Titre original et français : Baby Driver
Titre québécois : Baby le chauffeur
Réalisation et scénario : Edgar Wright
Direction artistique : Justin O’Neal Miller
Décors : Lance Totten
Costumes : Courtney Hoffman
Photographie : Bill Pope
Montage : Paul Machliss
Musique : Steven Price
Production : Tim Bevan, Eric Fellner et Nira Park
Producteurs délégués : James Biddle, Liza Chasin, Adam Merims et Michelle Wright
Sociétés de production : Media Rights Capital, Big Talk Productions et Working Title Films
Sociétés de distribution : TriStar (États-Unis), Sony Pictures Releasing France (France)
Pays d’origine : États-Unis, Royaume-Uni
Langue originale : anglais
Format : couleur – 2.35:1 – 35 mm – son Dolby Atmos
Genre : comédie policière, action, film de casse
Durée : 115 minutes
Dates de sortie : États-Unis : 28 juin 2017, Royaume-Uni : 16 août 2017, France : 19 juillet 2017, Belgique : 23 août 2017
Distribution : Ansel Elgort, Kevin Spacey, Lily James, Jon Hamm, Jon Bernthal, Jamie Foxx.
Après sa déconvenue avec Marvel Studios suite au film Ant-Man, qu’il devait initialement réaliser avant de s’être vu obligé de prendre la porte, Edgar Wright décide de revenir en grande pompe avec son Baby Driver. Seul au scénario, fait assez rare dans la filmographie du bonhomme, il affiche clairement la volonté de se venger de son expérience avec les gros studios dans un long-métrage qui se veut original et inventif dans une industrie plus encline à produire des suites et remakes à tour de bras. Comme à son habitude, le cinéaste part d’un genre éculé du cinéma pour totalement se l’accaparer en se jouant des clichés et des attentes pour offrir une oeuvre unique en son genre, accessible à tous et faisant preuve d’une maîtrise du langage cinématographique qui force le respect. Baby Driver avait tout d’un pari risqué pour un réalisateur qui est attendu au tournant suite à la fin de sa trilogie Cornetto qui n’a pas convaincu tout le monde, et Wright évite les coups avec habileté et va là où on ne l’attendait pas.
Une chose est sûr à la vue de ce Baby Driver, c’est qu’Edgar Wright n’est pas un scénariste particulièrement fin. Étant souvent accompagné d’autres plumes en plus de la sienne, ici il tente de faire ses preuves seul dans le domaine, et signe un scénario globalement calibré et pas très subtil. On retrouve la sincérité qui caractérise ses œuvres, ses thèmes les plus chers et ce respect du genre qu’il adapte pour mieux le faire sien, mais les choses s’imbriquent un peu moins bien que par le passé. Le style y est plus mature, plus tenu et donc moins enclin aux fulgurances, on sent le film par moments trop carré dans sa narration et dans ses dialogues. Ils sont toujours aussi bons, Wright a clairement le talent pour les écrire, mais ils sont peu mémorables par rapport aux standards de ses anciens films. Wright garde une certaine naïveté adolescente sur son récit mais a paradoxalement grandi et ne parvient pas totalement à nous faire croire à cette histoire d’amour qui sera le cœur du film. Elle est certes mignonne mais ne sonne pas suffisamment vrai pour qu’on s’y investisse totalement. Comme lorsque Baby Driver prend un tournant un peu plus sérieux dans son dernier acte, mais que celui-ci n’est pas assez fort pour vraiment transcender son audience. A trop se disperser Wright donne l’impression de retenir ses coups, du moins dans son scénario qui finit par manquer d’impact.
En revanche, le cinéaste est toujours aussi doué quand il s’agit de prendre un genre et de le sortir des sentiers battus dans lequel il s’est enfermé. Prenant globalement la forme d’un film de casse, il est rythmé comme un car chase movie et traité comme une comédie musicale. Baby Driver est le fruit d’influences diverses et conjugue l’amour de son cinéaste pour les images et la musique. L’ensemble déborde de passion et d’énergie qui donnent une pêche d’enfer, effaçant d’un revers de main les rares choses qu’on pourrait reprocher et nous happent totalement dans l’univers sensoriel qui est déployé. La capacité du film à dévier des chemins attendus s’étend aussi à la caractérisation des personnages, qui à l’exception de celui très caricatural de Jamie Foxx, vont pouvoir révéler des facettes beaucoup plus complexes de leur personnalité et éviter un manichéisme redondant. C’est dans cette capacité à surprendre que Baby Driver démontre toute l’intelligence de sa construction qui se révèle être pensée à tous les niveaux. Même dans le choix des acteurs, où le jeune Ansel Elgort semble manquer de charisme de prime abord, mais tient en bride un casting de ténors dont font partie Jon Hamm et Kevin Spacey. Ils sont cependant tous très bons mais Elgort vole la vedette par sa subtilité mais aussi par une performance physique absolument hallucinante lors des scènes d’action. Lily James apporte quant à elle un peu plus de nuances dans un casting très viril, et en impose par la fraîcheur de son jeu.
