LOGAN LUCKY : Steven Soderbergh (Sexe, Mensonges et Vidéo (Sex, Lies, and Videotape), Hors d’atteinte (Out of Sight), L’Anglais (The Limey), Erin Brockovich, seule contre tous (Erin Brockovich), Traffic, Ocean’s Eleven, Full Frontal, Solaris, Eros, Ocean’s Twelve, Ocean’s Thirteen, Che, 1re partie : L’Argentin (Che: Part One), Che, 2e partie : Guerill (Che: Part Two), The Informant!, Contagion, Piégée (Haywire), Magic Mike….) sort de sa retraite entamé en 2013 (à la suite de la sortie du film « Effets secondaires » avec Channing Tatum, Rooney Mara, Jude Law, Catherine Zeta-Jones et du téléfilm HBO « Ma vie avec Libérace » avec Matt Damon et Michael Douglas) et reviens avec la volonté de frapper fort!
Le plus jeune réalisateur primé de la Palme d’Or, à tout juste 25 ans en 1989 pour son film Sexe, Mensonges et Vidéo, revient avec la ferme intention de revisiter le film de cambriolage selon une formule qui a déjà fait son succès. Armé d’un scénario malin et d’un casting quatre étoiles, il continue sur la lancée de ses succès passés.
Réalisation : Steven Soderbergh
Scénario : Rebecca Blunt
Image : Steven Soderbergh
Costumes : Ellen Mirojnick
Montage : Steven Soderbergh
Producteur(s) : Gregory Jacobs, Mark Johnson, Channing Tatum, Reid Carolin
Interprétation : Channing Tatum (Jimmy Logan), Adam Driver (Clyde Logan), Daniel Craig (Joe Bang), Riley Keough (Mellie Logan), Katie Holmes (Bobbie Jo), Seth MacFarlane (Max Chilblain), Katherine Waterston (Sylvia Harrison), Hilary Swank (Sarah Grayson)…
Date de sortie : 25 octobre 2017
Durée : 1h 58min
Deux frères pas très futés décident de monter le casse du siècle : empocher les recettes de la plus grosse course automobile de l’année. Pour réussir, ils ont besoin du meilleur braqueur de coffre-fort du pays : Joe Bang. Le problème, c’est qu’il est en prison…
Après l’avoir vu passer, pendant une dizaine d’années, de genres en genres, selon les modes du moment, sans ne jamais en marquer aucun mais s’assurant chaque fois un succès relatif grâce à la présence d’un casting toujours bankable, on aurait pu penser que la méthode Soderbergh avait atteint ses limites quand le réalisateur avait annoncé prendre sa retraite.
Quatre années plus tard, le cinéaste est pourtant de retour avec une idée qui semble juteuse : revenir au genre du film qui reste, dans les mémoires du public, le plus emblématique de sa carrière, Ocean’s eleven. Ce retour au film de braquage est cependant conçu comme l’antithèse de la vision qu’il avait donnée à son remake de L’Inconnu de Las Vegas, à savoir que l’esthétique clinquante de la ville et le charme glamour de ses voleurs de haut vol sont remplacés par une image peu reluisante de l’Amérique profonde, peuplée de rednecks cradingues.
Ceci dit, la thématique en elle est à la mode : Comancheria en est le meilleur exemple. A cela, le réalisateur ajoute une plus-value, celui d’une bande originale vintage… encore un effet de mode. Comme à son habitude, Soderbergh s’est entouré d’acteurs dont la présence est toujours un solide argument commercial. C’est ainsi que Channing Tatum et Adam Driver se retrouvent propulsés en têtes d’affiche, incarnant deux frangins marqués par une malchance pathologique.
Ce postulat aurait pu être le point de départ de nombreux gags lourdauds mais est en fait exploité comme un élément dramatique puisque présenté comme une peur de l’échec à affronter. Cette façon de ne jamais tourner à la pure comédie déjantée va, de la même façon, s’étirer sur l’ensemble du long-métrage. Ce choix est d’ailleurs surprenant, tant le look affublé à Daniel Craig semblait propice à un rôle survolté. Bien au contraire, hormis quelques mimiques écrues, son personnage semble si flegmatique que l’on en vient à déplorer une direction d’acteur qui ne parvient pas à exploiter son potentiel comique.
