Si vous êtes fan du chanteur Nick Cave ou tout simplement un cinéphile curieux, ne manquez pas ce documentaire passionnant sur le rocker australien.
24 heures dans la vie de la célèbre rock star d’origine australienne Nick Cave. Une journée en apparence comme les autres, mais où les notions de réalité et de fiction finissent par se brouiller et s’entrelacer.
Pour fêter dignement son 20000e jour passé sur notre planète, le légendaire Nick Cave s’est vu offrir ce portrait filmé beaucoup plus rock’n’roll qu’un documentaire. Au lit avec sa femme, sur un canapé face à son psychanalyste, debout dans l’ombre de son père disparu, à table avec son vieux complice musicos Warren Ellis, au volant de sa Jag, à son bureau ou sur scène : l’habile caméra parvient à saisir avec tact l’âme de cet élégant dandy. Musicien, poète, chanteur, cette rock star discrète nous fait approcher au plus près de la créativité “cette petite flamme fragile que l’artiste doit protéger de ses mains”. Mais qui nous éblouit…
Réalisateurs : Jane Pollard – Iain Forsyth
Producteurs: Dan Bowen, Alex Dunnett, James Wilson
Scénario, dialogue: Iain Forsyth, Jane Pollard, Nick Cave
Musique: Warren Ellis
Décors : Simon Rogers
Montage : Jonathan Amos
Acteurs : Ray Winstone, Nick Cave, Kylie Minogue
Titre original : 20,000 Days on Earth
Genre : Documentaire, Musical
Editeur vidéo : Carlotta Films
Date de sortie : 24 décembre 2014
Durée : 1h37mn
Festivals: Sundance Film Festival: World Cinema Grand Jury Prize: Documentary, Sydney Film Festival: Best Film, International Istanbul Film Festival, International Competition: FIPRESCI Prize, Festival de Cinéma de la Ville de Québec, International Competition: Grand Prix competition, Athens International Film Festival
Sous des atours de documentaire musical, 20 000 jours sur terre est en fait une fantaisie qui nous permet de passer une journée avec le musicien-poète Nick Cave et qui, malgré tous les artifices mis en place, en révèle beaucoup sur la personnalité de l’artiste et sa fascination pour les mondes parallèles et les processus de transformations magiques à travers l’acte créatif.
Vingt mille jours sur Terre, c’est un peu moins d’un demi-million d’heures. Le film de Iain Forsyth et Jane Pollard en fait à peine deux, ce qui donne une idée de l’extraordinaire présomption de ses metteurs en scène, qui prétendent faire entrer une vie, celle de Nick Cave, dans cet espace confiné ; d’autant que le parcours de la rock star, écrivain, scénariste, héros national en Australie, traverse plus d’un demi-siècle et trois continents.
La personnalité du musicien, sa nature et son engagement dans l’art se dévoilent au cours d’une journée presque banale ponctuée par des moments de travail, des rencontres et des souvenirs. Au fur et à mesure de ces entretiens mais aussi des conversations entre Nick Cave et son psychiatre, le personnage se révèle totalement…
Ce pari artificieux – exprimer l’essence d’une existence humaine en résumant le vingt millième jour – est gagné haut la main. Documentaire écrit avec plus de précision que bien des fictions, récit peuplé de personnages qui jouent (et ne se contentent pas d’être) leur propre rôle, 20 000 jours sur Terre est un portrait touchant et passionnant, qui non seulement ravira les sectateurs de Nick Cave mais devrait en grossir les rangs.
Les réalisateurs invitent donc à suivre un jour de la vie de Nicholas Cave, père de famille, résidant à Brighton, Angleterre, de son réveil à son coucher. Puisque l’on est au cinéma, la journée sera bien remplie, passant des lumières changeantes du Channel aux projecteurs de l’Opéra de Sidney, d’un studio à la campagne au cabinet d’un thérapeute.
A chaque fois, Nick Cave est confronté à une facette de son travail, à une période de sa vie. Face à ces situations mises en scène, il est censé être honnête, vrai. Mais dès le début du film, face au miroir de sa salle de bain, il a averti : depuis le début du siècle, il a cessé d’être humain pour devenir une machine qui accumule les expériences pour les restituer sous la forme de chansons.
