LE FIDÈLE
En installant un astucieux mélange des genres, Michael Roskam met en porte-à-faux la cinégénie naïve d’un couple de cinéma passionné et la dure réalité de la fatalité dans un exercice métafilmique bouleversant.
Réalisation : Michaël R. Roskam
Scénario : Michaël R. Roskam, Thomas Bidegain, Noé Debré
Image : Nicolas Karakatsanis
Son : Jean-Luc Audy
Montage : Alain Dessauvage
Musique : Raf Keunen
Producteur(s) : Pierre-Ange Le Pogam, Peter Bouckaert
Production : Stone Angels, Eyeworks
Interprétation : Matthias Schoenaerts (Gigi Vanoirbeek), Adèle Exarchopoulos (Bibi Delhany), Nathalie Van Tongelen (Sandra / Géraldine), Jean-Benoît Ugeux (Serge), Gaël Maleux (Jean)
Distributeur : Pathé Films
Date de sortie : 1 novembre 2017
Durée : 2h10
Lorsque Gino rencontre Bénédicte, c’est la passion totale, incondescente. Mais Gino a un secret, de ceux qui mettent votre vie et votre entourage en danger. Alors Gino et Bénédicte vont devoir se battre envers et contre tous, contre la raison et leurs propres failles pour pouvoir rester fidèles à leur amour.
Le Belge Michael R. Roskam nous a prouvés en deux films (Bullhead et Quand vient la nuit) qu’il maîtrise sur le bout des doigts les codes du film de gangsters urbain au point de pouvoir se permettre de les déconstruire.
Après une expérience américaine qui ne lui a visiblement pas apporté la notoriété sur laquelle misaient les studios qui l’ont débauché, il revient sur ses terres flamandes pour y concocter un thriller qui, encore une fois, saura surprendre les spectateurs qui espèrent y trouver une intrigue prémâchée.
Tout commence pourtant en suivant un schéma des plus classiques, celui d’une irrésistible romance entre deux personnages follement sexy, doublé d’un polar rentre-dedans identifiable à ses scènes de braquage rocambolesques.
Le couple, c’est Matthias Schoenaerts, l’acteur fétiche (et peut-être alter-ego) du réalisateur et Adèle Exarchopoulos. Lui, Gino, ou Gigi pour les intimes, est un braqueur de banques, à la fois viril et attentionné ; elle, Béatrice, ou Bibi pour les intimes, est une pilote de voitures de courses sûre d’elle. Pouvait-on rêver plus beau couple de cinéma ?
En plus du charme sensuel qui se dégage du rapprochement de ces acteurs éclatants, qui atteint son apothéose à chacune de leurs scènes de sexe torrides, le déroulé du film semble s’écrire dès les premières minutes. Lui vit dans la peur mais aspire à une vie posée ; elle est en constante quête d’adrénaline en même temps qu’elle essaie de percer les secrets de son homme…
Il semble évident qu’elle soit destinée par le scénario à prendre le dessus et à devenir l’héroïne du film de gangsters qui se dessine. La photographie à l’ancienne, qui n’a pas peur de reproduire des clichés désuets comme la scène des retrouvailles en imperméable qui renvoie à l’imagerie du film noir, ainsi que le découpage de la narration, viennent nous conforter dans ces prévisions de spectateurs un peu blasés.
Le carton indiquant « Gigi » quelques instants après l’ouverture laisse en effet supposer qu’après avoir assisté à une première partie où Gino mène la danse, une seconde partie, fatalement intitulée « Bibi », fasse l’effet miroir en nous montrant comment elle devient le moteur de l’action.
Et pourtant, tandis que le récit avance, Roskam vient nous rappeler que les choses de la vie ne sont justement pas aussi faciles que dans un cinéma de genre lambda et prend alors à revers chacune de nos attentes de façon, certes parfois sur-appuyée, toujours rutilante.
Avec un sens du cadre avéré, le réalisateur filme notamment les scènes de casse avec une fluidité immersive qui les hissent parmi les meilleures vues sur grand écran ces dernières années. Et pourtant, il ne fait aucunement de ces explosions de violence le cœur de son long-métrage.
Son sujet est davantage le destin douloureux qui vient chaque fois rattraper les deux amoureux maudits pour les plonger dans un malheur qui ne fera que les rapprocher un peu plus à chaque coup dur. Le film d’action romanesque qui semblait naître de leur rencontre romancée jusqu’à la caricature se meut en fin de compte en un mélodrame abrupt et inconfortable.
Il est également difficile de le penser comme une intention de la part du cinéaste, mais les scènes où le jeu d’Adèle Exarchopoulos est le moins convaincant sont justement celles où son personnage est loin de son fiancé. Une raison de plus de désirer de les voir réunis à l’écran.
Quoi qu’il en soit, Le Fidèle est une œuvre surprenante dans la façon dont elle réussit à prendre chaque fois à contre-pied ce qu’elle créé elle-même de plus prévisible mais conserve, en guise de colonne vertébrale, une constante immuable : l’amour des deux amants.
7,5/10