Mais là où Edgar Wright impressionne totalement c’est dans la création visuelle même de son film. Sa mise en scène sert tout autant à l’action qu’à la caractérisation de son personnage principal. Baby est avant tout un personnage qui est mis en scène, plus qu’il n’est écrit. Il est construit à travers le montage, le mouvement et l’utilisation de musiques intradiégétiques qui viennent correspondre à son état d’esprit et son évolution. Chose relativement rare dans une œuvre de cinéma car c’est un procédé très dur à mettre en image. Mais avec une maîtrise qui laisse pantois, Wright parvient vraiment à nous immerger dans l’espace mental de son personnage. La technique est folle, que ce soit dans des longs plans séquences millimétrés à la perfection, des scènes de courses poursuites énergiques et rythmées par la musique et le travail très esthétisé sur les éclairages. Tout cela doit être en coordination parfaite avec la musique qui compose la scène et jamais Wright ne déraille dans sa démarche. Baby Driver est chorégraphié avec une virtuosité telle qu’il en devient étourdissant. On en ressort épuisé face à la générosité constante de l’œuvre mais aussi de son inventivité presque émouvante. Une leçon de montage et de mise en scène.
Baby Driver déborde d’amour en ce qu’il adapte et assoit définitivement Edgar Wright comme un créatif hors norme. Son long métrage est un mix survitaminé et une vraie déclaration aux films de genre, à la musique mais plus précisément au cinéma et à la créativité en général. Une oeuvre faite par un passionné pour des passionnés mais qui ne laisse jamais son audience en dehors de son délire. Par la force du montage et de la mise en scène, on s’immerge dans un spectacle sensitif sans pareil, qui s’impose à la fois comme un grand divertissement mais également un film tout aussi original qu’inventif. Et cela fait du bien de voir quelque chose qui n’est ni une suite, ni un remake ou le maillon d’un univers étendu. Même si on peut lui reprocher quelques toussotements dans son scénario très calibré qui retient ses coups sur son dernier acte et se clôture de manière un brin téléphonée ; ou encore qu’il est peut être un peu éreintant tant il n’a aucune mesure dans sa générosité, ce Baby Driver pourrait bien s’avérer être le film de l’été.
L’ANALYSE ET LA CRITIQUE DU FILM
Encore souvent appréhendé via le prisme de la comédie geek goguenarde, Edgar Wright a prouvé caméra à la main qu’il était bien plus qu’un ventilateur de références pop et marqué les esprits avec un surréaliste Scott Pilgrim contre le reste du Monde. Après avoir été éjecté d’Ant-Man, le metteur en scène revient au cinéma américain à l’occasion de Baby Driver, somme frénétique de ses précédents efforts et véritable déflagration cinématographique.
Depuis l’accident de voiture dans lequel sont morts ses parents, Baby a la conduite dans le sang, mais aussi de sévères acouphènes. C’est donc pied au plancher et écouteurs vissés sur les tympans qu’il fait le chauffeur pour toute une clique de braqueurs parfaitement infréquentables. Sur le point de rembourser enfin la dette qui l’a condamné à cette existence hors les clous, il fait la rencontre d’une jeune femme pour laquelle il envisage de tout quitter.
Chauffeur pour des braqueurs de banque, Baby ne compte que sur lui-même pour être le meilleur dans sa partie. Lorsqu’il rencontre la fille de ses rêves, il cherche à mettre fin à ses activités criminelles pour revenir dans le droit chemin. Mais il est forcé de travailler pour un grand patron du crime et le braquage tourne mal… Désormais, sa liberté, son avenir avec la fille qu’il aime et sa vie sont en jeu…
Il aura finalement fallu attendre cinq ans avant de pouvoir se mettre un nouvel Edgar Wright sous la dent. C’est chose faite avec ce Baby Driver qui devrait satisfaire toutes celles et ceux qui aiment ne pas lever le pieds de la pédale d’accélérateur tant que le son est bon.
Sur le papier, Edgar Wright entre dans le cinéma de braquage, le heist movie, par une de ses portes les plus fréquentées, à base de dernier gros coup, de rédemption romantique et de dépassement d’un trauma originel. S’il s’empare avec appétit de tous ces stéréotypes et les revisite sans une once d’ironie post-moderne, il va néanmoins user d’un stratagème aussi simple que puissamment radical pour en repousser toutes les limites et faire exploser le genre de l’intérieur.