Au départ, le chanteur-compositeur-écrivain Nick Cave, connu notamment pour ses groupes très influents The Birthday Party et Nick Cave & the Bad Seeds, avait fait appel à Iain Forsyth et Jane Pollard pour filmer l’enregistrement de son dernier album, le climatique et acclamé Push the Sky Away, lors d’une résidence au studio La Fabrique à Sain-Rémy-de-Provence. De ces sessions de 2013 est née l’idée de réaliser un film à mi chemin entre documentaire et fiction, où Nick Cave s’exprimerait sur le processus créatif. Il est alors décidé que l’action se déroulera sur une journée, la vingt millième de la vie de Cave (idée sortie de l’un de ses calepins). D’emblée, ce postulat porte en lui une nostalgie, une vision rétrospective, une mélancolie qui sied à merveille avec les sombres ballades intimistes du crooner australien relocalisé à Brighton, où le climat maussade semble constamment l’influencer.
Du réveil matin jusqu’à la tombée de la nuit, nous suivons donc le musicien dans ce qui devrait être une journée typique de son quotidien. Bien entendu, tout cela n’est qu’artifice et les cinéastes nous le font constamment sentir. Forsyth et Pollard viennent du milieu de l’art contemporain et des créations visuelles (ils ont aussi travaillé avec de nombreux musiciens, dont Jason Pierce de Spiritualized ou encore Scott Walker), et ce premier long métrage obéit à une esthétique léchée et arty, bercée par la voix off de Nick Cave qui confie ses pensées poétiques dans un style très « courant de conscience ». Le film débute par un décompte où des milliers d’images liées à la carrière du compositeur s’alternent rapidement et semblent nous dire ainsi que nous n’allons pas assister à une biographie traditionnelle ou à un compte-rendu chronologique. De fait, tout est projeté dès ce générique pour pouvoir passer par la suite à autre chose, de plus intime, de plus profond.
Le dispositif lui-même pourrait rappeler une installation d’art contemporain. Plusieurs objets sont posés et se manifestent. Réveil, horloge, radio, machine à écrire. Tout un appareillage dont les sons se mélangent, dans un mixage subtil, aux compositions assurées par Cave et Warren Ellis spécialement pour le film. Ces motifs machiniques quand ils se mêlent à la virée en voiture font indéniablement penser au film Radio On de Christopher Petit. Une influence peut-être pas aussi évidente que celle des films de Wim Wenders et de Jim Jarmusch (Une nuit sur terre bien entendu) mais présente néanmoins. En effet, la voiture va être un espace important tout au long du métrage. Lieu de recueillement et de fantasme, s’y alternent des personnalités qui ont eu leur importance dans le parcours de Cave : l’acteur Ray Winstone qui jouait dans le film que Cave avait scénarisé pour John Hillcoat (The Proposition), Blixa Bargeld qui a assuré la guitare des Bad Seeds pendant de nombreuses années et Kylie Minogue, avec qui il avait chanté le tube « Where the Wild Roses Grow ».
En parallèle, les activités quotidiennes (le passage à la salle de bain, le rendez-vous chez le psy, l’arrêt aux archives ou le repas en famille avec ses jumeaux) sont des moments totalement orchestrés et factices. Cave reprend son costume d’acteur (il avait déjà fait cela par le passé dans des films comme Ghosts of the Civil Dead ou Johnny Suede) pour s’incarner lui-même. Vanité poussée à l’extrême ? Oui, mais avec poésie et un détachement parfois drôle. Pourtant derrière cette rencontre poussive avec le psychanalyste-intervieweur Darian Leader (au bout du compte les deux activités peuvent être très similaires) peut émerger une profonde honnêteté : souvenirs d’enfance, premier amour, relations avec son père décédé quand il avait dix-neuf ans et fascination pour le pouvoir transformateur de l’expérience live. Une anecdote avec Nina Simone reviendra plusieurs fois pour étayer ses propos et cette métamorphose transcendante sera mise en avant lors d’une performance finale où Cave chante le morceau « Jubilee Street » au Sydney Opera House en compagnie de ses musiciens, d’un orchestre à cordes et d’un chœur d’enfants. Le chanteur y semble littéralement possédé et les paroles soulignent l’acte magique : « I’m transforming, I’m vibrating ».
