Bravely Default 2 de Shunsuke Iwami
Date de sortie : 26 février 2021
Développeur : Claytechworks et Team Asano
Réalisateur : Shunsuke Iwami
Genre : J-RPG
Nationalité : Japonais
Compositeur : Revo
Disponible sur : Nintendo Switch
Grandeurs et lourdeurs du J-RPG.
Bravely Default est un nom qui résonne aux oreilles de bon nombres de fans de jeux de roles japonais grâce à son premier opus qui a su se faire remarquer en 2012 sur Nintendo 3DS. Nous avions là un RPG intelligent, exigeant qui avait su jouer avec les codes old school inhérents au genre tout en dessinant les ébauches de ses propres codes pour délivrer une histoire intéressante et un système de combat très ingénieux. Après un spin-off qui ne se sera pas beaucoup fait remarquer, la licence revient sur la nouvelle console de Nintendo avec l’objectif de tirer profit du succès stratosphérique de la Switch, afin de toucher un public beaucoup plus large grâce à ce Bravely Default 2. L’objectif est clair, commencer à se montrer comme un incontournable du genre et montrer au grand public que le jeu de role japonais ne se résume pas à Final Fantasy et Dragon Quest. Toutefois, sous ses allures enfantines, le jeu, de part ses mécaniques complexe, ne sera pas forcément à la portée du premier joueur venu dans l’univers du J-RPG.
L’innovation au service de la tradition.
Je ne vous apprendrais rien mais dans le jeu video, comme dans le cinéma, chaque genre à des codes qui lui le définisse et l’une des taches les plus compliquées pour un studio de développement est de réussir à s’inscrire dans un respect de ces traditions tout en proposant de l’innovation. Soyons honnête, cela n’intéresse personne de jouer un nombre incalculable de variations même jeu juste pour ressentir la forme de plaisir qui peut nous traverser la tête quand on pose ses mains sur un jeu d’un genre que l’on affectionne. Bien souvent, le premier épisode d’une nouvelle licence fait souvent figure de croquis, d’ébauche des futurs possibilités que une licence peut prétendre à proposer. Cette saga n’échappe pas à ce constat et Bravely Default 2 s’impose comme le digne héritier du premier opus en poussant ses qualités plus loin et en corrigeant certains défauts qui avaient pu parasiter l’expérience des joueurs à cause d’une seconde moitié de l’aventure particulièrement longue et redondante. Ce nouvel opus est un mariage assez convainquant entre la volonté d’innover et le respect des codes classiques, j’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit d’une belle déclaration d’amour au genre du J-RPG qui tend malheureusement à se faire beaucoup plus mineur ces dernières années.
Classique, Bravely Default 2 l’est dans son postulat de base. Nous incarnons Seth, un marin qui a survécu à naufrage et qui se fait sauver par Gloria et Messire Sloane qui se révèlent être, respectivement, une princesse déchue de son royaume et son fidèle vieux protecteur. Seth se retrouve par hasard embrigadé dans une aventure qui le dépasse et dont l’avenir du monde dépend. Rapidement ils seront rejoints par Elvis, un magicien incroyablement sur de lui et plaisantin, ainsi que par Adèle, une mercenaire mystérieuse au tempérament de feu. Nous avons tous vu ce postulat de base des dizaines de fois dans des oeuvres diverses et variées. Cela n’a rien d’étonnant car cela s’inscrit parfaitement dans l’idée du monomythe que Joseph Campbell a rendu incroyablement populaire auprès des scénaristes modernes grâce à son livre Le héros aux milles visages. George Lucas s’en est par exemple énormément inspiré pour raconter l’histoire de la saga Star Wars. Grosso modo, tous les mythes du monde racontent essentiellement la même histoire, dont ils ne seraient que des variations au sein desquelles nous suivons un homme ordinaire qui se retrouve plongé, malgré lui, dans une aventure extraordinaire. Ne prenons donc pas peur en commençant le jeu face au classicisme de l’histoire car son scénario est l’une de ses grandes forces, notamment grâce à un rythme de narration plus soutenu que dans bien d’autres jeux du même genre car il va directement à l’essentiel et ne nous fait pas passer par des péripéties inutiles au bon déroulé de l’aventure. Il faut également souligner que la majorité des antagonistes sont plutôt bien développés et nuancés. Certains seront même vu sous un jour nouveau grâce à certaines quêtes annexes montrant personne n’est entièrement mauvais.
