Titre : Kurt Cobain: Montage of Heck
Réalisation : Brett Morgen
Scénario : Brett Morgen
Production : Brett Morgen et Danielle Renfrew Behrens
Société de production : Universal Studios
Musique : Kurt Cobain, Nirvana et Jeff Danna
Mixage : Eric Thomas
Photographie : Jim Whitaker
Montage : Joe Beshenkovsky et Brett Morgen
Pays d’origine : États-Unis
Langues : anglais, anglais sous-titré
Genre : Documentaire
Durée : 132 minutes
Date de sortie : France : 4 mai 2015
Comme énormément de monde, c’est au collège que j’ai découvert Nirvana, par le biais d’une ancienne connaissance qui, malgré mon amitié limitée pour lui (inexistante aujourd’hui), est parvenue à m’extirper du gouffre nauséabond de la culture musicale telle que les médias de masse la transmette depuis quelques années. Étant né en 1997, j’ai raté toute la période où Nirvana atteignait les sommets des charts, où les médias n’hésitaient pas à évoquer l’un des patrons du grunge (et donc du punk rock quelque part) aux journaux de 20 heures, que ce soit en bien ou en mal. Non, moi je suis sorti du ventre de ma mère alors que la qualité de la musique médiatisée était sur une pente descendante, touchant aujourd’hui le fond actuellement mis à part quelques rares exceptions. Dorénavant, il faut y mettre du sien pour s’écarter au mieux de cette nouvelle culture populaire, se forcer à accéder à de nouveaux horizons moins indigestes que ceux que l’on nous propose actuellement.
Nevermind fut pour moi le premier album qui marqua ce tournant dans ma vie. A la première écoute de l’album, j’eus une sensation similaire à celle de l’homme qui fut accompagné de force hors de la caverne de Platon (on va l’appeler Jacques le mec, ça sera plus simple), celle d’une expérience désagréable et agressive pour les sens. Cependant, comme Jacques, je me suis efforcé tant bien que mal en le réecoutant plusieurs fois, j’ai persisté jusqu’à prendre conscience de sa beauté et de sa rage revigorante tel les rayons du soleil agressant Jacques avant de l’entourer de sa chaleur. Mais l’allégorie de la caverne ne s’arrête pas là, après la révélation vient le rejet par ses congénères, qui préfèrent s’entêter à vivre dans un obscurantisme dont les médias de masse en sont en grande partie la cause (cette critique est une déclaration d’amour à ce formidable pan de notre société) plutôt que tenter de vous comprendre et vous accorder le bénéfice du doute.
Ce sentiment d’exclusion ressenti par une pelletée d’adolescents loosers en quête d’identité fut incarné par Nirvana, plus particulièrement et bien malgré lui par son leader et icône Kurt Cobain. Avec Montage of Heck, Brett Morgen explore en long, en large et en travers les 27 courtes années de l’artiste hétéroclite, non pas en tant que symbole, mais en tant qu’Homme. Par le biais de témoignages, de sublimes séquences d’animations avec des enregistrements de la voix de Cobain en fond sonore, tout un tas de pages de carnets alternant notes et dessins et séquences lives, le metteur en scène tire le portrait d’un génie torturé et dépressif.
Très vite, le film de Morgen transcende sa condition de documentaire pour s’harmoniser avec l’esprit bouillant et torturé du leader de Nirvana. Ainsi, le réalisateur adapte sa mise en scène à son propos et nous délivre un trip sensoriel marqué par un chaos formel rappelant The Wall d’Alan Parker. Morgen alterne avec une étonnante aisance passages furieux dopés aux plus puissantes des musiques de Nirvana (le générique avec Territorial Pissings est à ce titre scotchant) et d’autres empreint d’une tendresse, comme ceux filmés dans le cadre familial, où l’amour entre Kurt Cobain et sa femme Courtney Love explose à l’écran, faisant par la même taire toutes les critiques à l’égard de l’ex-chanteuse de Hole. Mais nul intention de glorifier l’artiste au travers de ce film, et on ne peut que se sentir gêné voire dégoûté face à des situations aberrantes venant d’un Cobain que l’on pourrait qualifier de connard égoïste si on était pas en mesure de le comprendre grâce au travail de reconstitution de Brett Morgen.
Car, paradoxalement, en choisissant de traiter l’homme derrière le mythe, le film nous rappelle pourquoi le chanteur et guitariste du groupe grunge en est arrivé à être ériger au rang de représentant de toute une génération. Par son imperfection et ses nombreuses contradictions évoquées tout au long du métrage, Kurt Cobain et Brett Morgen nous rappellent pourquoi ce génie musical a acquis ce statut qui l’a rongé de l’intérieur. C’est tout simplement parce qu’il EST nous. Il est notre reflet lorsque l’on se regarde le matin devant un miroir avant de partir au collège, au lycée ou à notre travail ennuyeux et aliénant. Il est notre source de réconfort et notre ami lorsque nous nous faisons humilier ou moquer, rejeter par le monde des adultes et des parents, dans le fond aussi immatures et imparfaits que nous le sommes (les parents divorcés de Kurt qui se rejettent la faute de l’état de leur fils plus de 20 ans après sa mort).
