Réalisateur : Denis Villeneuve
Année de sortie : 2014
Pays : Etats-Unis
Casting : Jack Gyllenhaal, Sarah Gadon, Mélanie Laurent, Isabella Rossellini
Nous sommes à une époque où tout doit être dit. Difficile de compter de nos jours sur des œuvres où plane encore une part de mystère. Les bandes annonces dévoilent souvent l’intégralité de l’intrigue et il est compliqué de ne baser son récit que par la mise en scène. Et pourtant, nous avons encore droit à de nombreuses pépites cinématographiques qui osent ne pas tenir la main de ses spectateurs. Parmi ces œuvres, on peut citer quelques titres tels que « Mad Max : Fury Road », « Gravity », « The neon demon » ou encore notre film du jour, « Enemy ».
Adam est un professeur réservé, coincé dans son morne quotidien. Un jour, il découvre l’existence d’Anthony, un acteur lui ressemblant trait pour trait. S’ensuit alors une quête sur l’identité l’un de l’autre…
Enemy est un film construit tel un puzzle pour le spectateur. Mais ce n’est guère le puzzle qui devient clair à la fin. Il faut s’immerger intégralement, ne pas perdre une miette de scène pour l’appréhender. La mise en scène subtile de Villeneuve nous donne des clefs mais pas toutes. C’est à nous de nous forger notre idée, notre théorie sur l’énigme de son intrigue. Au gré de séquences où l’univers d’Adam nous écrase, on tente de reconstruire le récit grâce à chaque détail disséminé. Jumeaux ? Schizophrénie ? C’est en le visionnant que vous vous décidez, tout en étant mis en face de la solution que semble nous donner Villeneuve.
Enemy, c’est un cauchemar vivant. Nous sommes, comme nos (notre?) héros, prisonnier(s) de la toile de ces araignées qui apparaissent ci et là. Nous sommes dans le sensitif, la vue obstruée par le filtre jaunâtre du quotidien. La peur prend plusieurs formes, mais surtout féminines. Autour d’Adam/Anthony gravitent des femmes castratrices à différents niveaux. Que ce soit la mère, l’épouse enceinte ou la maîtresse, toutes semblent imposer le contrôle sur leur univers, où la sexualité n’est jamais pleinement libérée. Il faut un club pour se réfugier, où l’araignée se voit détruite par une figure sexualisée.
Enemy, c’est un Jack Gyllenhaal des plus impressionnants. Il est Adam et il est Anthony, chacun facilement reconnaissable dans leur attitude. Passant aisément de proie à prédateur, de professeur à acteur, deux faces d’une même pièce. Mais Enemy, c’est aussi une Sara Gadon perdue face à une situation qui la dépasse, effrayée par ce à quoi elle fait face. C’est une Mélanie Laurent en réflexion de ce symbole marital mais tout aussi restrictive. C’est une Isabella Rossellini intervenant en milieu de récit dans une scène pivot permettant une certaine compréhension.
Enemy, c’est un visuel marquant. On ne soulignera jamais assez le talent de Villeneuve dans sa mise en scène. C’est pourtant lui l’artisan de cette œuvre, le marionnettiste qui se permet de nous questionner sur son film. C’est lui qui transforme cette ville de Toronto en cauchemar urbain où nous sommes obligatoirement coincés. C’est lui qui nous bloque dans ce récit en cycle, où la tragédie va devenir farce de par la répétition. Villeneuve nous piège dans son intrigue et nous pousse à dépasser notre rôle de spectateur passif pour chercher sa signification. Aucune prétention artistique, juste une confiance aveugle en ceux qui oseront s’attaquer à son casse-tête.
Œuvre jouant sur la répétition, la dualité et une forme de chaos en réaction à un contrôle trop pesant, Enemy mérite d’être vécu. De toute façon, une fois piégé dans sa toile, impossible de s’en échapper. Car Enemy, c’est un puzzle réflexif que l’on doit construire sans boîte. Et face à des produits cinématographiques construits à la chaîne, se laisser perdre devient une sensation des plus grisantes…