La difficulté qu’a Soderbergh à trouver le ton juste, entre chronique sociale et comédie policière assumée, ne l’empêche cependant pas de profiter d’une écriture dans l’air du temps. C’est assurément grâce à elle qu’il parvient dresser une galerie de personnages secondaires qui forment une peinture au vitriol de son pays. Bien plus que le déroulée de l’intrigue principale, qui correspond à la mise en place du cambriolage, c’est la somme des sous-intrigues qui fait de Logan Lucky un film plus habile qu’il n’y paraît. Le rapport qu’ont les personnages aux spectacles, qu’il s’agisse du NASCAR pour les uns ou du concours de chant des enfants pour les autres, en dit long sur la vulgarisation du rêve américain. Cette dénonciation sociétale aurait toutefois gagné à être faite de façon un peu plus corrosive.
A côté de cette piste trop peu développée, l’histoire de braquage semble n’être en fin de compte qu’un prétexte pour mettre en avant ces deux frères qui avaient tout pour coller à l’image des héros américains (un champion de football et un soldat) mais qui se retrouvent dans une situation de victimes dans un système ostracisant. Encore une fois, le rapport des personnages principaux à l’Amérique contemporaine manque de mordant.
En guise de moteur au scénario, la mise en scène de leur délit a beau être éminemment efficace, il s’agit d’une mécanique qui souffre d’un rythme monocorde. Malgré la rapidité que lui donne le montage, au risque même parfois de paraître un peu brouillon, cet arc narratif s’avère pauvre en surprises et en punchlines mémorables. Et même si le film assure sa fonction de divertissement en créant quelques scènes ou dialogues amusants, ceux-ci restent bel et bien anecdotiques.
Au final, Logan Lucky ne sait pas sur quel pied danser pour la simple et bonne raison que son écriture et sa mise en scène semblent tout du long en parfaite contradiction. Le résultat est inévitablement un film bancal, trop peu drôle pour être une bonne comédie et trop mal rythmé pour être un thriller percutant. Le meilleur exemple de cette réalisation scabreuse est l’introduction du soi-disant twist final qui semble avoir été importé par un Soderbergh désireux de reproduire la recette d’Ocean’Eleven par-dessus un scénario qui, ne lui ayant pas permis de se construire en amont, le rend parfaitement accessoire, voire idiot. Dommage, il y avait pourtant de bonnes idées dans cet heist movie et en particulier dans son contexte socio-économique symptomatique de l’Amérique d’aujourd’hui.
L’ANALYSE CONTRADICTOIRE :
Les frangins à la dérive continuent de truster les premiers rôles du cinéma américain. Après Good Time, voici Logan Lucky, dont le point commun avec le film de Ben et Josh Safdie est de mettre en scène deux frères bien décidés à conjurer la scoumoune qui leur court après. Avec ce retour à la caméra – qu’il n’a jamais vraiment quittée, nous le disions en 2015 –, Steven Soderbergh lorgne pourtant du côté d’une toute autre fratrie que celle des Safdie et de leurs doubles fictionnels malheureux.
Aux frères Coen, il emprunte aujourd’hui un humour vernaculaire savoureux, qui procède d’un sens de l’observation aigu de la faune locale, riche en spécimens d’humanité bousillée. Le décor de son premier long-métrage depuis 2013 est planté en Virginie occidentale et en Caroline du Nord, bastions sudistes de l’Amérique de Trump, à laquelle Soderbergh semble s’adresser sans condescendance, mais sans ménagement non plus. Ici, les personnages sont davantage portés à rire d’eux-mêmes – et nous avec – qu’à se laisser ridiculiser, comme l’illustre à merveille une scène de rixe dans un bar, au cours de laquelle un nouveau riche écope d’une châtaigne pour avoir eu l’impudence de se payer la tête d’un handicapé.