Parce que Cobain était l’être humain dans ce qu’il y a de plus sensible et fragile mais aussi une figure médiatique importante, il s’est fait porte parole d’une jeunesse maladive et paumée. Sa mort (très peu abordée dans le film) a mis fin à son existence en tant qu’Homme mais son mythe reste et restera intacte à tout jamais.
Quand on parle de Nirvana, on parle du premier groupe de rock dont j’ai acheté un album. Apprenant qu’un documentaire sur le leader du groupe sortait, je me suis dit que c’était une belle occasion de découvrir la légende de ce chanteur hors du commun.
Alors qu’en est-il ? Kurt Cobain: Montage of Heck est un documentaire retraçant la vide de Kurt Cobain, le leader du groupe Nirvana. Construit grâce à des films de son enfance, des enregistrement audios, des témoignages de ses proches et aussi des extraits de concerts (le MTV unppluged, le live de Reading). On trouve aussi certaines parties de sa vie modelées grâce un dessin animé qui apporte un plus bienvenu à certains enregistrements.
Le montage du film est relativement bon. Présentant de nombreuses facettes de ce personnage au travers des divers témoignages et de ses carnets où les notes sont des moyens pour le réalisateur de passer d’un thème à un autre. On découvre un homme à l’enfance difficile, qui devra faire face au rejet constant d’une famille peu à son écoute ce qui le poussera inexorablement vers la musique et malheureusement l’autodestruction. La difficulté de se construire, de s’affirmer sont des thèmes qui sonnent fort en voyant le film quand on repense à certaines de ses chansons et son mal être naissant et grandissant qu’il a voulu crier dans In Utero avec le titre prémonitoire I hate myself and i wanna die. Le film a le bon goût de ne pas s’attarder sur la fin de Cobain préférant laisser une belle image de lui en mémoire.
Ce documentaire est une jolie biographie qui n’est pas là pour juger la vie de Cobain mais pour la retranscrire le plus fidèlement possible. C’est chose faite et de belle manière grâce une enquête soigneusement menée et très fournie en témoignages. A voir que l’on soit ou non admirateur de sa musique.
Il ne devait y avoir qu’une date de sortie unique dans chaque pays du 4 au 12 mai. En France, c’était le lundi 4 mai. Mais après des mois de teasing, 18 000 spectateurs étaient au rendez-vous, et face au succès d’autres séances furent programmées dans quelques rares cinémas.C’est une de ces dates supplémentaires que je parvins à réserver.
“I’m Kurt Cobain!”
Et ce fut… ce fut une avalanche auditive, visuelles, émotionnelle presque accablante. Impossible d’en parler sans un deuxième visionnage.
Mélange de rushs, de lives, de vidéos personnelles et autres bijoux secrets ; d’animations illustrant les histoires contées par la voix de Cobain ; de textes et de dessins issus des carnets de Kurt, virtuosement mis en musiques par un fantastique travail sur le son.
A cet entrelacs presque onirique se mêlent des interviews plus terre à terre, celles des proches d’entre les proche de Cobain : selon le réalisateur Brett Morgen, ce sont les seules les personnes qui se seraient rendues à son enterrement s’il était mort gardien de nuit, son dernier petit boulot. Il y a sa mère, sa sœur, son père, sa belle-mère, Krist Novoselic, son ancienne petite amie Tracy, et, exceptionnellement, Courtney Love. Mais là où Tracy seule écrivait à Kurt des mots d’amour, c’est Kurt qui écrira à Courtney d’étranges vers enflammés auxquels elle rendra la pareille.
Pour justifier l’absence notable (et regrettable) de Dave Grohl, le réalisateur explique que Grohl aurait en réalité bien été interviewé, mais qu’il était déjà trop tard pour inclure son témoignage dans le montage final. “It’s not my fault. I’ve never wanted the fame.”
Enfin un film sur Cobain.
Pas sur sa mort, pas sur son œuvre, sur la personne qu’il était.
Un film qui montre ses excès, sans les idéaliser pour coller au mythe de la rock star junkie névrosée, et sans non plus les dramatiser à la manière des tabloïds ; un film tentant simplement de saisir « l’homme derrière Nirvana », y compris ses failles.
La formation du groupe, leur évolution artistique et de carrière, leurs concerts, leurs albums, tout cela n’est que sommairement évoqué durant ces 2h15 de film. Et pourtant, les minutes filent lorsqu’on est plongé dans le monde hurlant de Kurt.
