Un thriller australien prenant qui se démarque du tout-venant en privilégiant la psychologie des personnages.
Réalisateur : Ben Young
Acteurs : Ashleigh Cummings, Emma Booth, Stephen Curry
Titre original : Hounds of love
Genre : Thriller
Nationalité : Australien
Date de sortie : 12 juillet 2017
Durée : 1h48
Scénario : Ben Young
Image : Michael McDermott
Décors : Clayton Jauncey
Costumes : Terri Lamera
Son : Ric Curtin
Montage : Merlin Eden
Musique : Dan Luscombe
Producteur(s) : Melissa Kelly
Production : Factor 30 Films
Interprétation : Ashley Cummings (Vicki), Emma Booth (Evelyn), Stephen Curry (John)…
Distributeur : UFO Distribution
Date de sortie : 12 juillet 2017
Une voiture roule lentement le long du grillage d’un lycée. Des jeunes filles y jouent au basket. Une caméra subjective s’attarde sur leurs corps en gros plan, au ralenti. Par cette variation inaugurale autour d’Halloween de Carpenter, ce premier long métrage nous plonge immédiatement dans le très dérangeant point de vue de John et Evelyn White, un couple des eighties qui enlève des jeunes filles pour en abuser sexuellement avant de les enterrer ni vu ni connu dans le bush australien.
Mais le film apporte bientôt un troisième point de vue, celui de Vicki, nouvelle adolescente kidnappée par ces nouveaux « Tueurs de la lune de miel ». À travers le regard de celle-ci, on découvre que John tient Evelyn sous son emprise. Le jeune acteur/cinéaste Ben Young part ainsi d’une certaine maîtrise des codes du film de psycho killer pour explorer avec une cruauté saisissante les terrifiants mécanismes de la manipulation psychologique dans l’intimité d’un couple.
À la différence du très récent Creepy de Kiyoshi Kurosawa, Love Hunters dévoile immédiatement l’intérieur de la maison des White pour mieux en révéler le quotidien malsain. Parmi les vieux meubles seventies et la cuisine en formica, tout est signe de l’obsession de John et de la tyrannie qu’il exerce sur sa femme : le rituel d’un petit-déjeuner parfaitement aligné sur la table que l’époux mangera seul, les chaussures impeccables sur le pas de la porte, le chien Loulou toujours chassé de la maison, le bain donné aux victimes en attendant le retour du « maître », le nettoyage des traces de viol et de torture, entre mouchoirs ensanglantés, traces d’urine et de larmes et godes salis.
Par ce réalisme aussi poisseux et gluant que le papier peint de la maison, le spectateur est contraint en même temps que la jeune Vicki à une promiscuité effrayante avec les personnages. L’horreur tient en effet à cette absence totale et sordide de limites entre la vie publique et l’intimité comme à la fin du Silence des agneaux de Jonathan Demme, où un autre impose brutalement son corps, sa volonté et ses fantasmes. Le chien de la maison défèque systématiquement dans l’entrée, symbole du dérèglement qui s’est emparé de toute la famille.
Le premier indice de terreur pour Vicki sera aussi la découverte de sextapes sur des ados qui traînent parmi les vidéos du séjour. La circulation des personnages dans la maison des White est déjà l’expression d’un viol annoncé : John entre où il veut, quand il veut, dans les toilettes ou dans la chambre de Vicky, parfois nu et rose comme un ver écœurant. Le huis clos de la maison devient donc le territoire privilégié du suspense : un espace plein de couloirs et de murs propices au hors-champ où John risque toujours de surgir lorsque l’astucieuse Vicki cherche à s’échapper.
Ben Young mêle ainsi habilement les ingrédients d’un thriller efficace et ceux du drame sentimental. La jeune fille vient en effet perturber l’ « harmonieuse » économie du couple : John est sous le charme, et voudrait la garder pour lui seul. Et la seule chance pour la jeune fille d’en réchapper est de provoquer une prise de conscience chez Evelyn White, en guettant les moindres failles de sa relation à John. Ainsi le mélodrame de cette vie conjugale déviante devient astucieusement le centre de l’intrigue.
Les nombreuses scènes de dispute entre Evelyn et John revêtent un double enjeu : chaque mouvement de rébellion d’Evelyn contre son mari est porteur d’un nouvel espoir de libération pour Vicki et le spectateur, mais elle permet en même temps une analyse passionnante du fonctionnement destructeur de ces amants terribles – le pouvoir incroyable des paroles enjôleuses de John sur sa femme, la terrible dépendance affective de celle-ci, au point de menacer de se trancher la gorge par jalousie. Le récit accorde ainsi une importance grandissante au point de vue de cette femme vulnérable qui apprend laborieusement à penser par elle-même et à se déprendre de l’emprise de son amant criminel.