Après le diptyque Magic Mike/XXL, Logan Lucky s’emploie donc avec bonheur à redorer le blason de prolétaires lessivés que le rêve américain a effleurés avant de disparaître à jamais. Une blessure à la jambe a eu raison des espoirs de Jimmy (Channing Tatum) d’intégrer la NFL, cependant que son frère Clyde (Adam Driver) est devenu manchot à la suite d’un déploiement en Iraq.
Le premier vient tout juste d’être licencié d’un chantier ; le second sert du bourbon dans un rade local. Lorsqu’ils décident de s’acoquiner avec Joe Bang (Daniel Craig, dans le contre-emploi de sa vie), un spécialiste des explosifs qu’ils doivent d’abord faire évader de prison pour qu’il les aide à dérober la recette de la course de NASCAR la plus suivie de l’année, il est à craindre que la poisse ne leur joue à nouveau des tours. Il est à craindre aussi que Soderbergh se contente de réitérer le casse d’Ocean’s Eleven, son plus grand succès, à défaut d’être son titre le plus intéressant.
C’est ce que la structure privilégiée pourrait laisser accroire, dans la mesure où le déroulement de Logan Lucky épouse à nouveau les phases successives des repérages, des préparatifs et de l’exécution. Un sentiment de redite que vient conforter le mobile véritable du crime, l’argent n’étant ici aussi que secondaire. Sous le pactole, sommeille un même désir de revanche, amoureuse chez Danny Ocean, sociale chez Jimmy Logan, l’un et l’autre ayant perdu leur femme au profit d’un rival plein aux as. Surprise ! Le film de casse minuté, dont Soderbergh s’acquitte avec le savoir-faire d’un horloger de métier, en cache un autre, le seul qui nous intéresse vraiment : un récit d’émancipation sociale fantaisiste où un homme emprunte des chemins détournés pour se rapprocher de sa fille.
En choisissant, dès le premier plan, de faire de Jimmy un père plutôt qu’un criminel, Logan Lucky rafle la mise. Cette scène inaugurale de complicité trouvera son pendant juste avant la ligne d’arrivée, lors d’un spectacle scolaire de fin d’année au cours duquel Sadie improvisera un hold-up émotionnel désarmant de justesse et de simplicité. Grâce à un solide scénario – qu’il aurait écrit sous pseudonyme –, Soderbergh parvient à suivre simultanément plusieurs pistes narratives sans quitter une seconde la route des yeux, à l’image de Mellie (formidable Riley Keough), un baby driver bien plus convaincant que le héros du film récent du même nom. D’une manière générale, la direction d’acteurs est particulièrement précise, jusque dans les rôles secondaires.
Katie Holmes, Katherine Waterston et Hilary Swank tirent ainsi le meilleur parti de leur présence limitée à l’écran pour imposer de mémorables performances d’Américaines indépendantes d’aujourd’hui. Cosméticienne à la conduite sportive, médecin de campagne privée de moyens ou enquêtrice du FBI coriace, la seule à manquer d’estime de soi est la divorcée white trash qui a choisi de se reclasser auprès d’un concessionnaire aisé. Et au rayon hommes, si Channing Tatum a troqué sa tenue de stripteaseur pour un col bleu,il continue de faire allègrement fructifier un capital sympathie qui n’est pas loin de faire de lui le nice guy le plus attachant d’Hollywood.
Avec un sens du rythme consommé (dans le New Yorker, Richard Brody parle à juste titre de « swing »), Logan Lucky orchestre les péripéties facétieuses de ses pieds nickelés prêts à tout pour se sortir de l’ornière dans laquelle les élites politiques les ont tranquillement laissés s’enliser. Chemin faisant, il redonne quelques lettres de noblesse aux classes laborieuses du coin, tout en pointant les aberrations qui font des États-Unis un pays aussi arriéré qu’il peut être moderne.
Un peu comme si un cinéaste de gauche élevé en dessous de la ligne Mason-Dixon opérait un retour aux sources après une longue absence, histoire de regagner les cœurs et les esprits de ses concitoyens convaincus d’avoir été abandonnés par des gens comme lui. Ça tombe bien, il s’appelle Steven Soderbergh et il est né en Géorgie.
7/10