Nous n’avions plus vraiment eu de nouvelle du petit prodige Edgar Wright depuis son désistement houleux du projet Ant-Man (par ailleurs un triste constat que de voir ce genre de départ devenir une habitude dès lors qu’il s’agit de super-production), le dernier film de l’Anglais à ce jour étant donc Le Dernier Pub avant la fin du monde, segment final de la fameuse Blood and Ice Cream Trilogy. Or donc, c’est un peu par surprise que débarque ce Baby Driver qui n’en reste pas moins des plus attendus, en plus d’être un projet mûris de longue date (les prémices de celui-ci remontant tout de même à 1995, même si alors juste un embryon d’idée). La question est donc, Baby Driver tient-il donc sa promesse de « film le plus cool de l’été », réputation qui lui colle à la peau depuis les premières projections dithyrambiques aux USA ?
Sans surprise, ce n’est pas encore cette fois qu’Edgar Wright nous décevra, le film relevant haut la main son pari de course-poursuite sur fond de rock’n’roll . Car oui, là on où l’on pouvait craindre un ersatz de Drive en version ado (le prologue est pour ainsi dire le même en matière de trame narrative, à savoir un chauffeur talentueux aidant des braqueurs à fuir après un casse), Baby Driver officie avec des intentions toutes autres, notamment celle d’être un gros trip d’action dopé au son de Queen, T. Rex, The Damned ou encore The Commodores, la liste étant vraiment longue…
Et pour cause, la musique, toujours essentielle dans les films du réalisateur (le juke-box dans Shaun of the Dead ou la majorité des scènes de Scott Pilgrim en témoignent) se fait ici omniprésente, tenant le vrai premier rôle de l’œuvre. Elle englobe la quasi-intégralité du métrage, donnant d’autant plus d’impact à ses quelques moments de silence, et agit en parfaite synergie avec lui. On est donc bien loin de l’horripilante « playlist aléatoire » à la Suicide Squad que l’on pouvait légitimement redouter avec une bande originale d’une telle consistance (on avoisine tout de même les trente titres).
Un écueil qu’Edgar Wright évite notamment à la grâce de sa maîtrise absolue du rythme, celui-ci étant avant tout axé sur la nervosité et le fun. Cela se constate aussi bien dans les scènes d’action, se synchronisant efficacement sur la musique tonitruante, que sur les quelques blagues balancées ici et là et qui font toujours mouche (en cela la version originale est à privilégier, ce fameux rythme étant difficilement restituable). Baby interagit avec son environnement essentiellement via la musique, qui lui permet de suivre le fil de son existence, et de garder la maîtrise des évènements (voire le brillant gimmick des chansons à relancer pour que les braquages se déroulent sans accrocs). Evènements totalement chaotiques, que seule la musique l’autorise à agencer de manière cohérente. Wright prend ce principe scénaristique au pied de la lettre et choisit de mettre son, découpage, montage et photographie au diapason du cerveau supersonique mais à la perception azimutée de son héros. On ajoutera une mise en scène qui, si elle se fait moins tape-à-l’œil que dans l’excellent Scott Pilgrim, n’en demeure pas moins virtuose et follement ingénieuse, chaque plan ayant droit à sa petite idée pour lui donner du cachet.
Alors certes, tout ceci se fait au détriment d’un scénario pas toujours folichon. On ne peut que regretter la romance un peu bâclée entre Baby (le protagoniste) et Debora (à moins qu’il ne s’agisse là de Shelly Johnson de Twin Peaks, la ressemblance physique étant véritablement troublante avec l’actrice Mädchen Amick), comme si la vélocité qui imprègne tout le film se faisait au gré des relations entre personnages. Un défaut que l’on finit pourtant par digérer durant cette course débridée, cette graine de film culte finissant par assumer pleinement son délire dans une dernière demi-heure dantesque qui voit le cinéaste aligner les moments de bravoure et de coolitude exacerbée.
