Drame français sorti le 23 août 2017 (2h20) réalisé par Robin Campillo
Avec Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel
Critique dithyrambique (4,6 presse et 4,4 spectateurs sur Allociné !), coup de cœur à Cannes, le film choc de Robin Campillo sortait « enfin » en salle ce mercredi 23 août.
Film social, film politique, film utile ?
Nous sommes immergés dans le collectif Act up au début des années 90, groupe de militants qui organisent des actions afin de casser l’indifférence générale sur un virus du Sida qui tue pourtant depuis une dizaine d’années.
On le comprend vite, le film se veut utile. De nos jours, le Sida continue de sévir et une piqure de rappel ne fait jamais de mal. La partie documentaire est très fournie avec quelques repères historiques comme l’affaire du sang contaminé, une campagne de prévention dans un lycée, des parties qui expliquent comment agit le virus et comment on tente de le stopper.
Au final, ça fonctionne. Campillo évite le piège de la moralisation. Il ne se met jamais au dessus de ses personnages qui eux-mêmes ne sont pas toujours d’accord et dont les débats demeurent virulents, créant un point d’équilibre entre mobilisation et remise en cause. Même les membres de l’institut thérapeutique ou les policiers ne sont pas ridiculisés ou traités avec exagération. Forcément, l’action du film est datée mais l’implicite murmurant que les idées d’Act up sont toujours d’actualité semble évident.
Un rapport à l’émotion maitrisé ?
Le pitch et les bandes-annonces laissent présager un film plombant, le genre de long-métrage dont on ne sort pas indemne et qui trotte dans la tête la nuit qui suit le visionnage. Le générique de fin défile, sans son, accentuant le silence de cathédrale dans le cinéma. Forcément, on s’en doutait : le film n’est pas gai.
Néanmoins, je l’ai trouvé plutôt équilibré, avec des petites doses d’humour, des scènes où on peut s’échapper de la dure réalité. Le réalisateur évite un nouvel écueil : le déferlement d’émotions. On n’insiste pas sur notre fibre lacrymale, on n’exagère pas le pathos. Le sujet en lui-même suffit. Certains spectateurs vont quand même l’avoir dur, mais on peut apprécier ce traitement plutôt subtil.
Les acteurs contribuent grandement à cette perspective. Mélange d’acteurs novices ou confirmés (au milieu desquels Adèle Haenel évolue encore avec une aura quasi divine), cette troupe sonne vrai, malgré les excès des uns et les doutes des autres. Sean pourrait agacer dans sa radicalité, mais on le sent tellement sincère que l’on s’attache automatiquement.
Un grand prix du Festival de Cannes mérité ?
Certains ont milité pour que 120 battements par minute (hommage aux musiques de l’école) décroche la Palme d’Or à Cannes, là où le jury lui a préféré The Square (sortant prochainement). Mais le réalisateur d’Eastern Boys n’est pourtant pas reparti bredouille puisque son film a reçu le Grand Prix, succédant à Juste la fin du monde et au Fils de Saul.
Est-ce mérité ? On critique souvent les récompenses qui reviennent à des films sociaux ou politiques : ça fait bien-pensant, ça fait très bobo parisien se donnant bonne conscience en mettant en avant des films comme Moi Daniel Blake, Moonlight ou La Vie d’Adèle. Je ne partage pas cet avis, à condition que le film soit de qualité et offre de vraies propositions cinématographiques (ce qui est, je trouve, le cas des trois films cités).
Ici, la réalisation se montre également très soignée. Les plans sont bien construits, on alterne les moments de réunion, les moments d’action avec un tout autre rythme, les scènes plus intimes avec plus de gros plans et une lumière travaillée. Les moments plus durs émotionnellement sont généralement contrebalancés par des bouffées d’oxygène, comme si nous étions nous aussi malades et que nous profitions des moments de légèreté pour profiter de la vie à pleines dents. Aucun doute, c’est du cinéma, du vrai, du bon.
Les deux parties se valent-elles ?
J’ai vécu une première heure magique. Parfaitement maitrisée, avec de la variété, un mouvement perpétuel qui m’a permis d’entrer à la fois dans le propos et dans le quotidien de ces militants. On découvre les personnages, on a envie de lancer des bombes de faux sang avec eux, on apprend des choses, on sent se tisser les liens entre Sean et Nathan, on est ému, on rit de bon cœur et pour se soulager.
Et puis le film entre dans une routine. Une réunion qui prépare une action, une action, un moment pour évacuer, une scène intime. Une réunion qui prépare une action, une action, etc. Le seul enjeu restant semble être l’histoire d’amour, sans but précis. On peut me rétorquer que le but premier des personnages est déjà de survivre, tout en essayant de faire avancer leur cause. Mais j’aurais aimé une histoire servant de fil rouge, pourquoi pas dans le combat avec cet institut thérapeutique.
J’ai trouvé que le film, tout en gardant les qualités déjà citées, devenait parfois trop pédagogique. J’ai apprécié la divergence de points de vue entre Sean et Thibaut et j’aurais aimé que cela soit plus creusé. Après, je comprends que ce film n’ait pas vraiment de début ou de fin, puisque la lutte n’est pas finie.
Au final, à conseiller un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou pas du tout ?
On a senti certains spectateurs gênés par les scènes de sexe homosexuel, même si je trouve que cela reste très soft et que ça ne cherche pas la provocation. Le film peut impacter émotionnellement, mais il ne vire pas du tout dans l’excès et c’est une très bonne chose.
Néanmoins, je pose un bémol sur la deuxième partie du film que j’ai trouvé un peu rébarbative. Les 2 heures 20 n’étaient à mon sens pas nécessaires, et le film aurait encore gardé en efficacité en étant réduit d’une demi-heure.
En définitive, la qualité cinématographique est au rendez-vous, le sujet est profond, la bande d’acteurs sonne vraie, avec des nuances et des contradictions. J’ai eu la douce sensation d’apprendre des choses, et de ne pas être jugé. Pour toutes ces raisons, et malgré les limites évoquées, je trouve que ce film est à voir !