Titre : Le Caire confidentiel
Titre original : The Nile Hilton Incident
Réalisation et scénario : Tarik Saleh
Photographie : Pierre Aïm
Montage : Theis Schmidt (de)
Musique : Krister Linder
Pays d’origine : Suède, Danemark et Allemagne
Genre : thriller
Durée : 106 minutes
Dates de sortie : États-Unis : 21 janvier 2017 (Festival du film de Sundance)
France : 30 mars 2017 (Festival de Beaune) ; 5 juillet 2017 (sortie nationale)
Distribution : Fares Fares, Ger Duany, Mari Malek, Slimane Dazi, Hania Amar, Mohamed Yousry, Hichem Yacoubi
Graffeur, documentariste, animateur et clippeur, le suédois Tarik Saleh revient à son pays d’origine pour réaliser un film noir ancré dans la réalité la plus crue. On y suit un enquêteur de la police découvrant à ses risques et périls le système de corruption qui a gangrené l’Égypte jusqu’à la révolution de 2011. Le parti pris de réalisme ne s’exprime pas seulement dans le contexte brûlant qui précède les fameuses émeutes de la place Tahrir (dûment reconstituées), mais aussi dans l’intrigue, inspirée d’une authentique affaire de chanteuse assassinée. Fares Fares (vu dans Zero Dark Thirty ou Les Enquêtes du département V) incarne le détective paranoïaque et désabusé qui cherche ses marques dans un univers instable où il doit se méfier de sa propre famille. C’est parce qu’il est l’un des rares à pouvoir évoluer parmi les différentes strates d’une société ultra compartimentée que l’on peut découvrir avec lui Le Caire « d’en bas » (reconstitué à Casablanca pour des raisons de sécurité), grouillant, stimulant, enfumé et dangereux, à côté du luxe obscène des forteresses des dirigeants. Entre les deux, une zone rouge de non-droit, où règnent les putes, les macs et les trafiquants de tout poil. La force du film réside dans sa capacité à montrer que la solution de l’intrigue n’était pas nécessairement celle que l’on croyait. En effet, le problème de trouver le coupable n’a plus d’importance, lorsque la révolte populaire s’impose comme la vraie solution, inévitable et irréversible.
Enquête trouble au cœur d’une ville rongée par le cancer de la corruption, Le Caire Confidentiel emprunte au thriller son efficacité et au documentaire son réalisme incisif. Le cocktail a des effets dépressifs, conviant le film au panthéon des grands films noirs.
Le Caire, janvier 2011, quelques jours avant le début de la révolution. Une jeune chanteuse est assassinée dans une chambre d’un des grands hôtels de la ville. Noureddine, inspecteur revêche chargé de l’enquête, réalise au fil de ses investigations que les coupables pourraient bien être liés à la garde rapprochée du président Moubarak.
Accueilli en France en période estivale après deux prix prestigieux, l’un américain, le Grand Prix de la World Compétition à Sundance, l’autre à Beaune, pour un Grand Prix qui était loin d’être anodin, Le Caire Confidentiel est a priori réalisé par un inconnu, un certain Tarik Saleh.
Cet ancien graffeur, réalisateur de documentaires (l’un sur Guantanamo, un autre sur la révolution cubaine) est pourtant connu comme clipper pour le tube I follow Rivers, chanson de sa compatriote Lykke Li, dont on garde tous en tête les images enneigées troublantes, et dans lequel on trouvait déjà la vedette de Le Caire Confidentiel, Fares Fares.
Pour son nouveau polar, après l’inédit Tommy (2014), le Suédois frappe fort avec une œuvre qui, une fois de plus, se délocalise. Cet amoureux de l’Histoire du monde, et grand spécialiste des opprimés, a décidé cette-fois ci d’infiltrer l’Histoire récente égyptienne, à l’orée du Printemps Arabe et du soulèvement de la Place Tahrir. Délaissant l’approche purement documentaire pour évoquer les événements qui allaient mener le peuple à se révolter contre la présidence autoritaire de Moubarak, Saleh opte pour un mariage percutant entre la fiction (le thriller de chambre d’hôtel avec soupçons politiques) et le réalisme du reportage, puisque c’est bien au contexte historique qui s’ébroue en filigrane que l’auteur s’intéresse.
Avec sa caméra scalpel d’homme de la réalité, il porte un regard sans concession sur le système gangrené par la corruption, un état policier étroitement lié aux affaires, une nébuleuse opaque, abjecte, de sexe, de drogue et de sang, dans lequel le cinéaste propulse le spectateur occidental, choqué en 2017 pour de petites histoires de piston, au coeur de l’Assemblée nationale. Un autre monde.
La peinture de l’Egypte au début de la décennie 2010, est celle d’une caricature de justice, où l’on se débarrasse éhontément des témoins gênants (les dommages collatéraux que représentent les immigrés d’Afrique noire, des parias sans identité qui ne parlent même pas la langue). Le réalisateur y révèle des petits arrangements entre meurtriers et complices que sont les grands représentants de l’état, flics, voyous et politiciens véreux.
Le twist final, particulièrement effarant de noirceur, opère le déminage de tout un système où la culture elle-même, et par ailleurs la femme, utilisée, abusée, bafouée, et, in fine, éliminée, sont exposées. L’auteur déboulonne tout un système macho-mafieux avec un savoir-faire épatant, dans un genre codé, le polar, peu éloigné dans son efficacité des classiques américains (narration, suspense). Mais ce qui octroie une identité singulière à ce bain en eaux troubles, c’est bien le rôle important donné à la cité, véritable métaphore des crispations humaines, sociales et religieuses. La terrifiante capitale en effervescence, entre quartiers chics et taudis pour réfugiés, se fait l’enceinte de contrastes insupportables. Son instabilité, sa véhémence mènent aux remous d’une population échaudée, d’une jeunesse cultivée en quête d’éveil, et d’une partie des classes populaires qui courbe l’échine face à la toute puissance des nantis.
Une révolution à la tentation de violence naît sous nos yeux, lors d’une séquence admirable, mariant la fumée des échauffourées à celle des flingues de la répression de l’état, s’inscrivant dans une logique filée de l’image de la cigarette et de sa fumée, omniprésente dans cette citadelle invivable où le cancer de la rancœur se métastasait depuis longtemps dans ses quartiers.
Attention, talent à suivre !
EN CONCLUSION : Lauréat du Grand prix du Festival du film policier de Beaune, «Le Caire Confidentiel» de Tarik Saleh a son charme, principalement grâce à son atmosphère et à son cadre – la ville du Caire juste avant la révolution de 2011, grouillante de vie et de colère, avec une police plus corrompue tu meurs et une faune interlope que ne renierait pas le Los Angeles des années 50. Le scénario est faussement alambiqué mais on suit avec une certaine jubilation la traque de l’assassin d’une chanteuse de cabaret.
Réalisateur suédois d’origine égyptienne, passé par le graffiti et le cinéma d’animation (l’inédit «Metropia»), Tarik Saleh a soigné l’enveloppe mais a un peu oublié de soigner les finitions de son récit, avec un côté «ah tiens, tout le monde se croise sur cinq mètres carrés alors que la ville est immense», qui peut agacer le spectateur rompu aux polars à la mécanique narrative parfaite. Brute épaisse avec un coeur qui se met à battre à nouveau, Farès Farès («Les Enquêtes du Département V») impose sa gueule et son physique alors que Slimane Dazi («Les Parisiens») est bien sûr parfait dans le rôle du tueur patibulaire.