“It’s all in the music man!”
Montage of Heck, c’est d’abord le nom du montage audio réalisé par Kurt sur la cassette numéro 58, perdue parmi cent autres au milieu des affaires de l’icône entreposées dans un garage anonyme. C’est ce trésor enfermé dans des cartons pendant un quart de siècle que Brett Morgen récupérera et qui sera le matériel principal de son film. Et cette cassette numéro 58, il l’écoutera par hasard en la piochant au milieu des maquettes de fœtus, des toiles torturées, et des carnets aux gribouillages morbides, écrits hâtivement comme dans l’urgence d’une vérité oppressante.
Ce contenu certes insolite est en vérité la plus personnelle et incongrue des autobiographies de Cobain. Car avant d’être un des, sinon l’artiste le plus influent de sa génération, Kurt est avant tout humain, rongé de doutes, de failles remontant à l’enfance. Peur de la honte d’abord. “Kurt hated being humiliated. He hated it” dira Krist Novoselic.
Et une peur plus grande encore, celle de l’abandon. Chez cet ancien enfant roi ayant vu ses parents divorcer, puis ayant été rejeté par sa propre famille, il découlera un désir irrépressible de famille idéale, soudée et aimante. Il tentera même de se suicider après que Courtney ait ne serait-ce que songé à le tromper.
On a aussi du mal à croire que celui qui s’infligeait autant de mal ait pu être aussi violent envers les autres alors qu’il était plus jeune, jetant ses sœurs hors de la maison durant des crises de colère.
“I’m gonna get 3 millions dollars and then I’m gonna be a junkie.”
N’ayant jamais été tournées pour être un jour visionnées par le public, certaines vidéos personnelles sont une invasion directe dans la vie privée, particulièrement celles prises dans l’appartement que Kurt partageait avec Courtney et leur fille Frances. L’humour et la déchéance s’y côtoient ; certaines scènes font peine à voir et rappelleraient presque Candy ; d’autres sont lumineuses.
A un tel niveau de proximité, le spectateur dépasse le stade du voyeurisme.
“I feel like people want me to die because it would fit the classic rock story.”
Le principal compliment qu’on peut adresser à ce film, c’est la manière dont il élude le suicide Cobain. Trop de choses ont déjà été dites, inventées, fantasmées à ce sujet.
De par les quelques phrases distillées au grès des interviews, on comprend cependant que seul Krist Novoselic exprime encore une réelle culpabilité, celle de ne pas avoir pu empêcher le geste de son ami. Il dira d’ailleurs par la suite que ce film l’a aidé à « guérir ». La mère rejette la faute sur le père. La belle-mère de Kurt, celle-là même qu’il qualifiait de “wicked”, blâme elle la famille l’ayant rejeté. La sœur, elle, met le suicide de son frère sur le compte de son cerveau génial (et donc torturé) d’artiste, ayant trop longtemps bouillonné dans la ville morne d’Aberdeen.
Au final, l’héroïne, le succès ingérable, la pression médiatique, n’ont été que des déclencheurs malheureux.
Tout était déjà là, incubé. Avant le fusil, la drogue, les médicaments, il y avait eu le train.
En 1994, seul le premier cependant réussit à prendre la vie de Kurt Donald Cobain, 27 ans, né à Seattle.
“Nothing’s gonna save me, it goes without saying.”
-« Qu’est-ce que tu fais ce soir ? »
-« Ce soir je peux pas, je vais voir un docu sur Kurt Cobain. »
C’est limite si je ne lui épelle pas le mot rien qu’en le prononçant mais je vois bien qu’elle ne comprend pas. Je vais l’aider.
« Oui, parce que tu sais, Nirvana ça doit gérer au ciné. »
Elle me retourne le même regard vide.
« Le chanteur. Kurt Cobain, le chanteur de Nirvana. Tu connais c’est sûr. »
Et elle, obligeamment, hoche la tête aux premiers accords de Come as you are quand je dégaine mon portable de ma poche pour lui faire écouter.
Non, il est évident que cette fille ne connaît pas Kurt. Mais avant ce film, je me rends compte que je ne connaissais pas non plus. Pas vraiment.
Alors on est quitte. Ou presque.
À qui s’adresse vraiment ce film ?
Peut-être pas, paradoxalement, aux fans hardcore de Kurt Cobain, qui connaissent déjà chaque détail de sa vie sur le bout des doigts.
Montage of Heck fait en effet le choix d’inclure de nombreux extraits déjà connus de la vie de Kurt (extraits d’interviews, lives, journal intime) que certains pourront considérer comme de la redite mais qui sont pourtant essentiels au projet du film.
