BORG/MCENROE
Enfin une rivalité épique sur le milieu tennistique au cinéma. Le film fait aisément le break grâce à une réalisation efficace retranscrivant parfaitement les esprits torturés de deux grands champions entièrement dévoués à leur sport.
Réalisation : Janus Metz
Scénario : Ronnie Sandahl
Image : Niels Thastum
Production : Tre Vänner Produktion AB, SF Studios
Interprétation : Sverrir Guðnason (Björn Borg), Shia LaBeouf (John McEnroe), Stellan Skarsgård (Lennart Bergelin), Tuva Novotny (Mariana Simionescu), Ian Blackman (John McEnroe Sr), Robert Emms (Vitas Gerulaitis), Scott Arthur (Peter Fleming)…
Distributeur : Pretty Pictures
Date de sortie : 8 novembre 2017
Durée : 1h48
Un film sur l’une des plus grandes icônes du monde sportif, Björn Borg, et son principal rival, le jeune et talentueux John McEnroe, ainsi que sur leur duel légendaire durant le tournoi de Wimbledon de 1980. C’est l’histoire de deux hommes qui ont changé la face du tennis et sont entrés dans la légende, mais aussi du prix qu’ils ont dû payer.
Le monde du tennis est en effervescence dans les salles obscures en 2017, avec Battle of the sexes et une autre histoire vraie sur un duel culte de la balle jaune, entre Björn Borg et McEnroe. Les spécialistes attendaient avec impatience l’arrivée au cinéma de cette rivalité passionnante des années 80 entre le Suédois et l’Américain revèche. Le réalisateur Janus Metz a exaucé ce vœu en signant son second long métrage, sept ans après Armadillo qui lui avait valu le Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes.
Le récit se concentre ici sur la finale de Wimbledon 1980 qui marque un point de césure crucial dans la carrière des deux hommes. La montée en puissance du jeune prodige McEnroe face à la fin d’un règne sans partage sur le tennis mondial du champion suédois, en proie à des doutes grandissants. Le réalisateur arrive à saisir toute la dimension psychologique de cette bataille de pouvoir entre les deux protagonistes. Les plans, souvent très serrés sur les personnages, permettent une immersion totale dans la complexité émotionnelle à laquelle sont confrontés les deux joueurs ainsi que leurs proches.
Le spectateur peut aisément se rendre compte des sacrifices d’une vie qu’un champion se doit de concéder pour atteindre le plus haut niveau. Le moins que l’on puisse dire est que les deux athlètes ne sont pas avares en ambitions, tous deux rongés par le besoin de victoires, par la peur maladive de la défaite, tout en ayant deux styles radicalement opposés pour ce qui est d’exorciser leurs démons.
Metz s’emploie, avec finesse, à démontrer les travers d’athlètes qu’il faut apprendre à gérer, avec l’art et la manière. Quelques flashbacks sur leur enfance révèlent alors les failles mais surtout les raisons qui les pousseront à devenir les deux géants que l’on connaît. Un choc des cultures et d’éducation qui va nous mener à savourer la collision entre la froideur nordiste issue d’une famille modeste et la fougue d’outre-Atlantique, venant de la haute bourgeoisie. Une évolution inversée que l’on va suivre tout au long du film jusqu’à cet affrontement ultime, en 1980, en terre britannique, qui va changer à tout jamais leurs destins.
Ce match épique, censé conclure en apothéose le récit, peut toutefois donner la migraine, par son incroyable succession de plans, peut-être trop nombreux, et ses images pas toujours très réalistes, en particulier pour les aficionados de tennis. Il est vrai qu’il est très compliqué de faire vivre de manière optimale un match de tennis aussi intense lorsque les acteurs ne jouent pas eux-mêmes à ce sport. Il est alors indispensable d’user de stratagèmes parfois un peu poussifs pour arriver à atteindre le plus grand réalisme. Cependant ce léger bémol ne suffit pas à nous faire décrocher tant l’intensité du film demeure jusqu’à la fin.
Tout ceci ne serait pas possible sans le travail remarquable des acteurs. Sverrir Gudnason est troublant dans son interprétation acerbe du suédois, alors que Shia Labeouf joue à la perfection les différentes facettes de l’extravagant américain. En ce qui concerne les seconds rôles, Stellan Skarsgård bouleverse en mentor bienveillant et Tuva Novotny est touchante en femme discrète du guerrier impassible venu du nord. La distribution arrive à transmettre les émotions contradictoires que le metteur en scène veut avancer autour de cet univers impitoyable qu’est le sport individuel de haut niveau.
Sous ses allures de biopic passe-partout sur la vie de deux figures emblématiques des années 80, ce regard sportif va puiser dans la psychologie de ses personnages toute la force de son propos. La passion d’une vie mêlée à la quête effrénée du succès, tout en passant par le besoin d’accomplissement de soi. Jeu, set et match pour cette fresque tennistique captivante dont le sujet reste peu exploité au cinéma. À quand un film Federer/Nadal ?
8,5/10
L’ANALYSE
En 1980, le tennis est roi et Wimbledon est le royaume où le Suédois Björn Borg règne sans partage. À seulement 24 ans, le joueur a déjà remporté le tournoi sur gazon à quatre reprises (en plus de ses cinq victoires à Roland-Garros) et s’apprête à remettre son titre en jeu une cinquième fois.
