Sortie : 23 novembre 2022 en salle, 4 avril 2023 en DVD
Durée : 2h03
Genre : Drame, Judiciaire
De Alice Diop
Avec Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Valérie Dréville, Salimata Kamate, Fatih berk sahin
Premier film de fiction d’Alice Diop, Saint Omer reprend l’histoire réelle de Fabienne Kabou, une mère qui a laissé sa jeune fille de 15 mois être emporté par la marée montante de la mer sur une plage située à Berck Sur Mer.
Dans le film d’Alice Diop, Fabienne Kabou devient Laurence Coly et s’intéresse au déroulement de son procès. C’est ainsi par l’intermédiaire d’un autre regard que l’on assiste au jugement de Laurence, celui de Rama qui va apprendre à connaître cette Médée moderne.
La réalisatrice compose un magnifique film de procès qui est une formule que l’on pouvait penser éculée tant ce genre avait été exploré par le cinéma. La transition du cinéma documentaire vers le cinéma de fiction est ici une grande réussite puisque la précision du regard de la cinéaste s’apparente à ce qu’elle a pu composer avec ses autres films. Le procès est par exemple décrit avec beaucoup de rigueur au point d’y observer la représentation du tirage au sort des jurés ou encore d’éprouver le temps propre au procès. Le temps lors d’un procès est éprouvant et forcément fatiguant, Diop fait donc le choix de représenter ce temps et d’en faire ressentir la longueur. Les tirades et échanges se déversent sans arrêt, on y apprend ainsi à découvrir Laurence Coly qui maîtrise très bien les éléments de langage provoquant la surprise de l’hémicycle. Cette surprise est une violence, elle est liée à la couleur de peau de Laurence, à ses origine et à la médiocrité originelle qui n’existe que dans l’esprit des nostalgiques du colonialisme. Ce procès devient alors une sorte de reliquat du passé sombre de la France.
Le procès de Laurence Coly dépasse donc sa nature de petit événement qui finirait dans la rubrique fait divers d’un petit journal de campagne. C’est au contraire l’universalité de sa portée que ne cesse de le souligner la cinéaste. Le choix d’introduire le personnage de Rama dans cette histoire n’est donc pas anodin puisque c’est avec ses yeux que l’on appréhende Laurence et sa complexité. Sa présence créé à la fois un détachement et une empathie assez bouleversante qui commence avec une peur, celle de devenir comme cette femme qui provoque froidement la mort de son enfant. Cette crainte s’incarne dans cette séquence incroyable où Rama regarde chez elle un extrait de Médée de Pasolini sur son ordinateur. Face à Laurence elle se questionne en tant que femme et mère.
La maternité est véritablement la question qui travaille tous les personnages du film. Laurence Coly devient donc un révélateur, une vérité qui gêne. Avoir un enfant n’est pas un gage de bonheur, être mère n’est pas une liberté. Toute la souffrance de l’accusée est évoquée dans ce monologue magistrale que prononce son avocate vers la fin du film. Cette séquence très belle, puissante et émouvante confirme la portée universelle du procès et des problématiques qui en découle.
Le regard caméra de l’avocate devient donc un discours qui s’adresse à toutes les femmes. Laurence Coly n’est donc pas la petite meurtrière que l’on tente de dépeindre mais bel et bien la victime d’une pression sociale qui ne cesse de faire souffrir les femmes.
Saint Omer est donc un grand film qui marque une transition parfaitement réussie entre le cinéma documentaire et celui de fiction pour la si talentueuse Alice Diop.
Le film est disponible chez Blaqout depuis le 4 avril 2023 avec en complément un entretien avec la réalisatrice.
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