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Réalisation : Fabrice Gobert
Scénario : Valentine Arnaud et Fabrice Gobert
Distribution : Laurent Lafitte, Chiara Mastroianni, Pio Marmaï, Clotilde Hesme, Zita Hanrot, Jean-Charles Clichet, Sylvain Dieuaide, Jean-François Sivadier,
Costumes : Bethsabée Dreyfus
Photographie : Patrick Blossier
Son : Martin Boissau
Montage : Bertrand Nail
Musique : Jean-Benoît Dunckel
Production : Xavier Rigault et Marc-Antoine Robert
Société de production : 2.4.7 Films
Société de distribution : Wild Bunch Distribution
Pays d’origine : France
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : thriller dramatique
Durée : 155 minutes
Dates de sortie : 21 juin 2017
Le couple formé par Suzanne et Antoine Leconte, impitoyable directeur des programmes d’une chaîne de télévision en vue, traverse une crise. Antoine voit sa vie basculer quand, après une journée oppressante, il tombe dans le coma. A son réveil, le torse barré par une cicatrice, Antoine est convaincu qu’on lui a tiré dessus alors que son entourage lui affirme qu’il a été victime d’une crise cardiaque. Mais ce n’est que le premier changement dont il est témoin : en effet, tout semble avoir changé de façon inexplicable et inquiétante dans sa vie personnelle et professionnelle…
Si le nom de Fabrice Gobert reste associé dans la mémoire des cinéphiles à son intéressant premier film intitulé Simon Werner a disparu… (2010), les amateurs de séries fantastiques préféreront se souvenir de sa contribution aux Revenants, référence d’ailleurs bien mise en évidence sur l’affiche. Dès les premières minutes de son second long-métrage de cinéma, le cinéaste se révèle capable de créer une ambiance mystérieuse avec bien peu de choses. Nous suivons pendant une quinzaine de minutes la vie d’un directeur de la programmation d’une chaîne de télévision privée qui, par bien des aspects, se révèle odieux avec son entourage. Sorte de loup aux dents longues, le type est imbuvable et condescendant envers ses collègues, mais aussi sa fille et sa petite amie du moment – excellente Chiara Mastroianni que l’on prend plaisir à retrouver dans un rôle dramatique consistant. Ce comportement lui attire la haine de bon nombre de collaborateurs jusqu’à un événement qui le précipite dans le coma. A son réveil, plus rien n’est comme avant et le directeur odieux va devoir expérimenter une position sociale bien moins enviable.
Imaginez-vous, un jour, au réveil, vous êtes toujours vous-mêmes, vous reconnaissez les gens de votre entourage et vice-versa, mais votre situation professionnelle et privée a changé de fond en comble ! C’est à ce genre de prémisse, mi-fantastique, mi-cauchemardesque que nous convie le deuxième long-métrage de Fabrice Gobert. K.O s’inscrit dans un métissage thématique entre La Vie est belle de Frank Capra, à la différence près que ce n’est pas l’anonymat qui turlupine le protagoniste mais la dégringolade sociale, et Un jour sans fin de Harold Ramis, dans la mesure où c’est un recommencement cyclique avec des passerelles de gestes et de paroles qui rythme le récit. La petite touche d’originalité y provient du fait que ce héros privé soudainement de repères est à l’origine un salaud, un pauvre type tellement imbu de lui-même qu’il ne se rend pas compte de la détresse qu’il sème autour de lui. Pareil positionnement moral comporte toujours le risque du propos édifiant, trop à cheval sur des principes altruistes pour exploiter sans ménagement les aspects à la fois absurdes et cyniques d’une telle mise en question existentielle. Grâce à l’interprétation savoureuse de Laurent Lafitte dans le rôle principal, le doute demeure quant aux bienfaits réels de ce plongeon involontaire dans un monde parallèle.
Si le début du métrage fait furieusement penser au petit classique d’Alejandro Amenabar Ouvre les yeux, notamment par le gimmick de l’évanouissement du personnage principal, le film évolue progressivement vers la fable à connotation sociale. Les auteurs profitent de cette histoire rocambolesque pour régler son compte au monde de l’entreprise privée, avec ses luttes d’influence et de pouvoir et ses ambitieux capables de tous les coups bas pour assoir leur ascendant sur leurs collègues. Toutefois, la fable ne fonctionne pas totalement car les oppositions sont un peu trop caricaturales, manquant de chair et de développement.
Mais le plus gros défaut de K.O. est de partir d’un postulat mystérieux et original pour ne déboucher que sur du réchauffé pour peu que vous ayez vu des œuvres comme le film espagnol précédemment cité, mais aussi L’échelle de Jacob (Adrian Lyne, 1990). Le pire est atteint dans la deuxième partie où le cinéaste fait intervenir une sorte de Fight club qui renvoie dans l’esprit de tous au film éponyme de David Fincher, autre roller coaster mental.
Porté à bout de bras par un Laurent Lafitte plutôt à l’aise, K.O. s’abîme progressivement dans la monotonie et perd de sa nervosité en cours de route. L’ennui pointe dangereusement le bout de son nez à plusieurs reprises, et ceci malgré une réalisation maîtrisée et une bande originale de Jean-Benoît Dunckel (un des deux Air) séduisante dès la première écoute, sans jamais être intrusive. Malheureusement, avec son script en roue libre et son twist final prévisible, l’essai n’est pas franchement concluant et le spectateur finit également au tapis.
