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Sur une trame assez fidèle au roman de Stephen King, une adaptation sympathique, toutefois loin de l’œuvre cauchemardesque, perverse, et même mystique, que ce long-métrage a édulcorée.

Réalisation : Andrés Muschietti
Scénario : Chase Palmer, Cary Fukunaga, Gary Dauberman
d’après : le roman Ça
de : Stephen King
Image : Chung Chung-hoon
Décors : Claude Paré
Costumes : Janie Bryant
Montage : Jason Ballantine
Musique : Benjamin Wallfisch
Interprétation : Bill Skarsgård (Pennywise), Jaeden Lieberher (Bill Denbrough), Finn Wolfhard (Richie Tozier), Jack Dylan Grazer (Eddie Kaspbrak), Sophia Lillis (Beverly Marsh), Jeremy Ray Taylor (Ben Hanscom), Wyatt Oleff (Stanley Uris), Chosen Jacobs (Mike Hanlon)…
Date de sortie : 20 septembre 2017
Durée : 2h15

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Plusieurs disparitions d’enfants sont signalées dans la petite ville de Derry, dans le Maine. Au même moment, une bande d’adolescents doit affronter un clown maléfique et tueur, du nom de Pennywise, qui sévit depuis des siècles. Ils vont connaître leur plus grande terreur…

Est-il encore nécessaire de présenter ce cher Stephen King ? Après (déjà !) quarante ans d’adaptations filmiques de ses romans, dans des qualités plus que diverses (le fiasco de La Tour Sombre ne date que de quelques semaines), il est inutile d’avoir jamais ouvert le moindre d’entre eux pour que son univers fantastique ait imprégné notre imaginaire. Parmi les réalisations qui ont le mieux imprégné la culture populaire, on peut aisément citer Shining, et le légendaire pétage de plomb de Jack Nicholson, et le téléfilm Ça de 1990.

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Si celui-ci, avec le recul, n’avait pas une réalisation mémorable, son succès ne reposait que sur un seul et unique élément, la prestation de Tim Curry qui transcendait tout le degré de perversité du roman. C’est ceci qui fit de ce clown maléfique un « boogeyman » effrayant, dans la lignée des grands monstres du bestiaire du 7e Art.
La question que se sont assurément posée, même inconsciemment, tous les anciens enfants traumatisés par cette créature, en apprenant qu’Andres Muschietti préparait une nouvelle adaptation du roman, était de savoir si le réalisateur de Mama allait lui-aussi bâtir son regard sur la figure cauchemardesque de Grippe-Sou. La comparaison avec le téléfilm de Tommy Lee Wallace, s’arrête là puisqu’il apparaît rapidement que ce n’est pas le cas.

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Celui qui avait si bien réussi à filmer la terreur enfantine dans Mama fait cette fois un choix radicalement opposé. La première difficulté à laquelle se sont frottés les scénaristes (dont les plus célèbres sont, rappelons-le, Cary Fukunaga, connu pour son travail sur la première saison de True Detective, et Gary Dauberman, connu pour avoir écrit Annabelle et sa suite) est le temps qui s’est passé depuis la publication. Celui-ci se basait sur une double chronologie, le « présent » (1985), et le « passé » (1958). Aujourd’hui, les années 80 sont devenues le passé. Oubliant le schéma non-linéaire originel, cette relecture de Ça s’axe donc sur les souvenirs d’adultes modernes (que nous ne verrons que dans la suite) en 1988. Tant pis pour les années 50.

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La grande idée de Muschietti a été de filmer ce récit en se calquant sur les films fantastiques que regardaient ses jeunes héros à l’époque. Certains sont même nommément cités à l’écran : Gremlins, Bettlejuice, Les griffes de la nuit… Sa mise en scène est donc ultra-référencée, notamment d’ailleurs à une autre adaptation de Stephen King, Stand by Me, un modèle non pas en termes d’épouvante mais dans la reconstitution des relations entre gamins. Son idée est bonne… mais arrive un an après Stranger Things. Et là, en revanche, la comparaison est inévitable, d’autant que personne ne nous fera croire que le film ne s’inspire pas de la série, puisqu’il va même jusqu’à en reprendre l’un des principaux acteurs.

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Le recyclage des gimmicks propres aux productions Amblin est – depuis Super 8 en fait ! – devenu un véritable effet de mode et en s’y rattachant, Ça n’offre en fin de compte strictement rien d’innovant. L’importance que Muschietti donne à la sympathie au sein de la bande de copains, avec l’adhésion de trois nouveaux parmi eux, l’empêche de les développer de façon individuelle, faisant d’eux d’inévitables stéréotypes. La dynamique de groupe est certes une pure réussite, mais qu’elle se fasse au détriment des apparitions de la créature maléfique, et par extension à la peur ressentie par les enfants quand ils se retrouvent seuls, empêche de rendre le cauchemar communicatif. Or, c’est exactement ce qu’on attendait d’un tel long-métrage.

