LE REDOUTABLE

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Réalisation : Michel Hazanavicius
Scénario : Michel Hazanavicius
d’après : le livre Une année studieuse
de : Anne Wiazemsky
Image : Guillaume Schiffman
Décors : Christian Marti
Costumes : Sabrina Riccardi
Son : Jérôme Aghion, Jean Minondo
Montage : Anne-Sophie Bion
Interprétation : Louis Garrel (Jean-Luc Godard), Stacy Martin (Anne Wiazemsky), Bérénice Bejo (Michèle Rosier), Micha Lescot (Bambam), Grégory Gadebois (Coumot), Jean-Pierre Gorin (Félix Kysyl)…
Distributeur : StudioCanal
Date de sortie : 13 septembre 2017
Durée : 1h47

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Les gardiens du temple auront beau crier au scandale, Michel Hazanavicius trouve en le mythe de Godard la matière idéale pour reconduire les mystifications et facéties qui ont fait ses succès. Un collage audacieux mais aussi parfois sapé par un léger arrière-goût de toc.

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Paris 1967. Jean Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne {La Chinoise} avec la femme qu’il aime, Anne Wiazemsky, de 20 ans sa cadette. Ils sont heureux, amoureux, séduisants, ils se marient. Mais la réception du film à sa sortie enclenche chez Jean Luc une remise en question profonde. Mai 68 va amplifier le processus, et la crise que traverse Jean Luc va le transformer profondément passant de cinéaste star en artiste maoïste hors système aussi incompris qu’incompréhensible.
Après The Search, film de guerre tire-larmes qui passait presque pour une mauvaise plaisanterie dans une filmographie surtout dédiée à la facétie (Le Grand détournement, OSS 117, The Artist), Hazanavicius braque son regard sur les années Mao de Godard. Et il ne s’agit toujours pas d’une blague. Pour autant, le cinéaste dispose cette fois d’un sérieux atout : outre la caution Louis Garrel – fils de Philippe, copain de JLG -, la réussite artistique s’avère au rendez-vous.

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Le long-métrage se focalise sur la période de mai 1968 à mai 1969, où se télescopent l’engagement politique de l’icône suisse et son histoire d’amour épineuse avec l’une de ses muses, Anne Wiazemsky. Tiré du livre de cette dernière, Le Redoutable n’a pas la prétention ici évidemment de créer des débordements théoriques à l’image des concepts du réalisateur de Pierrot le fou. À quelques clins d’œil typographiques et musicaux près, le long-métrage se présente plus comme un envers du décor malicieux.

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Il y a bien quelque part un rapport fétichiste avec l’œuvre du cinéaste, explorée en dilettante d’À bout de souffle à La Chinoise en passant par Bande à part – voir aussi les scènes de nu à la Bardot, Georges Delerue en moins. Aussi peut-on voir en Le Redoutable une relecture de Le Mépris, archétype par excellence lorsqu’il s’agit de structurer une rupture amoureuse basée sur une divergence subliminale de regard.

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Mais même si Michel Hazanavicius fait mine souvent de mettre en valeur de véritables questions esthétiques et d’ordre intellectuel soulevées par Jean-Luc Godard, c’est en réalité pour mieux s’en servir comme d’un terrain de jeu propice à ses expérimentations comiques et narratives.

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Tout en dépeignant de façon assez fidèle une période de vie charnière pour le réalisateur et son épouse Anne Wiazemsky, celui-ci se réapproprie des motifs visuels et des éléments de langage godardiens pour mieux perpétuer l’approche cinématographique qu’il cultive depuis toujours : distordre les clichés et les symboles pour mieux susciter le trouble – penser au moment où Louis Garrel et Stacy Martin rejouent Le Grand Détournement dans une salle de cinéma. Un peu comme lorsqu’OSS 117 : Le Caire, nid d’espions revisitait par exemple James Bond contre Docteur No, La Mort aux trousses, Vertigo,
L’Homme qui en savait trop ou encore Quand les aigles attaquent.

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Cette forme de désacralisation du Godard que l’on connaît, loin de tomber dans la farce, sonne comme une réhabilitation populaire. Vulgarisation, toutefois, qui prend le risque de froisser les inconditionnels. Mais n’est-ce pas là une provocation digne parfois des plaisanteries du cinéaste – à commencer par ce moment où Garrel-Godard les yeux rivés vers la caméra affirme qu’un acteur est tellement con qu’il serait possible littéralement de le lui faire dire devant l’objectif ? Politique, révolutionnaire, poétique, imaginatif…
Le Redoutable ne tente à aucun instant de se mesurer aux qualificatifs de son modèle, se contentant d’un portrait tantôt âpre, souvent affectueux. L’occasion d’une parodie de biopic où l’on croise Bernardo Bertolucci ou encore Marco Ferreri, dont le détachement détone avec la gravité fantasque de Godard.