Parallèlement, les amateurs de cinéma se déplaceront difficilement si la musique de Nirvana ne les intéresse pas, d’autant plus que le film a été très peu distribué. On ne pourra pas vraiment les blâmer, le film n’étant à première vue qu’une création incomplète, simple collage de sons et d’images. On est bien loin d’une réalisation traditionnelle même si on s’approche parfois du film d’animation avec des séquences mettant en image les enregistrements audio de Kurt Cobain.
Et pourtant, au fur et à mesure que le film déroule la vie d’un homme sous nos yeux, quelque chose de plus grand se met en place. Une tragédie en cinq actes transposée dans une famille moyenne de la bourgade d’Aberdeen, Washington, USA. Un drame centré sur un personnage en quête d’amour, un enfant ordinaire à l’adolescence extraordinaire.
Le premier acte correspond à l’exposition de la situation des
personnages. Les trente premières minutes du film retracent l’enfance de Kurt Cobain. Alors que certains ont pu trouver ces séquences inutiles, elles sont pourtant essentielles à la structure du film. On y voit un bambin épanoui, aimé de ces parents et de son entourage, touchant avec sa mini-guitare et son masque de Batman. Ces images feront figure de paradis perdu dans la descente aux enfers qui va suivre.
Le deuxième voit apparaître l’élément perturbateur. Puis arrive l’adolescence. Kurt, intenable, se voit rejeté par tous ceux qui l’accueillent : mère, père, grands-parents, oncles et tantes. De même à l’école où il est la risée de ses camarades. Il se réfugie en conséquence dans la guitare et la marijuana. C’est là qu’apparaît ce que soulignent tous les témoignages et va le suivre toute sa vie : Kurt Cobain cherche avidement l’amour et la reconnaissance mais ne l’assume pas, et agit de façon contraire.
Dans le troisième acte, les protagonistes cherchent une solution au drame, tout paraît encore possible. La solution, elle arrive et se pose comme une évidence : la musique, au début simple exutoire de la haine de Kurt Cobain envers lui-même et le reste du monde, apporte le succès. Bien qu’il s’en défende, ce succès compte énormément pour Kurt, tout comme les retours de ses premiers fans et critiques. Il y trouve la reconnaissance qu’il cherchait. C’est à cette période qu’il trouve aussi l’amour avec Courtney Love et rêve de fonder un foyer.
Dans le quatrième acte, l’action se noue définitivement, chez Racine du moins, les personnages n’ont plus aucune chance d’échapper à leur destin
Cette partie est sûrement la plus glauque du film. On y voit Kurt et Courtney dans une déchéance totale, enfermés dans leur appartement et drogués à l’héroïne. Si on croyait que la naissance de Frances devait apporter un peu plus de légèreté, on est vite déçu, l’environnement dans lequel la fille grandit restant presque aussi glauque que les scènes précédentes.
Au cinquième acte, l’action se dénoue enfin, entraînant la mort d’un ou de plusieurs personnages. Je vous sens encore dubitatifs. Ce que je décris, c’est certes une vie tragique, mais de là à comparer avec une pièce de Racine faudrait voir à pas trop se foutre de la gueule du monde, hein, ho. Et pourtant je vais aller plus loin : ce film est quasiment une tragédie autobiographique ; écrite (à travers le journal intime), racontée (à travers les enregistrements sonores, le Montage of Heck original, les répondeurs), dessinée (le journal intime toujours), filmée (pour partie), mise en musique (la bande-son est intégralement constituée de morceaux de Nirvana) par l’homme qui l’a vécue.
Il ne faut pas pour autant minimiser le travail de Brett Morgen, qui a su rassembler et assembler tous les éléments de ce puzzle dans ce qu’on imagine un travail extrêmement patient et méticuleux. Le choix est assumé de passer vite sur les aspects purement musicaux et sur la fin pour se focaliser sur le sujet choisi, la vie de Kurt Cobain.
Mais Montage of Heck porte bien son nom puisqu’il propose un montage véritablement excellent, le rythme et l’alchimie son/image étant assez stupéfiants. La musique de Nirvana, de base très chargée en émotion et ici admirablement mixée, s’y prête à merveille et magnifie quelques moments d’une rare intensité, comme l’ascension éclair du groupe à la sortie de Nevermind sur fond de Breed ; Sappy dont les paroles font écho à la fois à l’enfance de Kurt et à celle qu’il voudrait pour sa fille, ou encore Where did you Sleep Last Night au Unplugged qui ne m’a jamais autant touché qu’à travers ce film.
Je conseille au final ce documentaire à quiconque s’intéresse un minimum à Nirvana, même à ceux comme moi que le mythe qu’est devenu Kurt Cobain intéresse assez peu. Vous n’y verrez peut-être pas autant de grandes choses que moi, mais ce sera bien le diable si vous n’êtes pas un minimum touché par cet être humain au destin brisé, et porté par cette musique si forte.