Sortie : 12 avril 2023
Durée : 1h 33min
Genre : Drame
De Cyril Schaublin
Avec Clara Gostynski, Alexei Evstratov, Monika Stalder, Valentin Merz, Nikolai Bosshardt

 

 

 

 

 

Le temps c’est de l’argent, nous connaissons bien cet adage qui nous amuse bien. Dans Désordres de Cyril Schaublin le temps devient littéralement une affaire d’argent et de productivité. Ce film qui se déroule dans la Suisse industrielle du XIXème siècle s’intéresse à la vie des ouvriers et ouvrières d’une usine d’horlogerie. Ainsi par le regard d’un cartographe russe, Pierre Kropotkine, le film décrit avec précision le milieu ouvrier et ses envies de lutte.

L’ère industrielle du XIXème siècle est le départ de tout ce qui construit le monde capitaliste moderne, la construction des usines, le développement du travail à la chaîne et aussi la création d’un courant de pensée socialiste qui va se décliner sous plusieurs formes et déclencher prise de conscience chez les travailleurs. C’est exactement ce que démontre le film en filmant les raisons de cette révolte avec un sens du cadre qui provoque l’admiration tant il touche toujours juste.

 

L’horizon semble toujours écrasant pour les personnages, le cadre est constamment remplie par le flux du travail et ainsi les protagonistes sont des fourmis qui semblent chuchoter car prisonniers du temps du capitalisme et des sons produits par les usines. C’est en cela que les séquences à l’intérieur de l’usine sont vraiment saisissantes car font prendre conscience de l’enfer du mécanisme du travail à la chaîne. C’est d’abord un silence assourdissant qui s’accompagne de chuchotements, de sons des machines et aussi du cliquetis de montres. Ces sonorités qui rappellent la pression du temps et son écoulement proviennent de la montre d’un cadre qui mesure le temps de fabrication des montres afin de gagner en efficacité et de toujours être en avance sur le temps de la municipalité. Un panneau peut d’ailleurs être aperçu à un moment où il y est inscrit « nous sommes de 8 minutes en avance sur le temps de la municipalité ».

C’est ainsi que dans cette fausse tranquillité qu’instaure le film avec ses plans fixes stylisés s’y incarne un véritable enfer et devient l’observation minutieuse d’une société dictatoriale. Ce constat se dévoile totalement lorsque les luttes sont exprimées, que des patriotes s’opposent aux anarchistes afin de contrôler les travailleurs et tenter de conserver la domination bourgeoise. Il y a alors une double tombola qui se déroule en même temps. Celle des patriotes, profondément attachée à la nation avec un chant grave et pesant prononcé par les membres, des lots qui s’avèrent être des fusils et des complots qui se mettent en place contre les ouvriers. La tombola des anarchistes est largement différente avec des chants plus doux (véritable moment de poésie), les lots sont des photos et les discussions sont plus douces. Ainsi, Cyril Schaublin met en place une dichotomie qui n’est pourtant jamais manichéenne puisque la mise en scène cherche plutôt à rendre compte de quelque chose.

 

 

Désordres présente également un discours sur la place de la photographie dans la société de cette époque. La prise de photographie est constante dans cette ville Suisse. Elle sert à la fois d’outil de propagande pour l’usine et aussi de distraction pour les horlogers. On peut même y voir plusieurs fois des séances de photo contrôlées par la police afin de photographier l’usine pour un catalogue. Ainsi, peut être entendu pour les passants « s’il vous plaît, n’entrez pas dans l’image ». Cette phrase d’apparence banale est pourtant si violente dans le contexte du film puisqu’elle s’adresse directement aux travailleurs qui tentent de se rendre à leur lieu de travail. La réplique semble donc sous entendre que cette classe n’a pas sa place dans l’image, dans la photo et même dans le temps puisqu’il ne faut pas oublier que le procédé photographique est aussi une moyen de fixer les êtres dans le temps.

Mais le film ne cesse de parasiter cet ordre en ajoutant constamment dans le cadre ces gens que l’on ne souhaite pas voir. Ainsi, Désordres de Cyril Schaublin réussi son objectif qui est de marquer dans le temps l’existence des ouvriers et ouvrières jetables du capitalisme sauvage.

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Le cinéma c'est ma vie !! J'aime beaucoup de réalisateurs, Ridley Scott, David Lynch, Bong Joo Ho, Hayao Miyazaki etc... Et mon film ultime c'est Blade Runner ! Bonne lectures de mes modestes articles !

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