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À l’instar du sous-marin « Le Redoutable » dont Godard entend parler à la radio, le portrait du metteur en scène helvète est ici celui d’un submersible, d’un homme qui par définition cherchera systématiquement à cliver et à se plonger dans les profondeurs abyssales afin de mieux se garder de l’obscénité du consensus. Pour allégoriser cette année 1968 où il ose remettre en question toutes ses idées et tous ses films – mort symbolique pour certains, renaissance pour d’autres -, Hazanavicius choisit de briser systématiquement les lunettes du cinéaste.

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Manière d’aborder à la fois sa perte de repères et son désir buñuelien d’adopter une nouvelle vision. De bric et de broc, Le Redoutable réussit à faire converger l’histoire du cinéma, l’hommage et l’humour Hazanavicien pratiquement avec cohérence. Réussite pour beaucoup à mettre au compte du duo Stacy Martin (Nymphomaniac) – Louis Garrel.

 

L’ANALYSE :

A une semaine d’intervalle sortent deux « biopics » français qui tentent, chacun à leur manière, de redéfinir la grammaire du genre et d’en dynamiter les conventions. Après la Barbara de Mathieu Amalric et Jeanne Balibar, Michel Hazanavicius s’attaque à une autre figure publique, aussi louée que controversée : celle de Jean-Luc Godard, avec l’appui d’un acteur on ne peut plus opposé physiquement du « personnage » qu’il incarne, Louis Garrel.

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On s’en doute, la démarche du tandem est plus facétieuse que révérencieuse. Une comédie populaire sur le tournant politique de la carrière du cinéaste, pourquoi pas ? D’autant que Hazanavicius choisit de mêler l’intime à la création, en adaptant le livre d’Anne Wiazemsky, Une année studieuse, récit de sa rencontre avec Godard, du tournage de La Chinoise, de leur mariage, de la folle année 1968 et de l’érosion de leur couple. De l’Art ! De la politique ! De l’amour ! Du sexe ! Et le regard d’un réalisateur d’aujourd’hui, qui choisit de déboulonner affectueusement la statue du commandeur.

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Il n’est pas nécessaire de connaître l’oeuvre ou la vie de Godard pour voir le film. Il n’est pas non plus nécessaire d’aimer Godard pour être néanmoins quelque peu hébété devant ce Redoutable qui ressemble tout de même beaucoup à un solde de tout compte.

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La comédie ici a bon dos et elle permet de justifier beaucoup des parti-pris de Hazanavicius, qui tourne le bonhomme en ridicule du début à la fin. Le Godard / Garrel du Redoutable, donc, est déjà une icône et quelque peu embarrassé d’être considéré comme tel. Il est très amoureux de sa chère Anne (Stacy Martin, atone) et, par conséquent, terriblement jaloux, souvent méprisant, voire carrément misogyne (puisque JLG manigance pour empêcher Anne de tourner nue, Hazanavicius filme Garrel en plan fixe, totalement à poil, dans une des nombreuses blagues méta dont le film regorge).

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Ce qui intéresse Godard, c’est la politique, la révolution, et il considère que le cinéma est mort, y compris le sien. Mort aux flics, mort à la bourgeoisie, mort aux cons, et tant pis si Hazanavicius fait de Godard le roi des crétins, une farce ambulante tellement détestable avec tout le monde, en particulier ses proches, que l’on se demande avec peine pourquoi Anne et ses amis ne l’envoient pas paître plus tôt ?

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Ah ! Mais si ! Parce que c’est Godard, le réalisateur d’À bout de souffle et de Pierrot le fou, et que peut-être que lorsque sa lubie d’un cinéma politique lui sera passée, il reviendra à ce qu’il sait si bien faire. Le Godard de Hazanavicius est le récit d’un espoir déçu : que le génie cesse de s’auto-saborder, qu’il retrouve ses esprits et fasse le cinéma que le public, la critique et son entourage attendent de lui.

Stacy Martin, Louis Garrel, Berenice Bejo
Deux motifs reviennent à plusieurs reprises dans Le Redoutable. Le premier, c’est Godard interpellé par des inconnus qui, sans relâche, lui professent leur admiration pour son oeuvre et leur souhait de le voir revenir à un cinéma plus conforme à leurs attentes. La réaction de Godard va crescendo : au début gentiment gêné aux entournures, il finit par carrément insulter le quidam de trop. Godard, diva qui se drape dans la posture de l’artiste incompris, est aussi pour Hazanavicius un pur personnage de cartoon, second motif du film. À l’instar du Woody Allen de Prends l’oseille et tire-toi, JLG passe son temps à casser ses lunettes, en se vautrant régulièrement dans la rue.

