L’homme que j’ai tué, également connu sous son titre original Broken Lullaby est un film réalisé par Ernst Lubitsch en 1932. Avec Phillips Holmes et Nancy Carroll dans les rôles titres, ce classique a peu à peu été oublié. Inspiré par la pièce de Maurice Rostand, le long-métrage a néanmoins subi une nouvelle reconnaissance lors de la sortie de Frantz d’Ozon en 2016 dont il est la source d’inspiration. Depuis peu disponible dans une nouvelle version DVD, que vaut réellement le film de Lubitsch?
De quoi ça parle?
Paul, soldat français, revient de la Première Guerre Mondiale totalement changé, hanté par ses souvenirs. La culpabilité d’avoir tué un homme le ronge. Il décide alors de partir en Allemagne, dans le village de cet homme, pour tout avouer à sa famille. Néanmoins, les circonstances et rencontres qui auront lieu vont modifier ses plans.
Et ça vaut quoi?
Posons d’abord les bases : ce film se démarque totalement du reste de la filmographie de Lubitsch. Le sujet abordé est grave, dur, tant à l’époque de sa sortie que maintenant. En effet, le long-métrage sort en 1932, soit à peine 14 ans après la fin de la Première Guerre Mondiale, grand conflit ayant causé de monstrueuses pertes humaines, ayant dévasté les paysages, et surtout ayant détruit l’idéal de paix d’alors. L’histoire en elle-même est bouleversante : la culpabilité que ressent un jeune homme, alors qu’il n’a tué qu’un homme sur tant de morts. Cela permet de se rendre compte de ce qu’est réellement la guerre : on nous l’apprend souvent de façon théorique, en cours ou dans des livres, mais l’on est ici face à un homme, victime de sa culpabilité, coupable d’être une victime. La scène qui pose les bases de l’histoire, lors du dialogue entre Paul et le prêtre, est d’une émotion intense, que j’ai rarement ressenti devant un long-métrage. Les souvenirs du soldat, la mort de son adversaire qui ne comprenait pas ce qu’il faisait là, la détresse du survivant dont le dernier espoir se trouve dans l’absolution de son péché. Le prêtre comparera alors le sort de la mère du soldat mort au sort de Marie de Nazareth, mère du Christ, ce qui va donner un déclic au héros : il doit, pour aller de l’avant, recevoir le pardon de cette femme.
Son intention est claire dès le début : il veut seulement tout avouer à la famille. Mais la meurtrissure de ces gens le poussera à mentir, à se faire passer pour un ami de mort. Si cela vous rappelle quelque-chose, c’est certainement le film Frantz de François Ozon, sorti il y a deux ans, avec Pierre Niney. L’homme que j’ai tué a inspiré le-dit film. Néanmoins, il y a une différence notable entre les deux films : là où Frantz traîne en longueur, durant près de deux heures, développant lentement son histoire, se voulant peut-être plus contemplatif, le film de Lubitsch ne dure qu’une heure quinze, et va droit au but. On s’attache aux personnages, l’intrigue est bien développée, mais surtout on ne s’ennuie pas, on ne regarde pas sa montre. La faiblesse du film d’Ozon est la force de celui de Lubitsch.
Magnifiquement bien interprété, sublimement filmé. Deux autres grandes qualités du long-métrage du réalisateur de To Be or not to be. Autre force du film : l’alternance d’une émouvante sensibilité et de scènes drôles. En effet, dès l’introduction du défilé, le réalisateur filme par le vide formé par la jambe manquante d’un soldat. Grinçant. De plus, toutes les scènes avec les villageois, lorsque Paul et Elsa marchent ensemble, sont hilarantes : dignes d’espions stupides, ces personnages allègent l’intrigue difficile.Dernière scène que je développerai : la mort du soldat. Magnifique autant qu’horrible, émouvante et poignante, cette scène est très clairement la plus forte du film. La lettre magnifique lue au début, rappelée lors de la fin, ainsi que les quelques images glaçantes qui sont parfois intercalées dans la film font de cette scène un point essentiel du long-métrage.
Emouvant, drôle, dur, ce film de Lubitsch peut être qualifié de bien des manières. Se démarquant des autres long-métrages du réalisateur, L’homme que j’ai tué vous fera à coup sûr passer un agréable moment de cinéma. Coup de coeur pour ma part, je ne peux que chaudement vous le recommander. ressorti il y a peu en DVD, vous n’avez plus d’excuse !