Primé pour sa réalisation et son montage au festival de Sundance, 20 000 jours sur terre est une œuvre qui joue de l’illusion, utilise les éclairages, les emphases pour au bout du compte laisser transparaître une véritable émotion (notamment lors de la transformation finale ou lors des répétitions et enregistrements de Push the Sky Away qui ponctuent le film) car il s’agit bien ici du portrait d’un homme dont la carrière est en grande partie derrière lui (s’étalant sur presque quatre décennies), sa peur de perdre la mémoire et son existence à travers elle et le mythe qu’il s’est lui même créé. Au bout du compte, c’est peut-être ainsi que l’on peut atteindre une vérité sur ce que l’on est au plus profond de soi ? Le temps est bien le sujet du film (ce temps qui a manqué à Blixa Bargeld pour pouvoir rester dans les Bad Seeds, tout en continuant son groupe Einstürzende Neubauten, ses projets solo et sa vie de famille), ce temps qui laisse certains amis et collaborateurs derrière soi (les regrettés Tracy Pew et Rowland S. Howard qui apparaissent dans la séquence dédiée aux archives), ce temps qui semble le séparer de sa femme Susie que l’on ne voit jamais apparaître dans le film, ce temps qui disparaît lors de l’écriture ou des concerts, ces « mondes alternatifs » que l’artiste aime créer.
Il est d’ailleurs amusant de voir que Cave parle énormément de l’autre temps (le « weather ») alors que c’est sûrement le « time » qui l’obsède plus que tout. Nous sommes donc dans une fantaisie déguisée en documentaire musical, où la vanité, vêtue d’un beau costume et au volant de sa Jaguar, apparaît comme sympathique (ce testament rédigé dans les années 1980 pour un Nick Cave Memorial Museum !) et Cave sait faire preuve d’humour envers lui même. Il est un raconteur d’histoires et c’est là que les fans se régaleront (comme quand il narre sa période mystique due essentiellement à sa vie de junkie ou quand il analyse une scène de concert avec Birthday Party où un Allemand avait uriné sur scène), tout comme en écoutant la version brute et épurée de « Higgs Boson Blues » ou en se faisant les témoins de ses rapports amicaux avec Warren Ellis (le passage où il compare une des dernières compositions de Cave a du Lionel Ritchie est savoureux). Les autres apprécieront la réflexion que le film propose sur l’acte créatif et la volonté de s’éloigner des standards de ce type de portraits musicaux pour faire une véritable proposition cinématographique.
AU-DELA DE LA CRITIQUE : L’ANALYSE
Du haut de ses 57 printemps (soit environ 20 000 jours), Nick Cave, le leader des Bad Seeds, se prête au jeu du documentaire introspectif. Sorte de psychanalyse à ciel ouvert, 20 000 jours sur Terre s’immisce dans l’intimité de l’Australien, à travers des sessions d’enregistrement du dernier album du groupe et des discussions à bâtons rompus avec ses proches. Mais la limite est parfois mince entre mythification et mystification.
Ce documentaire sur le grand prêcheur de blues-punk australien, toujours vaillant et alerte à 57 ans, n’a rien de naturel. Le contraire absolu du reportage gonzo filmé au jugé.
Une fantasmagorie bigarrée dans Brighton, aux basques du chanteur, lors d’une hypothétique journée au cours de laquelle il revisite son passé tout en vaquant à ses affaires. Image très travaillée pour cette sorte de jeu de l’oie aux nombreux leitmotive. Par exemple la séquence récurrente où, au volant de sa Jaguar, Cave dialogue avec un passager lié à son passé (Kylie Minogue, comparse d’un fameux duo sirupeux ; l’acteur Ray Winstone ; l’Allemand Blixa Bargeld, ex-membre des Bad Seeds).
Sans détailler les diverses modalités employées pour raconter ce dandy gothique – qui reste tout de même assez discret sur sa sphère privée –, disons que ce film-bilan, constamment en mouvement mais non dénué de plages contemplatives, explique comment l’ex-junkie enragé a réussi à dompter ses déraillements pour devenir une petite entreprise d’art populaire. Cet ex-punk qui ne s’est pas rangé mais n’a pas non plus dégénéré, a rassemblé ses démons et poursuivi sa route.
