Sortie : 31 Janvier 2024 en salle et 5 juillet 2024 en support physique. 
Durée : 1h45
Genre : Drame, Historique, Guerre 
De Jonathan Glazer
Avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus, Daniel Holzberg, Sascha Maaz, Ralph Herforth, Freya Kreutzkam, Imogen Kogge, Lilli Falk, Max Beck, Medusa Knopf

Musique : Micachu

 

 

Représenter l’immontrable est d’une complexité sans nom, surtout lorsqu’il s’agit de l’image de cinéma. L’image de cinéma a une responsabilité supplémentaire, celle de faire bien attention au cadrage, à la narration et surtout à l’esthétique. La création de l’émotion par l’image pose souvent question tant elle relève d’un enjeu à la fois moral et attractif. Car nous ne pouvons le nier, l’art cinématographique se confond avec son caractère industriel et publicitaire qui peut biaiser la représentation de l’histoire, et notamment du Nazisme puisque c’est le cas du film qui va être abordé dans cet article.

La Zone d’Intérêt de Jonathan Glazer a donc la responsabilité de sauver un peu les meubles, car la réalité, c’est que le cinéma n’a jamais réellement réussi à filmer les camps en évitant l’aspect attractif de l’image. L’attraction peut créer la confusion chez les spectateurs voire l’indignation. Bien évidemment, la sensibilité de chacun face à la représentation d’un événement historique entre dans un contexte multiple, culturel, social et politique. Un fanatique de Napoléon sera forcément écœuré (ou pas, nous pouvons être surpris.) par une approche contestataire du personnage et au contraire, une personne plus proche des idées de gauches sera plus sensible à ce regard plus matérialiste de L’Empereur.

Le même problème se pose donc avec la représentation de L’Holocauste au cinéma puisqu’il y a l’enjeu moral qui s’y ajoute, comment filmer les nazis ? Comment filmer les victimes ? Tant de questions qui s’ajoute à une liste maudite du cinéaste portant la responsabilité de l’image. Car l’image est parfois une malédiction. Mais Jonathan Glazer arrive à faire quelque chose d’assez inédit avec son film, il se rate complètement sur ce qui relève de la représentation et la question du cadre (surtout) et réussi pourtant à produire un des films les plus intrigants et juste sur cet épisode sombre de l’histoire, je m’explique.

 

Lors de sa sortie au cinéma en 2024, je suis resté un peu pantois face au film, déjà ce n’est pas réellement un film qui joue sur le hors champ des camps pour se concentrer sur une famille de hauts dignitaire nazi. En vérité, la présence du camp est écrasante et parfaitement visible, bien que le son soit tout de même une part importante de leur représentation. En réalité, l’apparition du camp est un véritable élément de narration avec des fumées que l’on peut percevoir et ainsi de suite. Mais en vérité, on s’en fiche un peu, non ? Oui, on s’en moque, car la réussite du film est justement de reposer sur ce faux hors champ en faisant le choix de mélanger la monstration et l’invisible. Mais d’où provient le problème du film ? Le réel défaut de La Zone d’Intérêt provient de l’échec de sa manière de filmer cette famille avec une distanciation et un style de cadre s’approche de la caméra de surveillance (au point où le film est tourné en caméra à vision nocturne par moments.). Ce postulat n’est absolument pas respecté puisque finalement, de manière dramatique, le caractère forain et attractif du cinéma rattrape le film de Glazer. Dès l’instant où le travelling esthétisé se met en place, la gêne s’installe. Un malaise se ressent face à ce besoin de faire un film si contrôlé et propret afin de gagner le cœur d’une critique qui a soif de beaux plans.

 

Ainsi, La Zone d’intérêt perd en radicalité et ne prend pas tant le temps de se concentrer sur son intention réelle, nous confronter à la banalité du mal. En témoigne la première séquence qui montre la famille de nazis au bord de l’eau en train de faire un pique-nique au bord de l’eau. La caméra est fixe et observe de manière microscopique cette famille qui semble tout à fait normale. Le son est d’ailleurs lointain, les paroles quasiment pas perceptibles et par la suite, le film devient une chronique familiale profondément scolarisée où les interactions humaines sortent tout droit d’un film. C’est à ce moment-là que l’œuvre de Glazer comment à s’essouffler en faisant le choix de l’artificialité narrative malgré une radicalité apparente qui, comme évoquée précédemment, ne durera pas.

