C’EST TOUT POUR MOI
Il ne fait aucun doute que Nawell Madani a le sens du bon mot et que son envie de raconter son parcours personnel est louable, mais son film se perd en digressions romanesques, anachroniques et souvent hors sujet.
- Réalisation : Nawell Madani, Ludovic Colbeau-Justin
- Scénario : Nawell Madani, Ali Bougheraba, Matt Alexander, Kamel Guemra
- Image : Thomas Lerebour
- Décors : Daniel Ravaz
- Costumes : Charlotte Betaillole
- Son : Antoine Deflandre
- Montage : Jeanne Kef
- Musique : Masta
- Interprétation : Nawell Madani (Lila), François Berléand (Fabrice), Mimoun Benabderrahmane (Omar), Leyla Doriane (Malika), Antoinette Gomis (Prudence)
- Distributeur : UGC Distribution
- Date de sortie : 29 novembre 2017
- Durée : 1h43
Depuis toute petite, Lila veut devenir danseuse, n’en déplaise à son père. Elle débarque à Paris pour réaliser son rêve… Mais de galères en désillusions, elle découvre la réalité d’un monde qui n’est pas prêt à lui ouvrir ses portes. A force d’y croire, Lila se lance dans une carrière d’humoriste. Elle n’a plus qu’une idée en tête : voir son nom en haut de l’affiche, et surtout retrouver la fierté de son père.
Peu nombreux sont les humoristes à avoir réussi l’épreuve de signer, que ce soit en temps de scénariste et/ou réalisateur (souvent les deux), un long métrage qui tienne la route et rencontre son public.
Et encore parmi ces rares comiques aptes à ne rien perdre de leur capacité à faire rire en passant derrière la caméra, la plupart s’étaient précédemment exercé à la réalisation pour le petit écran. En effet, écrire le texte d’un one-man-show ou de sketchs courts et écrire un scénario de film sont deux exercices radicalement différents. Cette difficulté à construire un récit cohérent et soutenu sur la durée, il semble que Nawell Madani l’ai sous-estimée.
La comique belge, découverte il y a dix ans grâce au Jamel Comedy Club et vue pour la première fois sur grand écran dans Alibi.com, a pourtant tenu à écrire un scénario en guise de déclaration d’amour à ses parents via une autobiographie très intimiste. Difficile de ne pas être touché devant une telle intention, même si le parti pris d’exclure sa mère du récit rend aussitôt le dispositif assez discutable.
Si le fait que Nawall joue son propre rôle apparaît comme une bonne idée, qu’elle l’ait renommé Lila atténue une fois encore le degré d’authenticité de son récit. Sa volonté apparente de nous raconter, en le faisant vivre à son alter ego, certains de ses souvenirs les plus douloureux de sa prime jeunesse, dont l’accident qui l’a momentanément défigurée et les complexes qui en sont nés, poussent pourtant à rendre cette mise à nu attendrissante.
Cependant, l’écriture construite comme une série de petites saynètes, tour à tour comiques et mélodramatiques mais jamais assez longues pour alimenter une dramaturgie, empêche aux émotions de se mettre en place. Le premier constat de cette construction brouillonne est que son auteur n’a aucune idée de ce qu’elle veut raconter.
Qu’elle préfère filmer les chorégraphies des jeunes actrices plutôt que la façon dont elle s’est forgé une répartie cinglante et le rôle que son père y a joué (un lien qui reviendra au cœur de la fin du film mais limité ici à une unique saynète) est certainement le meilleur exemple de la dérive hors sujet vers lequel elle dérape constamment.
L’introduction -via des hashtags anachroniques- des personnages qui étaient vraisemblablement ses amies d’enfance est une preuve de sa volonté de leur rendre hommage. Pourtant, le peu d’influence de ces jeunes filles sur les événements les rendent moins légitimes à être intégrées à ce scénario qu’un développement des sacrifices de son père et ce à quoi ils ont abouti, à savoir une opération chirurgicale salvatrice qui elle aussi n’est qu’évoquée.
Étrangement, alors que le moteur de la reconstitution de la carrière de l’humoriste semble être son authenticité, elle y intègre à mi-parcours un passage en prison qu’elle reconnaît ne pas lui être arrivé personnellement mais inspiré par l’expérience d’une de ses amies qui elle a également rendre hommage.