Fondateur des Birthday Party, Nick Cave quitte son Australie natale en 1980 pour s’installer en Europe où il côtoie la scène punk et indus de Londres et Berlin. Là, le groupe explose et donne naissance à une nouvelle formation : Nick Cave and the Bad Seeds. Progressivement, les prestations scéniques du chanteur (auteur et compositeur au demeurant) bâtissent le mythe Cave, intronisant le rocker au panthéon des monstres sacrés. C’est à cette statue du commandeur que s’intéresse le documentaire de Iain Forsyth et Jane Pollard. Mais pour cerner la star, le duo de réalisateurs prend le parti de le suivre dans son quotidien, de ses séances chez le psy aux longues palabres avec son acolyte musicien Warren Ellis. À l’image de sa carrière, imbriquée dans la fiction (Nick Cave est aussi romancier et scénariste à ses heures perdues), 20 000 jours sur Terre joue des frontières entre réalité et imaginaire, instants volés et mises en scène savamment orchestrées.
Dès les premières secondes, alors qu’on assiste au réveil de Cave s’extirpant de son lit, on comprend que le documentaire ne va pas se contenter d’observer l’artiste dans sa « vraie vie » mais va au contraire s’ingénier à recréer un quotidien fantasmé, autant par les fans que les réalisateurs. Si cet angle peut paraître artificiel, il souligne de fait la cannibalisation de l’homme par la star. Plus de trente ans passés sous le regard du public transforment un être et cette métamorphose est au cœur de la réflexion de 20 000 jours sur Terre. On découvre ainsi que de sa période berlinoise, où l’héroïne coulait à flot, le chanteur a conservé une multitude de photographies, dessins, objets, persuadé qu’un jour ils constitueraient les bases d’un musée à sa gloire. La découverte de ces archives personnelles, éclairantes et relativement inconnues, démontre aussi l’incroyable volontarisme de Cave à construire sa légende. Mythologie que le documentaire se plaît à illustrer, parfois jusqu’à l’excès.
Parallèlement à des sessions d’enregistrement de «Push the sky away» (le dernier album en date du groupe) et des captations live de la tournée (qui démontrent s’il en était encore besoin le charisme démentiel de Cave sur scène), 20 000 jours sur Terre propose encore une autre source visuelle, en l’état des discussions amicales avec Kylie Minogue (avec qui il a interprété un somptueux duo en 1995), Ray Winstone (acteur britannique que l’on retrouve dans The Proposition, scénarisé par Cave) ou Blixa Bargeld (un ex-Bad Seed aussi membre fondateur d’Einstürzende Neubauten). Dans sa berline, sur les routes de Brighton, Nick Cave conduit ses amis, papote, blague et digresse.
Ces interludes déconnectés du reste du long métrage apparaissent comme une ouverture sur des sujets pas nécessairement musicaux mais nécessitent de la part du public une bonne connaissance de l’œuvre de Nick Cave. En effet, aucune contextualisation ne permet de comprendre les liens qui unissent les différents intervenants au leader des Bad Seeds, dédiant de fait le documentaire aux férus et excluant malheureusement les novices. Si un film a pour vocation à faire découvrir un univers, celui-ci ne répond que partiellement aux attentes, tant dans sa volonté quasi abstraite de peindre Nick Cave que dans la mythification sans recul qu’il propose.
Faut-il être familier du rock tourmenté de Nick Cave pour apprécier ce film ?
Objectivement, non, parole de fan ! Depuis Some kind of monster (2004), sur Metallica, ou Year of the Horse (1996), sur Neil Young, on n’avait rien vu d’aussi vibrant, d’aussi incarné, et surtout d’aussi élégant. Car trop souvent le « rockumentaire » se réduit à capter l’énergie d’un groupe sur scène et en coulisses, dans un style débraillé.
Venus de l’art contemporain, le couple d’artistes derrière la caméra signe son premier film « de fiction », en quelque sorte : il s’agit d’une journée imaginaire dans la vie de la rock star australienne relocalisée à Brighton, où la plupart des scènes sont scénarisées. D’où un effet romanesque inédit pour ce genre, renforcé par la voix off, littéraire et caverneuse, du chanteur, qui se livre à la première personne.
Toujours tiré à quatre épingles, le pasteur Nick Cave se révèle un « acteur » magnétique, qu’il évoque son enfance (face à un faux psy), le charisme de Nina Simone ou ses fructueuses et narcotiques années berlinoises. Inspiré, fourmillant d’idées de mise en scène (les « apparitions » des compagnons de route, Kylie Minogue ou Blixa Bargeld, sur la banquette arrière de la voiture conduite par le héros), ce documentaire distille aussi avec parcimonie les moments musicaux, décuplant ainsi leur puissance. Et notre émotion.