d’être depuis 2000 la seule représentante du sexe dit faible à détenir le César du (de la) Meilleur(e) Réalisateur(trice).
C’est donc d’un point de vue exclusivement féminin que Tonie Marshall décrit cette difficile ascension à des postes à haute responsabilité au sein du grand patronat. Elle aurait pu installer son propos dans l’univers de la presse, de la politique ou de tout autre domaine où atteindre le plus haut sommet de la pyramide managériale constitue la récompense suprême tout comme elle aurait pu opposer des hommes à des hommes ou des femmes à des femmes, puisqu’il semble bien que le goût du pouvoir soit universel et propre à toutes les espèces vivantes.
Aidée de Raphaëlle Bacqué, journaliste politique au journal le Monde, la réalisatrice prend le temps de rencontrer un bon nombre de femmes occupant des postes importants dans de grandes entreprises, ce qui lui permet de disséquer ce monde fermé avec réalisme et d’apporter une bonne dose d’authenticité à son récit.
Plantant son décor dans d’immenses bureaux dépouillés aux larges baies vitrées donnant sur les tours de la Défense, elle choisit de laisser de côté stratégies financières et problèmes de rentabilité pour ne se concentrer que sur la psychologie de ses personnages qui, tour à tour, faiblissent et se ressaisissent, allégeant d’une humanité salvatrice ce monde de violence contrôlée.
La première partie, entièrement centrée sur un casting féminin, s’arrête sur les composantes de ce groupe d’influence dont l’insistance et l’ambition parviennent à déstabiliser cette ingénieure pourtant déjà rompue à l’exercice du pouvoir tant il est culturellement peu habituel qu’une femme puisse accéder à de si hautes sphères. Adrienne (Francine Bergé dont les cheveux blancs et le maintien longiligne confirment une autorité naturelle) qui a connu les premiers pas de la libération féminine, militante convaincue, assistée de Véra (Suzanne Clément parfaite entre doute et détermination) et de Claire, issues des générations suivantes mais néanmoins bien décidées à ne rien céder ne la lâchera pas.
Femmes énergiques et positives, jamais revanchardes et en aucun cas geignardes, elles illustrent avec force cette ségrégation hommes/femmes héréditaire et inconsciente, finalement inscrite dans le système. Sous prétexte d’étoffer à tout prix les caractères de ses héroïnes, Tonie Marshall (également scénariste) se perd dans quelques redondances qui font patiner le scénario qu’une écriture vagabonde ne parvient pas à relancer.
Pour pénétrer au cœur de l’action, il faut attendre l’arrivée de Jean Baumel, ce rival carnassier au machisme odieusement bienveillant qui nous laisse entre admiration et répulsion, auquel Richard Berry se fait un malin plaisir (partagé) de prêter ses traits. Trahisons, passe-droits, chausse-trappes déboulent donnant brusquement à ce récit jusqu’alors ronronnant gentiment sur la cause féminine un petit air de polar aux relents machistes démultipliés. Les joutes verbales entre ce stratège aguerri et cette prétendante aux bouleversements de l’ordre établi nous réjouit par ses dialogues ciselés juste à point.
Le plus bel atout de ce film reste la performance impeccable d’Emmanuelle Devos. Colonne vertébrale du récit, elle se moule à la perfection dans le maintien et la gestuelle de ces femmes à poigne, tout en cultivant humanité et sensibilité. Par touches discrètes, le scénario nous révèle pudiquement que sa soif de pouvoir ne correspond pas seulement au goût de l’autorité et de la domination comme le lui reproche son père, ancien universitaire très critique envers le monde des affaires (Sami Frey tout en émotion et dont la complicité avec Emmanuelle Devos est palpable) mais constitue avant tout un hommage à une mère qui n’a jamais réussi à trouver sa place dans la société.
Evitant l’écueil du cynisme et de la victimisation, Tonie Marshall signe une comédie élégante et gaie à l’image de la chanson de fin interprétée par deux sympathiques « machos ».
L’ANALYSE :
Soyons honnêtes : il y a quelques années déjà que nous avions cessé de nous intéresser à la filmographie de Tonie Marshall. Après le sympathique Vénus Beauté (Institut) en 1999, pour être précis, dont le succès critique et populaire a été suivi de films pas franchement réussis, parfois sauvés par leurs acteurs (une Judith Godrèche hilarante dans France boutique, notamment), mais au mieux tout juste anecdotiques. La vraie réussite de Numéro une tient notamment au plaisir de voir une réalisatrice retrouver l’inspiration qui lui avait fait défaut toutes ces années, mais pas seulement.
Film éminemment politique, à la fois tendu et élégant, Numéro une parvient à s’inscrire dans une tradition cinématographique très contemporaine (le thriller glaçant dans le monde des affaires) et à y insuffler une humanité qui fait souvent défaut à un genre où les ressorts scénaristiques priment sur l’étude de personnages. Tonie Marshall vise les deux, et si Numéro une frôle parfois le trop-plein et n’évite pas toujours les raccourcis et les stéréotypes, il parvient à s’élever au-dessus du tout-venant et à tenir le cap jusqu’au bout.