À ce titre, on pourrait dire de Baby Driver qu’il est le plus tarantinesque des Edgar Wright. Alors oui, on sait que les comparaisons avec l’auteur de Pulp Fiction sont trop souvent légion dès lors qu’il s’agit du cinéma un tant soit peu de genre, mais comment ne pas penser à lui avec cette brillante utilisation de la bande-originale donc, mais aussi de cette violence décomplexée qui surgit quand on ne s’y attend pas, Edgar Wright recourant de temps à autre à quelques effets gore, qui n’atteignent pas pour autant les moments les plus graphiques de Shaun Of The Dead ni même de Hot-Fuzz. De plus, toujours à l’instar de Tarantino, Wright sait, et ce n’est encore pas une nouveauté, choisir un casting parfaitement approprié. Que ce soit Kevin Spacey, John Hamm, Ansel Elgort ou Lily James, tous conviennent parfaitement à leur rôle. Et on ne peut que se satisfaire de voir un Jamie Foxx s’éclater en bad-guy aux pulsions meurtrières ; l’acteur n’ayant d’ailleurs pas tari d’éloges sur le film lors de sa promo, quitte à taper sur Sleepless dont il tenait la tête d’affiche en début d’année aux USA (sortie estivale le 9 août sur notre territoire, ndlr).
Baby Driver se transforme ainsi en un incroyable remix, qui mélange avec une habileté prodigieuse les différents niveaux de perception. Quand les tubes qui constellent l’immense majorité des longs-métrages, à fortiori ceux qui entendent imposer un style identifiable, ont tendance à tourner au clip artificiel, le réalisateur fait le choix fort de n’avoir recours qu’à des musiques intradiégétiques. C’est à nous percevons ainsi la phénoménale bande-originale que se compose Baby, le grondement de son moteur, le raclement de ses pieds sur les pédales et les dialogues fleuris de Wright, tous mêlés en un surpuissant maelstrom.
Sans maîtrise, le résultat pourrait n’être qu’un insupportable capharnaüm, mais l’artiste fait de ce dispositif un véritable moteur à explosion. Sans jamais sacrifier à la réalité ni à l’impact émotionnel, il échafaude ainsi des séquences supersoniques, fusillades acidulées où les détonations prennent le rôle des basses, joutes verbales où les claquements de langue scandent des standards de rock, distordant notre perception et nous poussant jusqu’à un état d’excitation inédit.
Ce puzzle sonore, dont l’apparente anarchie sublime des trouvailles qui confinent au prodige, lui permet de solliciter tout son kaléidoscopique talent de pur metteur en scène. Si Wright a toujours pris soin d’émailler ses métrages de codes couleur, tantôt discrets tantôt criards, il use ici du procédé pour souligner, annoncer, remodeler le sens des sons qui traversent nos oreilles, et transformer la grammaire cinématographique en un matériau souple, protéiforme.
On s’amusera ainsi à voir comment il orchestre l’affrontement de véritables plages colorimétriques, comment la couleur jaune vient soudain parsemer l’écran à la manière d’une ponctuation folle, le temps d’un plan séquence qui convoque aussi bien l’indolence de l’âge d’or des comédies musicales que les chorégraphies surtendues de Scorsese. Une furie plastique qui l’autorise fréquemment à dévier du côté de visions inouïes, qui convoquent parfois jusqu’au Giallo, lorsque qu’un halo rougeoyant embrase le visage d’un Jon Hamm incandescent.
Cette folie esthétique, Edgar Wright l’injecte jusque dans son scénario, qui d’un récit criminel ultra-balisé va progressivement virer à la chronique d’une émancipation familiale, et pulvériser de l’intérieur les clichés inhérents au genre. Exception faite du personnage, efficace mais un peu convenu, de Jamie Foxx, chaque protagoniste se voit donner l’opportunité de dévier du chemin attendu.
À la manière du dernier Mad Max, Baby Driver repousse les limites de son médium, non pas en proposant une œuvre réflexive ou un condensé théorique, mais en s’emparant de ses éléments de langage les plus universellement partagés pour en repousser le sens.
Baby Driver est donc un parfait condensé du savoir-faire d’Edgar Wright, même si l’œuvre manque peut-être un peu de personnalité par rapport à ce que le Britannique a pu faire auparavant (affirmation toute relative, le bonhomme ayant tout de même une patte bien reconnaissable). Il serait néanmoins dommage de se priver d’une telle virée à tombeau ouvert, éprise de bon rock et de courses-poursuites furieuses s’inscrivant dans ce qui se fait de mieux dans le genre.
Baby Driver est un pur film de braquage, qui s’échine et réussit à offrir à son spectateur une overdose d’adrénaline, d’émotion au cours d’un grand spectacle tel qu’on en découvre une petite poignée par décennies.
La profondeur du film tient dans la maestria jubilatoire dont fait preuve son réalisateur, qui impose au 7ème Art un mètre étalon de divertissement assorti d’outils stylistiques qu’il ne tiendra qu’à une nouvelle génération d’auteurs de retravailler et d’amplifier. En l’état, Baby Driver est une plongée en apnée dans un torrent d’action musicale en surrégime permanent, une montée en puissance inarrêtable, qui perdure longtemps après le silence insondable qui conclut la projection.