À l’occasion de la sortie le 3 mai du film « Les Magnétiques » en DVD chez Blaq Out, nous avons eu la chance d’interviewer son réalisateur, Vincent Maël Cardona. Cet entretien permet d’appréhender les envies et craintes autour de la création de ce film, qui résonne fortement par son ancrage historique avec l’actualité politique française récente.
Le Coin des Critiques Ciné : Tout simplement, quelle était l’idée de départ derrière le film ?
Vincent Maël Cardona : L’idée de départ, c’était d’essayer de raconter une histoire de bande, au tout début. Quand on est partis dans l’écriture, c’est un groupe d’amis qui basculait dans la vie adulte. Enfin pour moi qui découvrais le métier de vivre, c’est-à-dire que la vie n’est fondamentalement pas simple, une sortie de l’insouciance et que tout cela devait nous permettre en creux derrière cette dispersion de cette bande d’amis dans l’existence de raconter une histoire de tournant de la rigueur, ce moment en France juste après l’arrivée de François Mitterand, donc en 1983. Au départ, c’était ça l’intention. Puis progressivement dans l’écriture, en découvrant aussi nos personnages, cela s’est à la fois resserré autour d’un personnage principal, Philippe Bichon, et le propos s’est généralisé, universalisé je dirais, peut-être un peu dézoomé autour du tournant de la rigueur pour parler de quelque chose d’autre qu’on a progressivement un peu découvert, qu’on a pris conscience qu’il avait à voir avec un basculement, un changement de monde, d’époque, entre un monde qu’on pourrait qualifier d’analogique et un monde à venir, celui dans lequel on vit aujourd’hui, un monde fortement marqué par l’avènement de la révolution numérique. Globalement, c’est l’impression générale que j’ai sur le travail d’écriture sur le film.
Le Coin des Critiques Ciné : Je trouve justement l’ancrage historique intéressant au vu de l’actualité (l’interview a été effectuée durant l’entre-deux tours). On sent une jeunesse désabusée par les résultats actuels. Qu’en pensez-vous justement au vu du propos du film et de cette résonnance qui se crée ?
V.M.C. : Le sentiment général est qu’on voit qu’il y a quand même une forme de confusion, de difficulté à penser, de perte de repères, même d’un point de vue politique politicienne, de politique de parti, même très fondamentalement. Cette impression générale est liée pour moi à cette idée qu’on est tous les héritiers d’un monde qui est en train de s’effacer au profit d’un autre et dans ce moment de changement, il y a des repères qui se perdent et d’autres qui sont inventés sans l’être tout à fait, ils sont là mais on n’en a pas forcément conscience. Il y a quelque chose qui me marque profondément, c’est le parallélisme qui peut exister, la similitude de réaction entre la génération qui a 20 ans aujourd’hui et celle dont on parle dans le film, qui avait 20 ans en 1980. Il y avait une avant-garde musicale, donc on a essayé de l’entendre, notamment par le biais de la bande-son du film, les musiques préexistantes. C’était l’invention de la génération No Future. Je crois que cette notion-là, donc pour eux ce qu’on appelait l’avenir, cessait d’être une perspective brillante et devenait quelque chose de problématique. C’est quelque chose que l’on retrouve très profondément aujourd’hui dans la jeune génération, c’est-à-dire la grande difficulté de se projeter de manière mécanique, automatique, dans un avenir qui se déroulerait. Il y a des grandes menaces, des grands points d’interrogation, la notion même de futur n’est pas celle qui correspond le plus à la jeune génération. J’ai l’impression que c’est une génération qui essaie vraiment de retravailler le présent. Pour moi, cela rentre en écho avec leurs grands aînés qui sont les jeunes gens dans le film, les magnétiques qui avaient 20 ans à l’époque.
Le Coin des Critiques Ciné : C’est un premier long-métrage. Quelles étaient les craintes par rapport à cela ?