Brillante ingénieure qui a su se hisser jusqu’au comité exécutif de l’une des plus grandes entreprises publiques françaises, Emmanuelle Blachey (Emmanuelle Devos) n’entend pas en rester là. Mais son ambition professionnelle prend une tournure inattendue lorsqu’elle est un jour approchée par un réseau de femmes d’influence qui lui proposent de briguer le poste de PDG d’une entreprise du CAC 40, et de devenir ainsi la première femme à accéder à une telle responsabilité.
Emmanuelle hésite, d’autant que les embûches sont nombreuses – à commencer par une concurrence très masculine, prête à tout pour ne pas se laisser doubler par une femme jugée illégitime tant par sa carrière que par son sexe.
Tonie Marshall et sa co-scénariste Marion Doussot (aidées par Raphaëlle Bacqué, grand reporter au Monde) se sont longuement documentées et préparées pour l’écriture de Numéro une (au départ un projet de série intitulé Le Club), et cela se voit. Le film fourmille de détails qui dénotent un réel souci de coller à la réalité d’un univers pris le cul entre deux chaises, entre traditions tenaces et évolution inéluctable. À savoir, l’émergence d’un nouveau type de management, porté par des femmes qui n’ont rien à envier à leurs homologues masculins question compétences et autorité, mais qui s’exerce différemment.
La mise en scène, toute en ambiance feutrée et cadrages serrés sur des corps en représentation, tendus par la course au pouvoir, sait se faire discrète pour rester au service de son scénario (les rares fois où elle s’en éloigne pour s’aventurer du côté de l’allégorie et des flash-backs, c’est nettement moins convaincant). Tonie Marshall montre très bien les petites humiliations quotidiennes subies par des femmes qui, même aux plus hautes fonctions, doivent composer avec un sexisme qui ne dit pas son nom, une défiance quasi systématique et des réflexes d’un autre âge. Quand, par exemple, Emmanuelle doit gérer une crise au sein de sa propre équipe et mettre à pied un de ses collaborateurs, un de ses collègues du comité exécutif lui demande si elle souhaite qu’il s’en charge à sa place. Ou comment le bon vieux mythe du cow-boy qui prend les choses en main est coriace, surtout dans le monde archi-patriarcal de l’entreprise.
Emmanuelle n’est pas une super-héroïne, et Tonie Marshall veille à ne pas charger la barque d’un côté comme de l’autre. C’est un très beau personnage, que la réalisatrice prend soin de ne pas encombrer des casseroles habituelles (si l’on excepte un background maternel aussi inutile que grossier, platement illustré et un peu encombrant), entouré d’une cellule familiale esquissée avec un réel souci de ne pas tomber dans les travers du « film dossier ». Emmanuelle a un mari qui la soutient, mais qui réclame aussi sa part d’équité dans un couple dont on devine l’histoire à travers d’infinis détails.
Elle a aussi des enfants et un père, malade mais facétieux (Sami Frey), à la fois conseiller et confident, et là aussi la réalisatrice évite les pièges du mélo œdipien qui pourrait plomber leurs scènes. Est-il utile de préciser qu’Emmanuelle Devos est parfaite ? L’actrice, qui donne toujours le sentiment d’exprimer mille choses avec un minimum d’effets, est toujours juste, jamais où on l’attend, dans une forme de jeu qui réussit le miracle d’être crédible sans se soucier d’un quelconque naturalisme. De l’art d’être au monde en assumant un léger décalage, une étrangeté qui rendent chacune de ses interprétations plus vraies que nature.
Numéro une est un film qui veut dire et montrer beaucoup de choses sans pour autant perdre de vue un certain sens de ce que doit être le cinéma populaire, et c’est tout à son honneur. Il en pâtit parfois, multipliant les personnages et les détours narratifs (des restes du projet initial de série ?) qui frôlent parfois l’indigestion. Si les personnages féminins s’en sortent plutôt bien (de Suzanne Clément à Francine Bergé et Anne Azoulay, les comédiennes s’acquittent à merveille de rôles qui tenter d’exister sans sombrer dans la caricature en quelques scènes à peine, une gageure pas toujours relevée), les seconds rôles masculins sont moins bien servis…
Tout du moins, ceux qui représentent « l’ennemi », symbolisé essentiellement à travers les personnages interprétés par Richard Berry et Benjamin Biolay. Tonie Marshall en rajoute parfois trop dans le côté retors et graveleux de ces hommes d’un autre âge, portés par une fierté masculine mal placée, divisés en un combat de coqs ridicule là où la fameuse solidarité féminine, elle, s’exerce jusqu’au bout. La démonstration est un poil simpliste et aurait mérité un peu plus de nuance.
Ce qui n’entache pas pour autant la belle réussite de ce film qui montre une nouvelle facette de Tonie Marshall : moins fantaisiste, en prise avec un présent et une urgence qui vont bien à son cinéma.