ÔTEZ-MOI D’UN DOUTE
- Réalisation : Carine Tardieu
- Scénario : Carine Tardieu, Raphaële Moussafir, Michel Leclerc, Baya Kasmi
- Image : Pierre Cottereau
- Décors : Jean-Marc Tran Tan Ba
- Costumes : Isabelle Pannetier
- Montage : Christel Dewynter
- Musique : Éric Slabiak
- Producteur(s) : Antoine Rein, Fabrice Goldstein
- Production : Karé Productions
- Interprétation : François Damiens (Erwan), Cécile de France (Anna), André Wilms (Joseph), Guy Marchand (le père d’Erwan)…
- Distributeur : SND
- Date de sortie : 6 septembre 2017
- Durée : 1h40
Une comédie d’auteur attachante sur la fragilité des liens familiaux. Carine Tardieu réussit une œuvre sans doute mineure mais bien supérieure à la moyenne des productions hexagonales optant pour le même genre.

Erwan, inébranlable démineur breton, perd soudain pied lorsqu’il apprend que son père n’est pas son père. Malgré toute la tendresse qu’il éprouve pour l’homme qui l’a élevé, Erwan enquête discrètement et retrouve son géniteur : Joseph, un vieil homme des plus attachants, pour qui il se prend d’affection. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, Erwan croise en chemin l’insaisissable Anna, qu’il entreprend de séduire. Mais un jour qu’il rend visite à Joseph, Erwan réalise qu’Anna n’est rien de moins que sa demi-sœur. Une bombe d’autant plus difficile à désamorcer que son père d’adoption soupçonne désormais Erwan de lui cacher quelque chose…
Carine Tardieu était déjà l’auteure de deux comédies décalées, La Tête de maman et Du vent dans mes mollets, qui révélaient un vrai talent d’écriture, et un sens aigu de la direction d’acteurs. Pour la seconde fois, elle a collaboré pour le scénario avec Michel Leclerc, réalisateur des subtils Le Nom des genset La Vie très privée de Monsieur Sim, dont on peut penser que la griffe incisive et sensible ont été un atout. Le mérite d’Ôtez-moi d’un doute est de peindre une belle galerie de personnages, sans lourdeur dans l’ancrage sociologique, les statuts socioprofessionnels d’Erwan, Anna et les autres ayant pour fonction de donner un cadre réaliste à une comédie des sentiments par ailleurs « inspirée de faits réels », alibi naturaliste trop souvent avancé par des scénaristes et affichistes en mal d’inspiration, ce qui n’est pas le cas ici.
Démineur réputé et respecté, Erwan est aussi celui qui y ira fouiller jusqu’au plus profond de ses sentiments. Car s’il tient à garantir un semblant de normalité sociale à sa fille, future mère célibataire dégagée de tout carcan, il n’hésitera pas pour lui-même à opter pour deux paternités, l’une adoptive et l’autre biologique, quitte à glisser sur la piste savonneuse des penchants incestueux. À cet égard, le film offre un suspense plutôt osé. On pourra par contre regretter que Carine Tardieu peine à trouver un équilibre entre son souhait de défendre un idéal de famille en liberté et une certaine mièvrerie dans la nostalgie des valeurs rurales et d’un communautarisme convivial.
La cinéaste abuse en outre des mots d’auteur, un péché mignon qu’elle compense par un sens du rythme appréciable, dans la lignée des comédies de Philippe de Broca ou Francis Veber. Et sa distribution est un véritable régal. Autour du « couple » formé par François Damiens et Cécile de France, le casting est sans failles, avec une mention pour les vétérans Guy Marchand et André Wilms dans les rôles des deux grands-pères, ainsi qu’Anna Gaylor, irrésistible en vieille patiente victime de la théorie du complot.