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Le recours au burlesque pour filer la métaphore de l’artiste qui a perdu sa vision : la caricature est paresseuse, et d’autant plus vaine qu’elle ne s’appuie que sur un simulacre de réflexion sur la crise que traverse Godard à ce moment de sa vie et de sa carrière. Il y a certes une forme de tendresse de la part d’Hazanavicius pour Godard, mais elle ressemble souvent à de la condescendance, le regret légèrement désabusé de la génération suivante pour un aîné aussi prestigieux qu’embarrassant.

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Godard / Garrel chuinte et zozote, pique des gueulantes interminables et des gros caprices, débite des énormités au kilomètre dans des AG où il se fait copieusement huer, régente tout et tout le monde (et surtout sa patiente épouse) : bref, Godard est vraiment un gros con, mais ça n’est pas bien grave, puisqu’on est là pour rigoler. Hazanavicius s’attache à tuer le père dans la joie et la bonne humeur, invite Mocky à jouer un vieux réac et Goupil un flic, tout en pastichant le style Godard.

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La parodie prend des airs de liquidation massive, où le comble consiste à désincarner le style godardien pour en faire un objet pop, reproduit ad nauseam jusqu’à ce qu’il soit définitivement vidé de son sens. La satire n’est pas le problème ici, mais plutôt l’absence de vertige, d’ambition, de profondeur, et d’un regard qui saurait saisir, sous l’humour potache, les contradictions et les échecs d’un cinéaste mis à mal par le personnage qu’il s’est créé.

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Il y avait là matière à travailler la figure de l’artiste et son double public, obsédé par le désir de se déconstruire, de tout saccager pour inventer d’autres formes, d’autres langages. Le versant plus sentimental du film en illustre tout aussi bien les limites : à la farce égrillarde se superpose la désillusion amoureuse, et son avatar forcément revanchard, d’Anne Wiazemsky.

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Le clown gaffeur et lourdingue est aussi un mauvais mari, un amant paranoïaque et suicidaire, et la farce déjà chargée se drape des pires travers du biopic qu’Hazanavicius avait jusque-là, il faut le reconnaître, réussit à éviter. Le film sur Godard a de toute façon déjà été fait, par lui-même : JLG/JLG, autoportrait de décembre.


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Cinéphile depuis mon plus jeune âge, c'est à 8 ans que je suis allé voir mon 1er film en salle : Titanic de James Cameron. Pas étonnant que je sois fan de Léo et Kate Winslet... Je concède ne pas avoir le temps de regarder les séries TV bonne jouer aux jeux vidéos ... Je vois en moyenne 3 films/jour et je dois avouer un penchant pour le cinéma d'auteur et celui que l'on nomme "d'art et essai"... Le Festival de Cannes est mon oxygène. Il m'alimente, me cultive, me passionne, m'émerveille, me fait voyager, pleurer, rire, sourire, frissonner, aimer, détester, adorer, me passionner pour la vie, les gens et les cultures qui y sont représentées que ce soit par le biais de la sélection officielle en compétition, hors compétition, la semaine de la critique, La Quinzaine des réalisateurs, la section Un certain regard, les séances spéciales et de minuit ... environ 200 chef-d'œuvres venant des 4 coins du monde pour combler tous nos sens durant 2 semaines... Pour ma part je suis un fan absolu de Woody Allen, Xavier Dolan ou Nicolas Winding Refn. J'avoue ne vouer aucun culte si ce n'est à Scorsese, Tarantino, Nolan, Kubrick, Spielberg, Fincher, Lynch, les Coen, les Dardennes, Jarmush, Von Trier, Van Sant, Farhadi, Chan-wook, Ritchie, Terrence Malick, Ridley Scott, Loach, Moretti, Sarentino, Villeneuve, Inaritu, Cameron, Coppola... et j'en passe et des meilleurs. Si vous me demandez quels sont les acteurs ou actrices que j'admire je vous répondrais simplement des "mecs" bien comme DiCaprio, Bale, Cooper, Cumberbacth, Fassbender, Hardy, Edgerton, Bridges, Gosling, Damon, Pitt, Clooney, Penn, Hanks, Dujardin, Cluzet, Schoenaerts, Kateb, Arestrup, Douglas, Firth, Day-Lewis, Denzel, Viggo, Goldman, Alan Arkins, Affleck, Withaker, Leto, Redford... .... Quant aux femmes j'admire la nouvelle génération comme Alicia Vikander, Brie Larson, Emma Stone, Jennifer Lawrence, Saoirse Ronan, Rooney Mara, Sara Forestier, Vimala Pons, Adèle Heanel... et la plus ancienne avec des Kate Winslet, Cate Blanchett, Marion' Cotillard, Juliette Binoche, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Meryl Streep, Amy Adams, Viola Davis, Octavia Spencer, Nathalie Portman, Julianne Moore, Naomi Watts... .... Voilà pour mes choix, mes envies, mes désirs, mes choix dans ce qui constitue plus d'un tiers de ma vie : le cinéma ❤️

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