L’autre force de cet opus est son gameplay, plus précisément son système de combat qui est particulièrement riche. Étant donné que le système de combat est un système de tour par tour, le jeu fait donc la part belle à la stratégie. Croyez moi, il vous faudra réfléchir à vos approches contre les boss si vous souhaitez arriver au bout de l’aventure. Augmenter votre personnage de niveau en lui mettant de bons équipements ne vous sera pas d’une grande aide si vous vous cantonner à la même classe de compétences pour vos personnages du début à la fin. Au début du jeu, seule une poignée de ces classes sont disponibles. Comme dans le premier opus, c’est en venant à bout de boss afin de récupérer de nouveaux astérisques que le groupe d’aventuriers débloque de nouvelles classes. Chaque personnage peut se voir attribuer deux classes en même temps : une classe principale et une classe secondaire. C’est la classe principale qui définira les caractéristiques principales du personnage et son équipement préférentiel. La classe secondaire fait donc ici office de soutien : en plus d’avoir une influence minime sur les caractéristiques, elle permet l’utilisation des capacités qui lui sont propres. C’est là que la grande richesse du gameplay se trouve car une infinité de combinaisons de classes est alors offerte au joueur qui devra trouver les associations les plus pertinentes, tout en gardant à l’idée que toutes les classes doivent être plus ou moins développées pour ne pas se trouver coincé face à un boss particulièrement retord.
Le second aspect du système de combat qui font de Bravely Default 2 plus qu’un simple jeu de tour par tour est la mécaniques des commandes Brave et Default qui était déjà présente sur le premier opus. Tous les membres de l’équipe ont accès à ces deux commandes, indépendamment des classes dont ils ont été affublés. La commande Brave permet au joueur d’utiliser plusieurs tours d’attaques au même moment afin d’enchainer plusieurs actions dans l’optique de prendre le dessus sur son adversaire. La commande Default permet à l’aventurier de charger des tours d’attaques, tout en prenant une posture défensive afin de réduire les dégâts reçus, dans le but de maximiser l’efficacité de la commande Brave. D’emblée, Bravely Default 2 se présente comme un jeu infiniment plus complexe et intéressant que nombre de J-RPG. Toutefois, et c’est ce qui empêche à mes yeux d’en faire un grand jeu maitrisé, la difficulté du titre est incroyablement mal dosée et équilibrée. Durant la majeure partie du jeu vous allez écraser, sans la moindre difficulté, tous les monstres et ennemis basiques qui se dresseront devant vous. Vous ne ferrez même qu’une bouchée de certains boss. Cependant, vous tomberez parfois également sur un pique de difficulté soudain, devant gérer des boss avec un nombre de points de vie gargantuesque et capable d’annihiler votre équipe en un seul tour d’attaque si l’envie leur prend. Pour être tout à fait honnête, ce manque d’équilibre, forçant le joueur à s’adonner à de longues sessions de farming afin de surbooster ses personnages, pourrait bien pousser plus d’un joueur à abandonner l’aventure avant son terme. Pour ce qui est de l’équilibrage de la difficulté Bravely Default 2 est à des années lumières de certains ténors du genre tel que Final Fantasy.
Techniquement moche mais artistiquement enchanteur.
On ne se mentira pas, Bravely Default 2 n’est pas une claque graphique, loin de là. La Nintendo Switch n’est pas un monstre de puissance mais elle est capable de proposer des jeux visuellement bien plus ambitieux que cela. À bien des égards, cet opus ressemble parfois à un jeu qui a été pensé pour la Nintendo 3DS avant d’être transposé sur la Switch qui fait office de console de salon et portable unique pour l’entreprise japonaise désormais. Les limites techniques du jeu sautent aux yeux sur la carte du monde sur laquelle nous pouvons nous balader librement pour passer d’une ville à l’autre. Les textures y sont baveuses et peu détaillées. La végétation nous rappelle certains jeux de l’ère PS2, ca grouille d’aliasing et certains éléments de décors ainsi que des monstres apparaissent brusquement et disparaissent si on s’éloigne trop. De plus, dès que un modèle 3D apparait à l’écran, il est affublé d’un effet de brillance qui sautille dès que l’on bouge la caméra. Rien de fondamentalement dérangeant dans l’absolu, on regrettera cependant que le jeu ne soit pas d’une extraordinaire fluidité avec quelque chutes de framerate dans les environnements les plus grands et lors de l’entame de certains combats où l’écran semble se figer une micro seconde, provoquant parfois la peur de voir la console se planter subitement.
Toutefois il y a un élément, pas des moindres, qui vient sauver l’aspect général du jeu, le rendant même beau à de nombreuses occasions: Je parle évidemment de sa direction artistique qui est tout simplement somptueuse. Ce second opus reste fidèle à la patte instaurée par le premier opus et garde le parti pris de présenter les villes sous forme d’artwork en 2D. Le résultat est tout simplement saisissant, offrant ainsi au joueur des décors incroyables et des villes somptueuses qui se distinguent toutes les unes des autres. Il est ainsi visuellement plaisant de se balader dans ses villes sous formes de tableaux et de contrôler nos personnages en 3D, au design chibi, qui s’inscrivent parfaitement dans la direction artistiques des cités qui font le monde de Bravely Default 2. Les donjons ne sont pas non plus en reste et sont parfaitement modélisés grâce à cet effet planche à dessin et arrivent à installer une ambiance prenante, encourageant le désir d’exploration dans ces zones potentiellement dangereuses. Les animations lors des combats sont plutôt agréables à l’oeil, en particulier lors des attaques spéciales, même si on pourra toujours regretter un coté un peu statique. Bien que la majorité des dialogues entre personnages sont figés comme dans un visual novel, le jeu se permet également d’offrir quelque rares véritable scènes cinématiques entièrement animées qui offrent de beaux moments de bravoures et d’émotions.