L’ANALYSE
Tout, dans Ôtez-moi d’un doute, le troisième long-métrage de Carine Tardieu (La Tête de Maman, Du vent dans mes mollets), transpire le désir d’être aimable. C’est l’essence-même du « feel good movie » : que le spectateur en ressorte léger et guilleret, délesté de la pesanteur de son quotidien, après avoir vu un film qui parle de gens comme vous et moi. L’ambition est louable et généreuse, quoiqu’un peu limitée sur le plan cinématographique. Du cinéma comme antidépresseur ? Tout dépend d’où l’on se positionne. Au casting, deux têtes d’affiche au capital sympathie indiscutable (François Damiens et Cécile de France), épaulées par de solides seconds rôles (André Wilms et Guy Marchand), servent une comédie dramatique, donc à la fois légère (sur la forme) et profonde (sur le fond). Tous les ingrédients sont là, sauf un : le style.
Puits sans fond
Ce qui fait cruellement défaut à Ôtez-moi d’un doute, c’est bien ce qui le distinguerait du tout-venant de la production audiovisuelle, ou plus précisément d’une forme de production que l’on croise régulièrement sur les chaînes de télévision : le téléfilm rassembleur, destiné à remplir les cases de première partie de soirée. Des divertissements honnêtes et bien produits, qui se contentent hélas bien souvent d’illustrer platement un scénario à grands renforts de champs-contrechamps et d’une lumière douce et confortable. Le film de Carine Tardieu obéit sagement à ce cahier des charges en évitant très soigneusement de se poser des questions qui fâchent.
La première est une question de fond. Le film repose entièrement sur un double postulat : le personnage interprété par François Damiens, dont la fille est enceinte d’un homme dont elle refuse de donner le nom, découvre que son propre père (Guy Marchand) n’est pas le sien. Il décide de retrouver son géniteur et le découvre tout près de chez lui (sous les traits d’André Wilms). Dans le même temps, il tombe amoureux d’une jeune femme (Cécile de France) avant de découvrir qu’elle est la fille de son père biologique… et pourrait donc être sa sœur. La fantaisie déployée par le scénario (quiproquos, malentendus, chausse-trappes et portes qui claquent) repose sur l’héritage de la comédie de boulevard, à laquelle il conviendrait d’insuffler du trouble, une forme d’ambiguïté pour l’élever au-delà de l’humour pantouflard qui la caractérise.
Défaut de forme
Avec un sujet pareil, Carine Tardieu aurait pu jouer avec les conventions pour faire dérailler sa comédie et l’emmener tutoyer les limites. Mais le potentiel malaise provoqué par le désir incestueux qui taraude le héros se résume à une poignée de gags polis et archi-prévisibles, qui sentent plus le pop-corn que le souffre. Plus réussies, mais moins périlleuses, les scènes qui réunissent le personnage principal et ses deux pères incarnent le versant plus mélo du film.
Guy Marchand et André Wilms, parfaits de bout en bout, insufflent à leurs scènes la fragilité qui fait défaut à Damiens et emmènent Ôtez-moi d’un doute vers une mélancolie réellement émouvante. Elles offrent au film des petits moments de respiration bienvenus, au milieu d’un méli-mélo de genres qui s’entrechoquent sans jamais convaincre : humour de boulevard et mélo, donc, mais également burlesque pur (à travers un personnage de stagiaire benêt qui rappelle l’humour poids-lourd des Charlots) et comédie de mœurs poussive (toutes les scènes entre le héros et sa fille enceinte).
L’autre grand problème d’Ôtez-moi d’un doute, c’est la forme. Le patchwork narratif auquel aspire Tardieu exige un sens du rythme infaillible, une vraie finesse dans la composition des plans et une cohérence visuelle dont tout le film est dépourvu. L’alchimie évidente entre Damiens et Cécile de France est plombée par une absence totale d’idées de mise en scène : leurs efforts apparents pour élever leurs scènes communes vers la sophistication de la comédie classique hollywoodienne tombent bien souvent à plat. Ôtez-moi d’un doute vise le doux confort du succès populaire (ce qu’il sera, sans nul doute) mais de façon si schématique et paresseuse qu’il ne procure qu’une sensation d’anesthésie.
6/10