L’écriture commence alors à s’apaiser, comme pour illustrer la maturité acquise par son personnage, mais n’en reste pas moins une succession de scènes trop courtes pour profiter des performances des acteurs amateurs même si quelques-unes sortent suffisamment du lot pour faire exister leur personnage. Que cette incarcération fictive soit présentée comme l’élément déclencheur qui l’a menée sur la voie du stand-up laisse toutefois un flou incommodant sur la réalité du parcours de la réalisatrice.
Cette mystification est d’autant plus inopportune que les scènes qui suivent directement, et qui nous font découvrir les coulisses d’un spectacle de stand up, sont très certainement les meilleurs moments du film. On ne peut en fin de compte que regretter un scénario non entièrement consacré à cet univers car une petite vingtaine de minutes via des effets de montage empêche une réelle immersion. Bizarrement, ce n’est pas non plus le moment où le film est le plus drôle.
Dès l’instant où l’on intègre la mécanique interne qui fait des rires du public une valeur ajoutée, les punchlines n’apparaissent plus comme un effet comique, ce qui rend leur réception d’autant plus enrichissante. Mais, encore une fois, le laps de temps est trop court pour en profiter pleinement.
On ne retrouvera la pure sincérité de l’écriture que dans les dernières minutes du film, dans un happy end qui réussit à ne pas sombrer dans l’explosion de mièvrerie larmoyante. De quoi nous rappeler que cette spontanéité aurait gagné à être le fil conducteur de Nawell Madani. Une démarche entièrement honnête lui aurait même permis de rendre, à défaut d’un film bien réalisé, un hommage touchant à ses parents et à l’influence qu’ils ont implicitement eu sur sa carrière.
Au lieu de cela, elle a fait le choix du récit romanesque douteux et de la private joke en guise de clins d’œil à ses proches. Si encore elle s’était autorisée à donner son nom à son personnage d’humoriste talentueuse, on serait probablement sorti de la séance avec l’envie de la voir sur scène, mais le caractère fictionnel du film est également un frein à cet effet auto-promotionnel.
N’être ainsi pas allé jusqu’au bout de son envie de se confier est décidément contre-productif dans le cadre d’un long-métrage… Dommage, ça aurait sans doute fait un bon spectacle.
L’ANALYSE
Autobiographie plus ou moins fictionnalisée de Nawell Madani, C’est tout pour moi raconte l’ascension professionnelle de Lila (jouée par Madani elle-même), épousant ainsi la traditionnelle structure de la success story. Lila-Nawell s’étant tournée vers le stand-up, le film n’a d’autre projet que la célébration banale du performing verbal.
Le résultat ressemble finalement à un étalage de performances, à mi-chemin entre le conte de fée (le succès d’un rêve d’enfance) et la carte de visite – l’éloge des talents humoristiques de Nawell Madani. La narration elle-même, optant pour l’efficacité, précipite les péripéties pour aboutir au plus vite aux séquences de spectacle : en un raccord, Lila quitte Bruxelles et arrive à Paris ; en une arnaque (qu’elle subit), elle se retrouve en prison ; et en une scène d’échanges de vannes, elle décide d’abandonner la danse pour le stand-up.
La gloire de mon père
Avec une certaine lucidité, la réalisatrice cerne assez bien l’origine de son désir de petite fille : le contrôle intrusif de son père, Omar, opposé à une carrière d’artiste pour Lila. Son ambition et sa motivation apparaissent donc comme un catalyseur œdipien, soit une volonté un peu terre-à-terre d’émancipation familiale et non un pur appel au libre-arbitre.
La dernière partie du film résume assez bien ces intentions : Lila, écœurée du monde du spectacle (alors qu’elle a réussi à obtenir un contrat solide), retourne vivre une existence paisible auprès de son père – étonnante boucle narrative, puisque la protagoniste revient d’elle-même à son point de départ. Convaincue par son mentor (incarné par François Berléand) de reprendre sa carrière, elle monte alors un ultime spectacle qui scellerait définitivement son avenir.
Lors de la dernière séquence, juste avant la représentation, la caméra s’attarde sur le père, s’engouffrant dans la salle du théâtre, alors qu’il avait toujours refusé de venir voir sa fille. Lila entre en scène, et Omar, filmé en contre-plongée, observe, abasourdi, l’acclamation du public, que l’on voit à l’arrière-plan, comme si c’était lui qui était applaudi.
Si l’éloge des joutes verbales sonne creux, le film, malgré sa structure narrative hasardeuse, a toutefois l’honnêteté de rendre hommage aux sources d’inspiration de son auteure, entreprise bien plus conservatrice que son sujet d’émancipation laissait entendre.
5/10