La force du film tient aussi à l’empathie avec ce personnage mi-victime et mi-monstre, subissant la séparation de ses deux enfants, le dénigrement systématique, la manipulation hypocrite, jusqu’à la destruction ultra violente et glaçante du peu qui lui restait encore. L’extrême cruauté de la mise en scène du jeune cinéaste n’a donc ici rien de complaisant : elle sonne juste pour dire la spirale de folie dévastatrice où s’est engouffré ce couple de déséquilibrés.
Premier long métrage de Ben Young, passé par Beaunes et Venise, Love hunters est un thriller psychologique au cadre aseptisé de la banlieue tranquille australienne. Une façon d’indiquer dès le départ au spectateur que les monstres se cachent partout. Sous leur apparence de quiétude, de sécurité, ces maisons peuvent renfermer les pires personnages. On suit ainsi les déboires d’une jeune fille, Vicky, enlevée par un couple dérangé, Evelyn et John White.
Le réalisateur a d’abord la bonne idée de ne jamais expliquer les motivations du couple. Ils ramènent apparemment des jeunes filles pour leur propre jouissance. On ne connaît pas la source du mal et c’est une des forces du film.
Love hunters se démarque du tout-venant en privilégiant la psychologie des deux kidnappeurs. John White prend plaisir à torturer des filles. C’est un homme ordinaire, médiocre, ayant des problèmes d’argent et lié à des dealers. Le réalisateur Ben Young le décrit comme un pervers narcissique. Il assoit sa domination sur sa femme, Evelyn, en jouant sur sa culpabilité et sur l’amour qu’il lui porterait. Il la manipule constamment pour l’utiliser à sa cause. D’ailleurs, c’est bien cette dernière qui joue le rôle d’une véritable rabatteuse en ramenant des jeunes filles.
Dans Love hunters, le personnage d’Evelyn bénéficie d’une écriture travaillée. Le réalisateur met l’accent sur la contradiction permanente que vit que cette femme, tiraillée entre l’amour immodéré qu’elle porte à son compagnon et sa fibre maternelle contrariée, n’ayant pas la garde de ses enfants. Evelyn est sans cesse dans une attitude ambivalente, comme en atteste d’un côté sa participation aux jeux pervers de son compagnon et d’un autre côté la façon détachée qu’elle a de nourrir la victime, de s’en occuper, comme s’il s’agissait d’une situation normale. Cela contribue à entretenir le doute dans l’esprit du spectateur : cette femme friable, qui porte une sorte de fragilité en elle, n’a-t-elle pas de la compassion pour ces victimes qui pourraient lui rappeler ses enfants dont elle n’a pas la garde ?
Love hunters a l’originalité de s’intéresser bien plus à la personnalité des kidnappeurs que de la victime, ce qui n’est pas fréquent dans ce genre de films.
Évitant toute complaisance, notamment le voyeurisme ou le torture-porn très usité dans les années 2000, Love hunters privilégie les scènes d’horreur hors champ. Ce qui donne encore plus de force et d’intensité aux situations concernées.
D’autant que la victime, sans issue, est constamment impuissante face à ses ravisseurs. On la sent comme résignée. Son seul espoir est de rallier à sa cause la compagne du psychopathe dont elle perçoit rapidement l’ambiguïté de sa position.
Love hunters est avant tout un drame familial où chaque personnage féminin subit l’absence de l’être cher. A son crédit, le film peut compter sur une interprétation très convaincante, notamment d’Emma Booth, dans le rôle de la compagne du psychopathe. Elle est tout en nuances dans son jeu et devient presque touchante par moments.
Par ailleurs, on notera que le réalisateur Ben Young utilise aussi avec beaucoup d’à-propos l’environnement de cette banlieue aseptisée. On ne peut être que interpellé quand la mère de Vicky essaie de retrouver sa fille et va de pavillon en pavillon qui se ressemblent tous, et dont les occupants ont l’air détachés de tout ça. L’indifférence d’attitude choque, mais agirait-on différemment ? Telle est la question que semble nous renvoyer le cinéaste. Pas sûr, dans une société de plus en plus individualiste.
Si Love hunters n’évite pas quelques scories inutilement esthétisantes, le thriller est prenant de bout en bout. D’autant que son final est fort sur le plan émotionnel, renforcé par une excellente insertion du morceau musical Atmosphere de Joy Division.
Il demeure un premier film hautement recommandable. On attend avec intérêt le prochain long métrage de Ben Young.