Mais parce qu’il faut également se contredire, La Zone d’intérêt surprend malgré tout et gagne également en singularité de manière surprenante. Car, malgré les ressorts esthétiques et narratifs qui relèvent de la trahison d’un dispositif faussement installé, il en ressort un élément assez moderne. Glazer filme la maison et la vie de la famille de sanguinaire comme une installation artistique qui prend vie, à la façon d’une contemplation d’un chaos ordinaire. Glazer agit plus en plasticien que cinéaste et livre une œuvre qui par son esthétique va transmettre un poison qui va s’insinuer dans l’esprit de celui qui la regarde. Lors du premier visionnage, cette dimension n’était que perceptible par petits bouts, mais la redécouverte récente du film m’a permis de mieux l’appréhender par cet aspect.

Glazer passe son temps à filmer des architectures brutes et géométriques qui enferment les personnages comme des marionnettes qui n’obéissent qu’aux ordres d’un béton sanguinaire. La famille semble véritablement fusionner avec l’esthétique du camp ce qui traduit pour le cinéaste une volonté de s’intéresser à l’aspect industriel et capitaliste de destruction des corps juifs au profit d’un régime sanguinaire. Les nazis deviennent donc des chefs d’entreprises déshumanisés et froids et la famille en elle-même semble fausse et dysfonctionnelles. Il suffit de se pencher sur la volonté d’Hedwig, la femme de Rudolf Höss, de ne pas suivre son mari dans sa mutation et de rester près des camps qui représentent pour elle un havre de paix, un paradis sur terre. Cette complaisance dans l’horreur est parfaitement représentée. La Zone d’intérêt s’ouvre d’ailleurs sur un long plan noir qui relève également de cette démarche de plasticien permettant au spectateur de saisir l’enfer dans lequel il pénètre.

Pour résumer, La Zone d’intérêt ne réussit pas lorsqu’il tente d’ouvrir des dispositifs et des impressions qu’il ne cesse de bousculer et trahir ou, également, rate ses moments de naturalisme du quotidien de cette famille, car il démontre finalement que ces gens sont « non filmables » et que la seule manière de les représenter et de créer cet inconfort persistant et cette complaisance monstrueuse avec la violence qui entoure une famille qui pourrait paraître normale de prime abord (cf le premier plan qui introduit la famille.).

Ainsi, le film de Glazer n’est pas tellement un échec, mais plutôt un film qui se contredit pour le meilleur en assumant de dépasser le postulat d’un suivi du quotidien d’une famille nazi résidant dans les camps d’extermination pour proposer un véritable geste esthétique qui remet à jour une esthétique du fascisme que l’on retrouve encore aujourd’hui de manière préoccupante dans nos vies. Le film alerte plus qu’il ne représente fidèlement quelque chose. La fameuse Zone n’est finalement que l’expression de la fameuse banalité du mal en se permettant d’user de procédés purement cinématographiques pour créer à la fois du pathos et une froideur clinique qui fait tout de même penser que cette maison au centre de la mort n’est qu’une chambre froide peuplée de cadavre. C’est pour cette raison que la seule confrontation réelle à l’horreur des camps se fera par l’intermédiaire du musée d‘Auschwitz qui conclut une confrontation temporelle de Rudolf Höss qui fait face au résultat de l’action de son peuple. Il se met à vomir comme s’il tentait d’expurger trop tardivement un mal intérieur faisant place au silence, celui de nombreuses victimes matérialisées par des objets empilées derrière une vitre. L’image ne s’endort pas et laisse place à la gravité du passé dont la malédiction hante le présent, ainsi se matérialise La Zone d’Intérêt.

 

Le film est disponible depuis le 5 juillet 2024 en blu-ray, DVD et 4K chez Blaq Out accompagné de :

 

Bonus :

Entretien avec Antoine Desrues, critique de cinéma (32 min)

Making of (30 min) (spécifique blu-ray) 

Secrets de tournage (7 min)


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