Satire… dans tous les sens !

Dans The Square, on suit le quotidien de Christian (un mec classe mais qui ne joue pas dans la chambre rouge), directeur d’une galerie d’art contemporain venant d’acquérir une œuvre soulignant les bienfaits de la solidarité et de l’égalité entre tous malgré leur condition sociale. Faites ce que je dis mais pas ce que je fais : notre héros et ses amis n’appliquent pas ses préceptes à la lettre, surtout quand Monsieur Bobo se fait chiper son portable !

Clairement, le film se veut satirique et personne n’aura fait le voyage pour rien. Critiquant la bien-pensance qui n’agit pas, Ruben Östlund s’attaque aussi à ce monde de l’art contemporain où personne ne comprend vraiment les œuvres exposées (les moments d’interviews sont savoureux, tout comme le passage de l’homme d’entretien maladroit).  On insiste sur le manque d’empathie évident dans un milieu (une société ?) surfait d’apparente élégance. La partie communication/réseaux sociaux en prend aussi pour son grade avec un duo de publicistes réussi.

On peut approfondir le sous-texte, avec des réflexions intéressantes sur la notion de pouvoir, de puissance, mais aussi de fuite des responsabilités. On entre alors dans une dimension politique avec une critique (une mise en garde ?) sur cette société suédoise dont on s’est habitué à vanter les mérites mais qui voit ses vertus de bien-vivre mises à mal. On entend souvent que les scénarii actuels sont peu étoffés : The Square est un joli contre-exemple.

Un crescendo de rupture de tons

La durée (2h22) peut effrayer ceux qui veulent du vite, du condensé, du format-série. Mais le réalisateur du très bon Snow Therapy a subtilement construit sa narration en ruptures de tons, parfois brutales. On rit beaucoup, on peut s’émouvoir (à froid), on réfléchit (non, ce n’est pas grave), on retient son souffle, on se demande comment ça va finir… A la manière d’un Tony Erdman (mais en plus rythmé), ce mélange des genres fait merveille.

La montée en puissance de cette farce se fait crescendo. Partant d’une interview maligne entre Christian (brillamment interprété par le néophyte Claes Bang) et Elisabeth Moss (vue à son avantage dans la brillante et récente série The Handmaid’s Tale), on a vite le droit à une petite mise sous tension avec le vol du portable. Puis peu à peu, le piège se tend et se referme durant la dernière demi-heure. Tout d’abord avec cette vidéo virale sur youtube qui commence à mettre mal à l’aise…

Puis avec cette scène du repas qui restera gravée dans ma mémoire de cinéphile. Le cinéma scandinave nous avait déjà offert celle de Festen de (et avec) Thomas Vinterberg, il récidive avec une performance artistique à la Marina Abramovic qui fait froid dans le dos (et vous, comment auriez-vous réagi ?). Terry Notary (le Rocket de la Planète des singes, le gorille de Kong) se montre pour la première fois « en vrai » devant la caméra et on s’en souviendra !

Pas assez nuancé pour être Palmé ?

« The Square, c’est bidon : 120 battements par minute aurait davantage mérité la Palme ! ». Je n’entrerai pas dans ce débat que je trouve très bas et surtout inutile. Une remise de prix est forcément subjective, avec des films très différents. J’ai aimé 120 bpm, j’ai aimé le Redoutable, Rodin, l’Amant Double, Good time… j’ai hâte de voir la Mise à mort du cerf sacré… Quant à savoir « C’est qui le plus fort : l’éléphant ou l’hippopotame ? », je laisserai le soin à Serge Karamasov de répondre !

En revanche, est-ce qu’au final, ce film avec Christian ne souffre-t-il pas d’un manque de nuances ? A force de tirer sur tout, ne tombe-t-il pas dans le n’importe quoi ? N’agit-il pas à l’inverse du discours qu’il dénonce ? Selon moi, nous sommes dans une limite qui n’est pas franchie, notamment grâce à la profondeur du héros, à l’image de cette scène où sa conquête d’un soir conspue ce mâle profitant de son statut… mais à laquelle il lui répond qu’elle représente bien la femme attirée par le statut.

Effectivement, à ce champ satirique, on aurait peut-être aimé avoir un contrechamp (même si cette grammaire cinématographique est habilement utilisée ici) dans les personnages, par exemple un vrai amoureux de l’art, un vrai gentil qui pense aux autres. Mais au final, la réponse à toutes ces visions négatives, c’est la scène où la fille du héros se produit avec son équipe de pom pom girls, où chacun se porte et a besoin des autres, dans un joli terrain en forme de carré…

 

En guise de conclusion, un scénario étoffé, une mise en scène soignée, un mélange de genres jouissif, des acteurs inspirés : essayez ce film, parce que Cannes, ce n’est pas (que) pour les gens perchés !

 


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