Rien ne semble pouvoir arrêter le jeune athlète, aussi discret et impassible que ses fans (essentiellement féminines) sont hystériques à chacune de ses apparitions. Adulé par les médias, Borg est le Yin et l’Américain John McEnroe est le Yang. On ne peut pas faire plus opposé que ces deux-là, tant dans le jeu que dans l’attitude. McEnroe, 21 ans, est l’étoile montante du tennis, celui que le monde entier adore détester.
Impulsif, colérique, arrogant, incontrôlable, McEnroe joue comme un dieu mais ses frasques sur les courts (il insulte copieusement à chacun de ses matchs les arbitres et le public) en font une personnalité controversée. Si Borg bénéficie d’un traitement de rock-star partout où il se déplace, McEnroe en a l’attitude. Et l’assurance effrontée : avant même le début du tournoi, il décrète qu’il renversera Borg de son trône, et les médias, trop heureux d’entretenir une juteuse querelle de champions, se délectent de rajouter de l’huile sur le feu.
La finale de Wimbledon 1980 verra effectivement s’affronter les deux joueurs, pour ce qui restera comme l’une des rencontres sportives les plus mythiques de l’histoire. Le réalisateur suédois Janus Metz tire de ce match (et des semaines qui le précèdent) un film rondement mené, qui parvient à captiver et à maintenir de bout en bout une vraie tension, même si l’on en connaît l’issue.
Le chemin pour y parvenir est parfois cousu de fil blanc : on se serait bien passé des nombreux flash-backs sur l’enfance des deux joueurs, visant à expliquer via un cheminement par trop simpliste leurs caractères respectifs – Borg le psycho-rigide a appris à canaliser son tempérament colérique et McEnroe le vilain petit canard a souffert de l’insatisfaction chronique de ses parents à son égard.
Et il faut faire abstraction de certains parti-pris esthétiques (tons sépias pour faire vintage comme si le film entier se déroulait en une succession de clichés sur Instagram, fausses images Super-8 pour la touche « souvenirs d’enfance »…) afin de se concentrer sur l’étonnante relation qui unit ces deux joueurs farouchement opposés, que le cinéaste prend soin de ne jamais confronter avant le fameux match final.
Car si Borg est le « héros » de ce film suédois qui prend fait et cause pour la fierté nationale, Janus Metz parvient à déconstruire un peu le double mythe qui consiste grossièrement à faire du Suédois un maître zen et de l’Américain un petit con arrogant (les deux acteurs, au-delà du génie du casting, sont parfaits dans leurs rôles respectifs).
Le calme apparent de Borg est ici présenté comme un écran de fumée visant à dissimuler une angoisse pathologique dont son entourage fait les frais, de sa future épouse à son entraîneur. Borg ne crie pas, ne gesticule pas, mais son comportement est tout aussi éprouvant pour ses proches que la fureur inoxydable de son concurrent. Lequel, même s’il aurait mérité ici d’être un peu plus développé, n’est pas réduit à une grossière caricature.
John McEnroe canalise son stress dans des accès de colère qui, s’ils sont souvent inexcusables, trouvent aussi leur source dans une pression insoutenable, qu’elle vienne de son entourage ou surtout des médias, qui préfèrent lui parler de son tempérament ou de son rival que de son jeu.
Le film est ainsi entièrement construit autour de la dualité de son titre, les deux joueurs étant les deux visages de ce qui pourrait en somme être le prototype du tennisman parfait, jusque dans leurs jeux radicalement opposés qui complètent la schizophrénie de l’un et l’autre : Borg le calme tape la balle en fond de court comme un bûcheron abat un arbre, quand le tennis de McEnroe le bourrin monte au filet avec finesse et agilité.
Le film est aussi très beau quand il sous-tend ce que nous savons déjà : qu’au-delà l’issue de ce match historique et de celui qui suivra en 1981, ces deux joueurs que tout oppose, rivaux absolus sur les courts pendant une brève et belle période de l’histoire du sport qui les fera rentrer dans la légende, les deux hommes deviendront par la suite des amis très proches tout au long de leur vie.
Janus Metz s’en rappelle tout au long de la scène de la finale, qui occupe le dernier tiers du film : d’une efficacité redoutable par son montage (que l’on en connaisse ou pas l’issue, le suspense est insoutenable), la scène parvient aussi à montrer, avec subtilité, ce qui se joue pour chacun des deux joueurs : le dépassement de soi pour entrer dans l’histoire du sport (pour Borg), la capacité à transformer son jeu et même sa propre image en un seul match (McEnroe) et, au-delà, la naissance d’une amitié indéfectible entre les deux hommes, ce jour-là, sur le court, sous les yeux du monde entier.
Le réalisateur imagine par la suite une scène de rencontre entre les deux joueurs à l’aéroport, drôle et émouvante, mais finalement inutile : tout s’est joué sur le gazon de Wimbledon, tant pour la légende du sport que pour ces deux personnalités que tout opposait et qui auront trouvé ce jour-là, à rebours de la rivalité entretenue par les médias, une étonnante complicité.
8,5/10