Son premier film «Simon Werner a disparu…» avait démontré que le cinéma français pouvait frayer sur les territoires du thriller américain sans honte, ni tabou. La série dont Fabrice Gobert est le créateur, «Les Revenants», a confirmé son talent de conteur et son habilité à créer le suspense. On attendait donc «K.O.» avec une certaine impatience, d’autant que nous aimions le casting – Laurent Lafitte, Pio Marmai, Chiara Mastroianni ou encore Zita Hanrot. Malgré une ouverture prometteuse avec un parfait Laurent Lafitte en odieux connard, producteur d’une chaîne de télévision prêt à tout pour l’audience, y compris écraser les hommes et les femmes qui travaillent avec lui, «K.O» est rapidement dans les cordes d’un scénario qui force beaucoup trop le trait.
Sur le ring, les boxeurs s’affrontent… mais c’est dans le public que se joue le combat décisif. Homme de pouvoir aux commandes d’une chaîne de télévision, Antoine Lecomte affronte un animateur qui, pour s’être inquiété de l’avenir de son émission, est renvoyé dans les cordes. Humilié et hargneux, il attaque : « Tu es vraiment une pourriture. Un jour, tu le paieras. » Le lendemain, le subalterne tire sur son patron… Quand il sort de l’hôpital, le big boss découvre que lui-même n’a jamais été, à la télé, que le présentateur de la météo. Pour échapper à ce cauchemar, Antoine Lecomte va devoir se battre contre cet autre lui-même. Mais qui est le vrai et qui est le faux ?
Même sans nous parler de sport, K.O. n’en est jamais très loin. Très vite, le film nous place en supporters : cet homme qui se retrouve à terre, toute sa vie d’avant balayée, on veut bien croire qu’il est « une pourriture », mais on a envie qu’il se relève ! Fabrice Gobert mène brillamment la partie. Le réalisateur, qui s’est distingué avec la série Les Revenants, montre un tempérament de battant. Non content de se risquer sur le terrain du thriller à l’américaine, tendance paranormale, il ressuscite un fantastique poétique très français. Son film mise autant sur le punch que sur la sophistication. Il nous tient en haleine tout en nous faisant basculer dans l’étrangeté. Qui se cache dans les détails…
Comme dans les miroirs de la maison chic d’Antoine, tout se dédouble. Solange, sa compagne, s’apprête à publier un roman intitulé justement Un roman… Le présentateur météo, lui, a une épouse devenue auteur à succès avec un livre portant le même titre.
L’imaginaire prend le pouvoir. On reconnaît ici le visage d’un homme qu’on avait vu là dans un autre rôle. A la manière des rêves, le récit se construit par déplacements successifs. Mais l’onirisme devient une mécanique terrible, comme dans Orphée (1950), où Jean Cocteau représentait la mort par des motards circulant dans Paris. Fabrice Gobert, lui aussi, revisite le mythe d’Orphée et Eurydice. Dans l’enfer où il sombre, Antoine cherche sa Solange, son ange gardien, pour qu’elle le sauve en lui donnant l’amour dont il n’avait que faire, avant. Pour la reconquérir, il devra se battre, jusque dans des entrepôts où des hommes se tabassent afin de se prouver qu’ils tiennent debout. Un reflet décalé, plaisamment Fight Club, du match de boxe qui ouvre le film.
La dureté est partout. Le goût du mystère n’empêche pas la fable d’être implacable et claire. Le microcosme de la télévision devient, ici, un monde obsédé par la gagne, où tous les coups sont permis, un sport sans arbitre et sans règles, sinon la réussite : la violence des rapports humains dans le monde du travail a rarement été évoquée avec autant de force. Cette leçon, Fabrice Gobert l’applique aussi à l’histoire d’amour que raconte son film : dans cet univers hostile où songe rime avec mensonge, les vrais sentiments irradient d’une lumière fragile et magnifique. Portés, il est vrai, par deux interprètes de choix. Chiara Mastroianni, délicate, instantanément attachante. Et Laurent Lafitte, hâbleur, fonceur, cassant et tendre, très physique et pourtant paumé idéal dans ce labyrinthe cérébral. Qui finit par retomber sur ses pieds d’une manière séduisante, convaincante aussi. Et donne envie de tout revoir une deuxième fois, pour revivre le match.
Les influences sont nombreuses, de David Fincher («The Game» et «Fight Club») à Martin Scorsese («After Hours»), sans parvenir à se placer à ce haut niveau. Fabrice Gobert n’est pas manchot derrière la caméra et, bien aidé par la bande-son de Jean-Benoît Dunckel (la moitié du groupe Air), «K.O.» distille une certaine ambiance, surtout quand Antoine Leconte cherche à séduire à nouveau Solange, la femme de sa vie. Mais le dénouement déçoit par son manque d’imagination et laisse un parfum d’inachevé. Tout ça pour ça…
Bien qu’il n’y ait rien de nouveau à signaler du côté du dispositif amplement éprouvé d’une deuxième vie dans un monde parallèle, K.O s’acquitte plus que convenablement de la tâche de tenir en haleine le spectateur, par le biais d’un protagoniste complètement déboussolé. Sensiblement plus qu’un simple exercice de style, le deuxième film de Fabrice Gobert, sept ans après Simon Werner a disparu, s’autorise un commentaire en filigrane sur des conditions de vie et de travail, qui ressemblent plus à une jungle impitoyable qu’à une civilisation éclairée. A méditer donc en toute sérénité !