Date de sortie : 3 février 1995 (Amérique du Nord), 8 février 1995 (France)
Réalisateur : John Carpenter
Acteurs principaux : Sam Neill, Julie Carmen, Jürgen Prochnow, Charlton Heston
Genre : Épouvante
Nationalité : Américain
Compositeurs : John Carpenter et Jim Lang
« – Ce livre va rendre les gens complètement fou…
– J’espère bien, le film sort en septembre ! »
Dans quasiment toutes les listes portant sur les meilleurs films d’horreur, on retrouve John Carpenter au moins deux fois : pour Halloween et pour The Thing.
Or, l’un de ces films mérite au moins autant sa place auprès de ces deux mastodontes, le dernier chef-d’œuvre au cinéma de Big John (pas son dernier bon film, cependant), l’oublié Antre de la folie. Il est grand temps de réparer cette injustice.
En 1995 sort sur les écrans le troisième volet de la trilogie informelle de John Carpenter, trilogie dite de l’Apocalypse, entamée en 1982 avec The Thing et poursuivie en 1987 avec Prince des ténèbres. Deux excellents films d’épouvante, nihilistes et sombres, qui s’inspirent de l’œuvre d’un autre maître de l’horreur, le grand Howard Philip Lovecraft.
L’Antre de la folie ne fera pas exception, mais contrairement aux deux précédentes œuvres, le film prend à bras-le-corps son sujet, pour devenir tout simplement la meilleure adaptation non officielle des écrits du génie de providence.
Dans L’Antre de la folie, titre intradiégétique, nous suivons John Trent, impeccablement interprété par Sam Neill, enquêteur d’assurance parti à la recherche de Sutter Cane (Jürgen Prochnow, Dune, Judge Dredd, glaçant), auteur phare de la maison d’édition Arcane mystérieusement disparu après la mort de son agent devenu fou après avoir lu son dernier manuscrit : L’Antre de la folie. Trent apprend rapidement que Sutter Cane se trouverait dans la petite ville du New Hampshire, Hobb’s End, dans laquelle se situe l’action de ses livres. Il s’y rend donc, accompagné pour cela de l’éditrice de Cane, Linda Styles (Julie Carmen, Madame est servie, Hoover).
Ce film est certainement le meilleur de John Carpenter, et l’un des dix meilleurs films d’horreur de tous les temps. Le réalisateur y est au sommet de son art et développe toutes les thématiques de ses précédentes œuvres (héros de prime abord antipathique, les faux semblants, la place de la religion, la paranoïa, …).
C’est un film qui hante, qui obsède. La peur y naît insidieusement, il y a un côté grotesque parfois, drôle aussi, mais tous ces artifices contribuent à nous faire perdre nos repères de spectateur et à créer un sentiment de malaise diffus.
Je vais prendre pour exemple une scène. Trent et Styles prennent une chambre d’hôtel à Hobb’s End. Bien qu’il y ait déjà eu des indices inquiétants, Trent, homme cynique et pragmatique, arrive toujours à trouver une explication rationnelle et reste persuadé que les angoisses de Styles sont ridicules, s’amusant à les tourner en dérision. Elle lui soutient que le Hobb’s End où ils se trouvent n’est pas une inspiration pour les livres de Sutter Cane, mais bel et bien LA ville des livres de Sutter Cane. Trent, comme à son habitude, ricane, se moque et ouvre la fenêtre de la chambre en lui disant que si c’était le cas, il devrait y avoir de cette vue une église, qu’il décrit dans les moindres détails. Bien évidemment, l’église est absente et le spectateur se sent soulagé… jusqu’à ce que Styles fasse remarquer à Trent que la vue avec l’église se trouve par la fenêtre opposée et quand en allant l’ouvrir, l’église se dresse face à lui, Trent vacille un peu, et le spectateur avec lui.
Mais le vrai génie du film, c’est son cynisme permanent et sa façon de briser le quatrième mur. Ceux qui pensent que Scream est le premier film d’horreur méta n’ont jamais vu L’Antre de la folie. Car Trent est un personnage de fiction. Styles aussi. Logique. Mais ils sont des personnages de fiction DANS la fiction. Ils ne sont que les personnages créés par Sutter Cane. Sauf que Sutter Cane aussi est un personnage de fiction, la marionnette de Dieux anciens qui le manipulent et lui dictent leurs écrits. Mais au final ces créatures infernales ne sont rien d’autre que des créations, obéissants à une seule personne : John Carpenter lui-même. Et dans cet empilement de poupées russes, Big John s’éclate à nous perdre, à jouer avec le temps, l’espace, les perceptions, nous donnant des visions de cauchemars, dans un film qui s’amuse clairement avec nos attentes, du titre du film apparaissant sur la couverture d’un livre au plan final de Sam Neil, riant aux éclats, dans un cinéma diffusant le film, en même temps que le spectateur, la folie devenant ainsi la seule échappatoire. Rarement la perte de la raison aura été aussi bien illustrée sur grand écran, et surtout Big John nous montre que les plus grands ennemis des personnages de films d’horreur ne sont pas les croquemitaines, monstres, requins ou tueurs masqués, mais bel et bien le scénariste et le réalisateur.
Avec toutes ces qualités, le film a dû cartonner vous direz-vous. Malheureusement non, comme trop souvent avec les films de John Carpenter, c’est le temps qui juge. Et le film à sa sortie, comme The Thing avant lui, a été un échec critique et commercial. Heureusement, la sortie vidéo lui a fait une deuxième jeunesse et le film a été petit à petit réhabilité, mais il reste encore trop méconnu. Il reste pourtant cher au cœur de son réalisateur, qui lui a offert un presque remake avec La fin absolue du monde (Cigarette’s burn), meilleur segment de la série anthologique Masters of Horror et dernier chef-d’œuvre de Carpenter.
Bref, vous avez là un film totalement différent de ce qui se fait d’habitude, excellemment bien joué et superbement mis en scène avec une bande originale excellente signée par Big John himself. N’attendez plus, jetez-vous dessus et donnez une chance au film d’horreur le plus sous-estimé de l’histoire, et paradoxalement l’un de ses meilleurs représentant.