V.M.C.: Il y en avait plusieurs mais peut-être qu’une des craintes spécifiques était tout ce qu’il y avait à voir avec la reconstitution historique. On savait que c’était un film d’époque et il y a toujours un grand risque d’artificialité, de théâtralisation. Il n’y a pas de recette, on ne sait pas ce qui fait qu’à un moment donné, la reconstitution fonctionne et marche beaucoup moins bien dans d’autres cas. On sait simplement que cela a à voir avec la mise en scène de manière globale, comme articulation de plusieurs départements : les costumes aux accessoires, les maquillages, le jeu, le vocabulaire, l’image, la lumière, etc. Il y avait là pour moi un souci, cela a donc été l’objet d’une grande attention. Il fallait que cette reconstitution ne puisse pas apparaître comme quelque chose d’artificiel mais plutôt retranscrire une vérité de cette époque qui nous parle encore aujourd’hui.
Le Coin des Critiques Ciné : Je trouve l’usage du jaune intéressant, apportant beaucoup de chaleur dans des décors froids. Cela amène une vie, une forme de concrétisation pour le personnage. Comment cette idée est-elle venue ?
V.M.C. : Globalement, je me suis beaucoup méfié de l’enthousiasme que l’on peut avoir dès lors qu’on travaille sur un film d’époque avec les premières images évoquées, ici les années 80. Pour moi, pour contrecarrer un peu ce penchant-là, sans arrêt je revenais… avec toute l’équipe du film, on est nés dans les années 80. Ce n’est pas un film sur notre jeunesse, à la limite sur notre toute petite enfance. Je revenais donc sans arrêt à nos photos de famille, nos albums, nos photos argentiques, ce que l’on a chez nous. On se voit bébé, tout petits, dans les bras de nos parents, nos oncles, dans la France de cette époque-là. Pour moi, c’était important de revenir sur ces photos et les émotions qu’elles nous procuraient à nous, qui font appel à des souvenirs rares, fugaces, quelque chose très sensoriel de ce monde-là. Je crois que la lumière des couleurs a quelque chose à voir avec cette intention qui était très forte pendant tout le film, essayer d’être le plus fidèle possible à cette mémoire.
Le Coin des Critiques Ciné : Ma scène préférée est cette déclaration d’amour par radio. Comment est arrivée cette idée, simple en apparence mais hyper puissante dans l’expression du personnage ?
V.M.C. : Au départ, c’était une idée théorique d’écriture, c’est-à-dire que notre personnage est marqué par son mutisme, son incapacité à s’exprimer et dire ce qu’il ressent à l’intérieur de lui, comme si le langage, les mots n’étaient pas appropriés en ce qui le concerne. C’est comme si les mots ne seraient jamais à la hauteur de l’ampleur de la précision, la puissance de ce qu’il ressent. Il va mettre tout le film à utiliser ces mots, c’est ce qui est raconté ici avec la voix off. Dans cette scène-là, il n’est pas encore parvenu à utiliser les mots mais il faut qu’il trouve quelque chose. Il va donc utiliser son caractère fusionnel, son don de bricoleur, de manipulation sonore. Ce qu’on avait écrit dans la scène, c’est qu’il découvrait pas à pas les moyens matériels pour dire quand même quelque chose. Ensuite, pour le faire, je dois beaucoup à Pierre Bariaud, le monteur son, et Samuel Aïchoun, le mixeur du film car ils sont venus avec moi entamer la préparation du film par ça. On a essayé de trouver des idées de ce qu’il pouvait faire, des idées visuelles, comment montrer le son. On a cherché tout azimut avant de trouver cette sorte de performance, de chorégraphie que s’est réapproprié le comédien Thimothée Robart. C’est comme ça que cette scène, mais aussi celle de début avec le jingle, ont été écrites au son. On avait une certaine durée sonore, une bande son, et ensuite au tournage, on est allés chercher les plans qui pouvaient permettre de l’illustrer. On a inversé l’écriture cinématographique traditionnelle. Normalement, le montage son est quelque chose qui se fait dans un second temps. On a donc commencé ici par la bande-son, puis on a cherché l’image pour l’illustrer et après on a fait un retour de post-production de montage son où on a ajouté des choses et modifié d’autres paramètres.