La musique est sans aucun doute ce qui contribue le plus au coté enchanteur et captivant du monde de Bravely Default 2. Elle est signée par l’incroyable compositeur Revo, qui avait déjà officié sur le premier opus de la série, mais qui est surtout à l’origine des incroyables musiques d’ouverture Guren no Yumiya, Jiyuu no Tsubasa et Shinzou wo Sasageyo! de la célèbre série animée L’Attaque Des Titans. C’est simple, aucun morceau de la bande son n’est à mettre à la poubelle. Bien sur, tous ne sont pas mémorables et je ne dis pas que vous serez capable de tous les chantonner mais certains d’entre eux font véritablement mouche et resteront dans vos têtes un petit moment. Je pense notamment aux composition musicales qui accompagnent le déclenchement des attaques spéciales. Chaque personnages à sa propre musicalité, tantôt jazzy, tantôt hispanique. On sent que le bonhomme a eu une vague d’inspiration venant des Final Fantasy à l’ancienne, cela se ressent notamment lors de certains phases de combats qui sont portées par des musiques terriblement dynamique et guerrière. Le jeu n’oublie pas pour autant d’avoir sa propre identité musicale en proposant dans son dernier arc narratif des morceaux d’une bravoure incroyable. Une nouvelle fois nous avons une magnifiquement partition musicale issue du Japon. Bien que de qualités, les bandes son des jeux occidentaux peine souvent à afficher autant de personnalité que celles de nos amis du pays du soleil levant.
J’ai brièvement abordé l’aspect chibi du chara design des différents personnages. Certes, on a vu plus détaillée comme modélisation mais tous les individus que vous croiserez ne manqueront pas de style. Le quatuor de héros fait d’ailleurs un très bon effet visuel et sonore grâce à d’excellents doublages japonais et anglais. D’ailleurs, pour être plus précis, on est plus en face d’un mixe chibi/semi-réaliste rappelant parfois les grandes heures du chara design super deformed avec ces petits corps portant des têtes dont la grosseur n’est pas vraiment proportionnelle avec le reste du personnage. Ne vous attendez donc pas à lire une palette d’émotions incroyable sur les visages des personnages, nous sommes à des années lumière du remake de Final Fantasy VII de ce point de vue là, cependant les quelques animations minimaliste et le doublage de qualité suffisent largement à vous plonger émotionnellement dans l’aventure et à faire preuve d’empathie avec les ressentis de chacun d’entre eux. Vous prendrez un grand plaisir à suivre ce groupe dont les péripéties seront très souvent rythmées par Elvis, notre gentleman porté sur la boisson et les blagues étranges.
Bravely Default 2 n’est pas un jeu marquant dont on parlera encore avec passion, les yeux brillants d’admirations dans quinze ans mais il reste un très bon jeu qui mérite que vous lui accordiez votre temps. Il fait coexister de manière très intelligentes les codes du J-RPG à l’ancienne tout en y apportant une touche que vous ne verrez dans aucun autre représentant du genre. De la même manière qu’il fait cohabiter la prise de risque et la prudence lors de ses combats avec son système de Brave & Default. Bien que il soit totalement accessible à ceux qui ne connaissent pas du tout la licence car il n’a aucun lien avec les épisodes déjà sortis, il reste à observer sur le temps long si il saura vraiment s’ouvrir à un public plus large. Outre sa difficulté mal équilibrée, le jeu s’adresse surtout à ceux qui aiment le J-RPG et pourraient regretter cette époque où nous étions abreuvés en abondance de grands jeux de rôle japonais. Sous bien des aspects, Bravely Default 2 à des allures de madeleine de Proust et évoque un autre âge du jeu video que beaucoup d’entre nous ont connu étant plus jeunes. Toutefois, avec ses spécificités et son supplément d’âme qui se dégage des lieux visités ainsi que des musiques il me paraît difficile de bouder cette production de Shunsuke Iwami. Insérez la cartouche dans votre Switch, ou téléchargez simplement la démo, les notes de musiques envoutantes et épiques du menu principal se chargeront de vous mettre le grappin dessus afin de vous plonger dans cette très belle aventure qui saura vous occuper plus d’une cinquantaine d’heures. La Switch peut se targuer d’être la seule console à offrir fréquemment d’excellent J-RPG. Rien que pour cela c’est un grand oui. Toutefois, rappelez vous que il s’agit d’une expérience exigeante dans laquelle il faudra vous investir pleinement sinon la frustration de ces longues heures de farming aura raison de vous.