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Les courtes scènes d’apparition de Grippe-sous ne profitent que de peu d’effets horrifiques réellement marquants, et il ne faut pas compter sur une atmosphère angoissante qui sache nous tenir en haleine du début à la fin. Au contraire, ce film semble n’être que le souvenir un peu naïf que les gamins ont pu garder de l’été de leur première rencontre avec le monstre. Il est donc possible que sa pertinence prenne sens au regard de la suite, et à condition que celle-ci sache profiter d’une mise en scène contemporaine sans trahir l’esprit de ce premier opus (et puisse même revenir sur son happy-end bâclé).

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En attendant, l’événement commercial américain (123M$ en 3 jours, un record pour un film de ce genre) n’est qu’une production standard, preuve supplémentaire de la difficulté d’adapter Stephen King au cinéma, et ce malgré la réputation sulfureuse que le retour du clown avait su se bâtir avant de débarquer sur le grand écran.

 

L’ANALYSE :

Il  est parfois de ces succès cinématographiques qui dépassent les attentes et qui affolent les spécialistes. Pourquoi Ça, adaptation d’un roman culte de Stephen King, déjà transposé en mini-série de piètre qualité dans les années 1980 (mais qui, au gré de ses innombrables diffusions, a traumatisé toute une génération de gamins), cartonne-t-il autant au box office américain ?

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Andrés Muschietti, déjà réalisateur d’une étonnante petite série B horrifique avec Jessica Chastain (Mama) parvient à composer avec un cahier des charges bien rempli et à faire de Ça un peu plus qu’une simple machine à cash. C’est que le réalisateur et ses producteurs ont tiré quelques leçons des échecs de ces dernières années. Les remakes et sequels des classiques de l’horreur des années 1970-1980 se sont succédé sans grand succès (des Griffes de la nuit à Vendredi 13, en passant par Carrie, Evil Dead, Massacre à la tronçonneuse, The Thing ou encore Poltergeist), les adaptations de Stephen King n’inspirent plus grand-monde (voir le tout récent La Tour sombre) et Hollywood produit de l’épouvante à la pelle en oubliant un principe fondamental : faire peur.

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Les gamins aux vélos
Ça est un sympathique hybride, un pur produit habilement marketé qui exploite au maximum la nostalgie pour la mini-série originale (bien plus que pour le livre de King) mais a suffisamment de cœur et de respect pour ses personnages pour ne pas sombrer dans le recyclage cynique et désincarné d’une madeleine pop. Force est de reconnaître que le timing est parfait : six ans après l’hommage de J.J. Abrams à Spielberg (Super 8), les mini-héros en BMX, dignes héritiers des copains de E.T. et des Goonies, sont de retour : de la série Stranger Things (dont on retrouve un des jeunes comédiens ici) aux mômes de Ça, ce sont les mêmes enfants, au seuil de l’adolescence, qui doivent faire face à des forces surnaturelles qui leur veulent du mal. Andrés Muschietti a déplacé l’action du bouquin des années 1950 aux années 1980 : les héros ont donc l’âge des spectateurs de la série lors de sa première diffusion, et les références à la culture pop de l’époque (entre autres : Gremlins, L’Arme fatale, les New Kids on the Block et Molly Ringwald) abondent. L’emballage est parfaitement étudié, à la limite de la saturation ; pourtant dès son impressionnante scène d’ouverture, Ça réussit à convaincre.

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Dans une petite bourgade paisible du fin fond des États-Unis, un jour de pluie, deux enfants jouent. L’aîné a fabriqué un bateau en papier pour son adorable petit frère, qui s’empresse d’enfiler son ciré jaune pour le faire voguer dans le caniveau. Las, le bateau glisse dans une bouche d’égout. L’enfant tente de le récupérer et se retrouve nez à nez avec une présence maléfique, qui a pris l’apparence d’un clown nommé Pennywise (bon courage aux coulrophobes qui tenteront de voir le film : l’interprétation de Bill Skarsgård a de quoi alimenter de nombreux cauchemars).

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La suite est à la fois prévisible et inattendue. L’enfant sera la première victime du monstre, mais la frontalité de la scène, d’une violence aussi sèche que redoutable, sidère parce qu’elle brise un des derniers tabous d’Hollywood : on ne touche pas aux enfants, et si l’histoire l’exige, cela reste hors champ. L’effet produit par la scène évoque, toutes proportions gardées, l’ouverture du premier Scream, où Drew Barrymore, seule star du film, finissait éviscérée et pendue. Andrés Muschietti donne le ton : si vous êtes venus pour avoir votre part de nostalgie, elle risque bien de vous rester en travers de la gorge.

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La fin de l’enfance
La scène est d’autant plus terrible que le réalisateur parvient, en quelques secondes, à rendre crédible l’amour et la tendresse entre les deux frères. La justesse des caractères, la fragilité et l’immédiate sympathie que dégagent l’ensemble des personnages sont l’autre grande réussite du film, qui s’inspire avec succès du Stand by Me de Rob Reiner (autre adaptation culte d’un roman de Stephen King).