Le Coin des Critiques Ciné : Est-ce que vous pensez que la radio reste encore un moyen de contact entre les gens, de connexion, par rapport justement à tout ce qui a été dit auparavant sur la question des avancées technologiques ?
V.M.C: Oui, je crois, même sous d’autres formes. On voit l’évolution des formes radiophoniques à travers les podcasts, un autre rapport à la radio. Ce sont des choses que l’on peut aussi écouter sans être dans une forme de flux, de direct, mais la matière radiophonique conserve toute sa force et sa pertinence. Elle se porte encore très bien, notamment avec les web radios et les formats numériques. À l’occasion de la tournée du film, il était important, dès que j’allais quelque part pour le montrer, d’aller dans le plus de salles possibles et d’essayer de visiter les radios locales. Je me suis aperçu de la densité du réseau de celles-ci, souvent d’ailleurs héritières de la libéralisation des ondes des années 80. Il y en a vraiment partout ces gens, ces bénévoles et associations qui prennent le micro, passent le son. Je crois qu’on touche là à un truc qui, même d’une certaine manière à travers les réseaux sociaux, je trouve une certaine continuité de cet élan de la libéralisation des ondes. On n’a pas à demander des autorisations pour exprimer ce que l’on a envie d’exprimer, pour diffuser, pour broadcaster comme on dit, et on se propose à tout un chacun. C’est un peu ça un compte sur un réseau social. Un blog à l’époque, c’était déjà ça, mais un compte Instagram, c’est encore ça. On est son propre média et après ça, « est-ce qu’il y a des gens qui nous regardent ? », « est-ce qu’il y a des gens qui nous écoutent ? », ce sont presque des questions secondaires. D’abord, il y a ce geste, de proposer. À l’époque, il y avait les ondes, la bande FM. Ici, c’est le cyber espace. Le geste est un petit peu le même. Mais je ne m’en fais pas du tout pour la radio qui, d’ailleurs factuellement, enregistre des grands succès d’audience.
Le Coin des Critiques Ciné : Je trouvais intéressant le choix du sur-cadrage dans la mise en scène, cela fait quelque chose de très clos dans la maison même. Je pense à cette scène de repas où chacun est cadré de son côté mais où le frère prend l’ascendant. C’était aussi quelque chose de voulu dans la mise en scène ?
V.M.C. : Oui, de manière générale, j’ai toujours une grande croyance dans le cadre, dans le plan au cinéma, quand l’image en elle-même dans sa composition véhicule le sens outre les dialogues ou le langage. Il peut être moins évident, moins ostensible mais a son régime de sens, l’image en elle-même puis l’enchaînement des images, les dialogues qu’elles ont entre elles, les effets de retours, … Le film est lui-même beaucoup structuré autour d’espaces qui reviennent et affirment effectivement dans chacune de ces scènes, il y a une dimension assez forte du découpage, des plans fixes ou en tout cas presque fixes. C’est comme s’il y avait une ligne de dialogue, de sens en tout cas, dans la composition même des plans.
Le Coin des Critiques Ciné : Enfin, question plutôt simple mais quels sont vos futurs projets ?
V.M.C. : Je travaille actuellement sur une série pour Arte, on va la tourner cet été et elle se passe dans la ville du Havre autour d’une famille. Cela prend un peu la forme d’une tragédie qui va exploser et, dans l’explosion de cette famille-là, mettre au jour une forme de secret qui serait à l’origine de leur malédiction. Je suis aussi en écriture de mon deuxième long-métrage qu’on devrait tourner normalement en 2023, avec beaucoup de questions et d’incertitudes sur ce que cela va raconter encore aujourd’hui.