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Ça est le récit d’une bande de pré-ados mal dégrossis, mal aimés, chahutés par plus forts qu’eux, peu à l’aise avec ce que le monde leur impose, beaucoup trop tôt et beaucoup trop vite (pêle-mêle : le deuil, l’inceste, le harcèlement, les premiers émois sexuels, la peur de la maladie et de la mort). Le clown Pennywise est rien moins que l’incarnation des terreurs de l’enfance : il n’y a pas vraiment de mystère autour des intentions du vilain croque-mitaine, qui perd peu à peu en intensité après deux premiers tiers réellement terrifiants (le film n’est pas avare en jump scares, les amateurs en auront pour leurs frais).

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C’est un peu dommage : le film fonctionne mieux quand il confronte individuellement ses petits héros aux différentes incarnations du monstre, en une série de scènes de bravoure parfois réellement insoutenables qui font finalement moins penser à un remake de Ça qu’à une nouvelle adaptation des Griffes de la nuit. Mais le scénario se traîne en longueur et, curieusement et malgré toute l’empathie que l’on peut éprouver pour les personnages, le film perd de sa force au moment précis où ses jeunes héros en gagnent. Sans se délecter du plaisir masochiste de voir des enfants se faire brutaliser par un clown sanguinaire, la beauté du film réside moins dans le triomphe de ses jeunes victimes face à l’adversité, que dans les scènes où le démon les oblige à regarder leurs peurs en face.

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Là, dans ses habits rutilants de superproduction hollywoodienne, Ça se coule dans une noirceur asphyxiante, assez peu commune dans un film de ce genre, et parvient à mêler dans le même mouvement les plaisirs innocents du train fantôme et l’angoisse inouïe propre à la mélancolie adolescente. Au-delà de la nostalgie pop et du marketing bien étudié, l’immense succès public de Ça trouve peut-être son explication dans sa capacité à rendre palpable ce malaise universel, entre les éclats de rires et les cris de terreur.

8/10


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Pierre Bryant
Cinéphile depuis mon plus jeune âge, c'est à 8 ans que je suis allé voir mon 1er film en salle : Titanic de James Cameron. Pas étonnant que je sois fan de Léo et Kate Winslet... Je concède ne pas avoir le temps de regarder les séries TV bonne jouer aux jeux vidéos ... Je vois en moyenne 3 films/jour et je dois avouer un penchant pour le cinéma d'auteur et celui que l'on nomme "d'art et essai"... Le Festival de Cannes est mon oxygène. Il m'alimente, me cultive, me passionne, m'émerveille, me fait voyager, pleurer, rire, sourire, frissonner, aimer, détester, adorer, me passionner pour la vie, les gens et les cultures qui y sont représentées que ce soit par le biais de la sélection officielle en compétition, hors compétition, la semaine de la critique, La Quinzaine des réalisateurs, la section Un certain regard, les séances spéciales et de minuit ... environ 200 chef-d'œuvres venant des 4 coins du monde pour combler tous nos sens durant 2 semaines... Pour ma part je suis un fan absolu de Woody Allen, Xavier Dolan ou Nicolas Winding Refn. J'avoue ne vouer aucun culte si ce n'est à Scorsese, Tarantino, Nolan, Kubrick, Spielberg, Fincher, Lynch, les Coen, les Dardennes, Jarmush, Von Trier, Van Sant, Farhadi, Chan-wook, Ritchie, Terrence Malick, Ridley Scott, Loach, Moretti, Sarentino, Villeneuve, Inaritu, Cameron, Coppola... et j'en passe et des meilleurs. Si vous me demandez quels sont les acteurs ou actrices que j'admire je vous répondrais simplement des "mecs" bien comme DiCaprio, Bale, Cooper, Cumberbacth, Fassbender, Hardy, Edgerton, Bridges, Gosling, Damon, Pitt, Clooney, Penn, Hanks, Dujardin, Cluzet, Schoenaerts, Kateb, Arestrup, Douglas, Firth, Day-Lewis, Denzel, Viggo, Goldman, Alan Arkins, Affleck, Withaker, Leto, Redford... .... Quant aux femmes j'admire la nouvelle génération comme Alicia Vikander, Brie Larson, Emma Stone, Jennifer Lawrence, Saoirse Ronan, Rooney Mara, Sara Forestier, Vimala Pons, Adèle Heanel... et la plus ancienne avec des Kate Winslet, Cate Blanchett, Marion' Cotillard, Juliette Binoche, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Meryl Streep, Amy Adams, Viola Davis, Octavia Spencer, Nathalie Portman, Julianne Moore, Naomi Watts... .... Voilà pour mes choix, mes envies, mes désirs, mes choix dans ce qui constitue plus d'un tiers de ma vie : le cinéma ❤️

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